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Musique. Festival d’été

Jazz in Marciac 2016 : de la musique pour tous ?

Antonio Metheny La 39ème édition du festival Jazz in Marciac (Gers, sud-ouest de la France) se déroulera cette année du 29 juillet au 15 aout. Proposant une palette d'artistes aussi complète que variée, l'évènement est un rendez-vous mythique tant pour les connaisseurs que les curieux avides de nouvelles expériences musicales. En espérant que les 230 000 festivaliers attendus ne pâtissent pas d’un énième renforcement de la sécurité post-attentats (en raison de « la gravité de la menace terroriste » le préfet du Gers a interdit le survol de la commune par des drones tout au long de la rencontre)…

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Un festival varié et passionnant...

Jazz in Marciac, depuis 39 ans, c’est de la passion sincère au service d’un événement de qualité. Car si la thématique, c’est le Jazz, il y en a pourtant pour tous les goûts. En effet ce style en perpétuelle évolution ne fait qu’ouvrir ses portes à de nouveaux horizons musicaux d’années en années. Et il n’y a qu’à voir la programmation de cette édition, toujours plus éclectique ! Le jazz dans tous ses états : le grand chapiteau accueille des grands noms du genre (Ahmad Jamal, Michel Camilo, John Mclaughlin, John Scofield, Avishaï Cohen, Roberto Fonseca, Jamie Cullum...) jusqu’à la pointe de la jeune scène actuelle prête à enflammer les publics : Ibrahim Maalouf et son mélange pop/électro/rock, GoGo Penguin et leur fusion du Jazz acoustique aux influences électro, les incroyables Snarky Puppy déjà célèbres pour leur identité musicale hors du commun, Yaron Herman invitant Matthieu Chedid, Panam Panic et leur Jazz/Hip Hop moderne déchaîné ou même Kamasi Washington, célèbre pour ses collaborations dans le monde du rap US avec Snoop Dogg ou Kendrick Lamar...

Et cette liste n’est évidemment pas exhaustive : pas moins de 35 concerts auront lieu sous le grand chapiteau (6000 places). Mais le festival, c’est aussi l’Astrada, une salle de 500 places, et aussi des concerts sur la place du village tous les jours à partir de 10h du matin. À cela s’ajoutent des boeufs musicaux à n’en plus finir de la soirée jusqu’au petit matin pour les plus déterminés... Un camping sauvage convivial en fête constante, mais surtout un village actif 24h/24 accueillant des artistes dans les bars, les restaurants, et même tout endroit qui peut être propice à des représentations.

… accessible à tous ?

Aujourd’hui, on entend souvent et à tort que cette musique est « élitiste », trop « intellectuelle » ou encore « prise de tête ». Au point qu’on ne s’étonne plus d’entendre ce genre d’idées préconçues sur la question, qui témoignent finalement d’un manque d’intérêt au style. Pourtant, ceci constitue un profonde erreur de jugement, qui ne tombe pas du ciel, mais reflète un certain nombres de pratiques et de politiques conscientes qu’il faut pointer du doigt, dont le monde de la culture en général, et le Jazz en particulier, sont victimes.

S’il y a bien un art qui rassemble de façon massive, c’est la musique. Pourtant petit à petit, à droite comme à « gauche » les festivals sont devenus la cible à abattre pour des gouvernements qui pensent que la culture est un domaine facultatif, de second plan. Une vague terrible de baisse des subventions des festivals impose l’adaptation de ces derniers à des pratiques incompatibles avec la création. Parlons chiffres : entre 2015 et d’ici 2017, ce ne sont pas moins de 11 milliards d’euros de subventions qui auront été supprimés : au-delà des questions financières et de politiques austéritaires dans tout ce qui n’est pas immédiatement rentable, c’est un véritable processus de destruction des conditions de la production culturelle qui se généralise. Et encore ! Quand un festival comme Marciac survit, certains petits festivals meurent tout simplement.

Car si comme on l’a dit on peut apprécier, à Marciac, la musique gratuitement sur les petites scènes du village, et bien au chapiteau, c’est autre chose. Les places, hiérarchisées en catégories plus ou moins chères en fonction du placement, peuvent monter jusqu’à un prix de 60 euros la soirée. Et les prix sont en hausse. Seulement il n’y a pas de hasard là-dedans : le festival fonctionne grâce à 850 bénévoles, 14 salariés employés à l’année, bien sûr sans compter le personnel employé durant le festival (en grande partie des techniciens intermittents). Ce bénévolat massif est la source de réussite du festival. Bénévolat plus large, de plus, que ce que l’on pense puisque la grande partie des musiciens du off gagnent quelques sous avec la vente de disques après les concerts, ne bénéficiant en guise de rétribution que de l’accès gratuit aux représentations sous le grand chapiteau. On a déjà vu plus convaincant comme salaire !

En bref il ne faut pas s’étonner, c’est globalement que, d’une part, la culture devient de plus en plus chère, et que d’autre part artistes et intermittents du spectacle, qui luttent de façon exemplaire au quotidien pour la sauvegarde d’une culture aussi enrichissante que socialement nécessaire autant que pour des conditions de travail décentes, font face à des attaques permanentes du gouvernement visant à anéantir progressivement leur régime. Bilan, même Le Figaro le dit, des festivals comme celui de Marciac rapportent aux régions qui les accueillent bien plus qu’ils ne coûtent… moyennant des billets d’entrée de moins en moins accessibles.

Le Jazz, musique populaire inter-générationnelle

Ne nous trompons pas d’ennemi, le Jazz est un langage universel qui fait voyager : ne laissons ni la gestion capitaliste, ni les pratiques gouvernementales à entretenir et même renforcer, dans son cas particulier, une image élitiste, c’est-à-dire la négation de sa vocation populaire.

Pour la petite histoire brève, le Jazz naît de la Nouvelle-Orléans vers les années 1900, musique jouée dans la rue en grande partie par des afro-américains, inspirée notamment par le blues. Aux États-Unis il est clair que ce style de musique a grandement contribué à l’émancipation progressive des noirs dans la culture américaine, le genre étant devenu énormément populaire au fil des années, animant des soirées de danse et de convivialité. Mais au cours de son évolution, c’est même devenu un facteur de revendications sociales des noirs américains. Considérés d’abord comme amuseurs publics, la période Be Bop dans les années 40 et 50 (tempos très rapides, techniquement difficiles, demandant une maîtrise implacable) a été pour ces derniers une manière de s’imposer clairement comme créateurs d’un style neuf et incroyable, déchaînant des nuits musicales passionnantes. Et à l’époque, c’était une réelle revendication sociale, qui avait du poids ! Persécutés par le racisme, les noirs américains pouvaient alors dire : « Vous nous prenez pour des sous-hommes ? Essayez donc de jouer comme cela, regardez ce que nous pouvons créer ! ».

Le Jazz a évolué, mais toujours dans une logique populaire de libération du corps et de l’esprit. Car il s’agit bien de cela, un bon concert de jazz stoppe tout autour de vous. Le temps semble altéré tant cette musique est entraînante, prenante, riche et variée. C’est un style qui se ressent avec le corps, et qui pour cela notamment peut rassembler un public de tout âge, même de plus en plus jeune en l’occurrence. Faisons en sorte que le jazz reste au travers de toutes ses évolutions, populaire à jamais. Et dénonçons plus largement toutes les attaques à l’encontre de la culture qui n’aboutissent qu’à une chose : nous en priver soit en étouffant les conditions de la création libre, soit en la rendant définitivement bourgeoise.


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