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International

Italie. Vers une explosion de la coalition gouvernementale ?

Tensions du gouvernement avec Bruxelles, contradictions au sein même de la coalition : le contexte italien est marqué par l'instabilité. Entre prédiction de crise financière et risque de l'éclatement de la coalition, retour sur la situation.

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Les tensions entre le gouvernement et la Commission Européenne s’étalent ces derniers jours dans les journaux. Bruxelles menace en effet de lancer des sanctions contre l’Italie si celle-ci refuse de mettre en place des mesures budgétaires visant à limiter son déficit.

Si cette situation exprime les problèmes sous-jacents de l’économie italienne, déjà anciens, ces derniers ont pris une ampleur nouvelle avec l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement plus eurosceptique que les précédents.

Jouissant d’un soutien populaire renforcé après les européennes, Salvini entretient un rapport de force pour tenter d’imposer sa mesure la plus néolibérale : une flat-tax à 15%. Mais outre Bruxelles, ce sont également les tensions au sein de la coalition avec son allié du M5S qui s’exacerbent.

Une coalition sous tension depuis le début du mandat

Depuis leur arrivée au pouvoir dans le cadre d’une coalition, suite aux élections législatives de 2018, qui avaient vu le M5S réaliser un score de 35% et la Ligue un score de 17%, les contradictions sont vives. Entre la Ligue, assis sur une base sociale petite-bourgeoise du Nord de l’Italie, qui avait alors troqué son régionalisme pour une stratégie nationale, et le M5S, dont le populisme a permis de gagner l’électorat populaire du Mezzogiorno autour de propositions à la tonalité sociale, les points de désaccords ont été multiples.

Progressivement, Salvini a conquis une place dominante au sein de la coalition. Depuis les élections, le M5S, après être revenu sur la promesse de retirer le « Jobs Act » de Matteo Renzi, a proposé des mesures sociales à la baisse dans le cadre du budget 2018. Ainsi du « revenu citoyen », conditionné et transformé en un outil au service de la mise au travail de la population, ou encore de l’abaissement de l’âge de départ à la retraites, soumis à des conditions drastiques. La Lega a quant à elle réussi à mettre en avant son programme anti-migrants et Salvini à apparaître comme le véritable chef du gouvernement.

La première année de coalition ne s’est par ailleurs pas passée sans heurts. A l’occasion du « décret dignité », mis en place par le M5S comme un substitut très limité à l’abrogation du « Jobs Act » des tensions ont pu apparaître avec la Ligue, dont la base électorale de petits patrons s’inquiétait de ce projet visant à limiter notamment le recours au CDD. Le tunnel Lyon-Turin soutenu par Salvini a également suscité en mars l’opposition de Di Maio qui y voit un gâchis d’argent public. Enfin, récemment, des polémiques ont agité la coalition dans le cadre d’accusations de corruption qui pesaient sur un Secrétaire d’Etat proche de Salvini, Armando Siri. Si Salvini a défendu le Secrétaire d’Etat, celui-ci a finalement été révoqué en mai, occasionnant au passage de vifs échanges entre les deux alliés.

Des élections qui vont approfondir les contradictions

Or, si Salvini apparaît depuis plusieurs mois comme le véritable chef du gouvernement, les élections ont donné l’occasion d’entériner l’évolution du rapport de forces. Avec 35% pour la Ligue et 17% pour le M5S, il semble tout bonnement s’être inversé depuis les législatives.

Certes, ce résultat est en trompe l’œil si l’on oublie les différences entre les législatives de 2018 et les européennes. Comme le rappelle Cécile Debarge dans Mediapart, il convient d’abord de prendre en compte le corps électoral des deux scrutins : « le 26 mai, 56,09 % des électeurs italiens se sont déplacés aux urnes – soit 27,6 millions d’électeurs. En mars 2018, pour les élections générales, ils étaient 50,7 millions à choisir leurs députés au sein de la Camera.

En outre, « Il faut ajouter à ce chiffre une particularité italienne. Ce dimanche 26 mai, des centaines de milliers d’électeurs étaient également appelés à voter pour les élections municipales – par exemple à Florence, Bari, Bergame, Livourne ou Pesaro – et, dans le Piémont (nord de l’Italie), pour les élections régionales. ‘’Le fait que le vote européen ait coïncidé avec le vote pour les municipales a nettement favorisé la Ligue, en défaveur du Mouvement Cinq Étoiles, assure Roberto D’Alimonte du CISE, le Centre italien des études électorales. Environ 60 % des communes du Nord ont voté pour une autre élection en plus des européennes, contre 25 % dans le Sud.’’ », explique encore Cécile Debarge.

Pourtant, ces spécificités vont de pair avec une véritable percée de la Ligue, notamment dans des régions qui ne lui étaient pas traditionnellement acquises au Sud de l’Italie, où la formation de Salvini progresse énormément, multipliant ses voix par trois par rapport aux législatives. De quoi donner des ailes avec Salvini qui entend désormais accélérer la mise en œuvre de son programme, dont de nombreuses mesures suscitent des tensions avec le M5S autant que Bruxelles.

Une accélération de l’agenda après les européennes ? Un effet d’annonce stratégique

Aux lendemains des élections, tout en affirmant la « loyauté » de la Ligue vis-à-vis du gouvernement de Giuseppe Conte, Salvini a martelé ses priorités. Ainsi, outre la généralisation de la « flat tax » qui vise pour le moment les PME et les travailleurs indépendants et pourrait constituer un véritable cadeau fiscal aux plus riches, Salvini entend augmenter l’autonomie des régions du Nord, mais aussi mettre en œuvre le projet Lyon-Turin. Autant de mesures qui amèneraient à intensifier les tensions avec le M5S, et qui font de l’éclatement de la coalition une perspective probable à court ou moyen-terme.

Pourtant, les possibilités de Salvini restent limitées. Comme le note le politologue Paolo Pombeni dans un entretien à l’Agenzia Sir cité par Mediapart : « La seule arme dont dispose Salvini est le chantage aux élections anticipées. Mais c’est une arme moins forte qu’elle n’en a l’air, parce que le chef de file de la Ligue n’a pas la certitude d’une victoire définitive. Il a gagné aux européennes, mais pas assez pour s’attendre à avoir un contrôle total et autonome, après le vote. (…). S’il forçait la main et allait au vote tout de suite, il courrait le risque de passer pour un démolisseur, et ce n’est pas dit que l’électorat apprécie. S’il renvoie cette échéance en revanche, il se retrouverait devant une loi budgétaire très difficile à négocier et il ne serait pas très confortable de se présenter aux élections suivantes avec ce fardeau sur le dos. »

Surtout, Salvini fait face à des contradictions économiques qui semblent difficilement dépassables.

« Le ’spread’ je m’en fous, je le mange au petit-déjeuner »

Comme les gouvernements italiens précédents, l’alliance au pouvoir entre le M5S et la Ligue veut exercer un plus grand contrôle sur la politique monétaire et les dépenses publiques afin que l’Italie puisse faire face à ses taux de croissance constamment médiocres et à son stock élevé de prêts « non performants », c’est-à-dire peu susceptibles d’être remboursés.

C’est particulièrement ce point qui inquiète les institutions européennes et les marchés financiers, qui ont répondu aux rodomontades de Salvini en détériorant le « spread » (différence entre l’écart de la dette allemande et italienne). L’Italie comporte une quantité de dettes telle qu’un accroissement de la pression des marchés financiers pourrait rapidement asphyxier le gouvernement, ce sur quoi mise Bruxelles pour tempérer Salvini. Avec une dette en pourcentage du PIB qui est de 133 %, l’Italie se situe en deuxième position pour l’endettement derrière la Grèce (180%) tandis que- seuls le Portugal (126%) et la Belgique (106%) comptent également des taux qui dépassent les 100%.

Tomaso Monacelli, économiste à l’université Bocconi, prédit ainsi dans le Financial Times que l’expansionnisme fiscal de la coalition au pouvoir entraînera des problèmes : « L’Italie se dirige vers une possible crise financière. La question clé n’est pas vraiment les décimales de l’écart de production italien, mais bien plus fondamentalement la crédibilité de son gouvernement. »

Cependant, comme n’a eu de cesse de le répéter à l’envi Salvini « l’Italie n’est pas la Grèce. » Comprendre : Salvini a bien conscience que compte tenu du poids économique et politique de l’Italie, la menace d’une sortie de l’Union Européenne ou l’introduction d’une devise parallèle à l’euro (des hypothèses très peu probables à l’heure actuelle) ont un poids nettement plus important que dans le cas de la Grèce. Plus encore, le coût politique d’un traitement de choc similaire à la Grèce pour l’Italie pourrait précipiter une implosion de l’Union Européenne. C’est ce qui permet à Salvini de fanfaronner en affirmant « Le ’spread’ je m’en fous, je le mange au petit-déjeuner », et de feindre une opposition à la politique de l’Union Européenne.

En réalité, comme évoqué ci-dessus, l’arme principale de discipline sur laquelle compte Bruxelles reste les marchés financiers. Compte tenu du haut niveau d’endettement de l’Italie, tout resserrement des marchés financiers heurterait de plein fouet les intérêts de la bourgeoisie italienne, ce qui ne tarderait pas à fragiliser Salvini. Dans ce contexte, le « mexican standoff » entre l’UE et l’Italie pourrait bien mener à une escalade, chacun espérant jouer sur le rapport de forces à son avantage. Pour l’UE, en pleine tourmente avec le Brexit, au moment où les partis du centre sortent particulièrement affaiblis et avec la montée des populistes de droite, afficher un visage de fermeté est décisif pour éviter l’escalade.

Pour Salvini, comme le résume le chercheur Christophe Bouillaud, la « victoire » (prétendue, car il s’agit pour Salvini d’instaurer une politique de baisse d’impôts en faveur du patronat) contre l’Union Européenne est une question de survie : « Il veut mener une politique économique « reaganienne » ou « trumpiste » de baisse radicale des impôts pour relancer la croissance économique en Italie, tout en ne baissant pas la dépense publique. Cela ne peut pas plaire à la Commission européenne actuelle. L’Union européenne reste en fait très impopulaire en Italie. Matteo Salvini doit donc « vaincre l’Union » ou mourir politiquement. Cela rend la situation particulièrement délicate. (...) De plus, Salvini sait bien que Matteo Renzi a eu 40% des suffrages en 2014 aux Européennes pour le Parti démocrate sur un discours de changement de l’Europe, et que, n’ayant rien obtenu, il a échoué au référendum de 2016. Matteo Salvini doit donc « vaincre l’Union » ou mourir politiquement. Cela rend la situation particulièrement délicate. Les marchés financiers semblent déjà en tenir compte. »

Compte tenu de l’enjeu politique décisif pour Salvini, une « montée aux extrêmes » dans le conflit n’est pas à exclure, d’autant plus compte tenu du ressentiment vif nourri par la population italienne envers l’Union Européenne et attisée par Salvini. Dans ce cadre, et alors que le M5S est un facteur d’affaiblissement supplémentaire pour Salvini, la menace de Giuseppe Conte, 1er ministre Italien, de démissionner si le M5S et la Ligue n’arrivaient pas à trouver un compromis pour continuer à gouverner pourrait ainsi servir en dernière instance le projet du leader de la Ligue, en lui évitant d’apparaître comme le responsable direct de nouvelles élections, et en lui offrant une occasion de bâtir une majorité plus solide, même si celle-ci demeure encore loin d’être assurée.


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