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« Islamo-gauchisme ». Derrière la rhétorique réactionnaire, Frédérique Vidal s’attaque à la liberté académique

Frédérique Vidal s’est engouffrée dans une offensive réactionnaire contre le monde de la recherche en annonçant la demande d’une enquête sur « l’islamophobie-gauchisme » à l’université. Relançant la chasse aux sorcières islamophobe initiée par Blanquer contre les universitaires.

Nathan Deas


et Lili Krib

17 février 2021

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Crédit photo : CNews

Dimanche 14 février sur CNEWS la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, Frédérique Vidal, interrogée par Jean-Pierre Elkabbach sur l’article « Comment l’islamo-gauchisme gangrène les universités » du Figaro, publié le 12 février, déclarait : « Moi je pense que l’islamo-gauchisme gangrène la société dans son ensemble et que l’université n’est pas imperméable, [elle] fait partie de la société ».

Une nouvelle attaque réactionnaire contre le monde de la recherche

Cette attaque vise sans détour le monde académique. Elle s’inscrit dans la droite lignée de l’offensive islamophobe du gouvernement qui s’intensifie ces derniers jours. L’adoption en première lecture à l’Assemblée nationale ce mardi et la surenchère réactionnaire entre LREM et le RN, illustrée par le débat entre Darmanin et Le Pen jeudi 11 février, ont concrétisé cette offensive. Si la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche prétend défendre les libertés de recherche et d’expression et affirme ainsi qu’« on ne peut pas interdire l’approche critique à l’université », le sens même de cette offensive contre l’« islamogauchisme » à l’université, présenté comme un danger vital, est de censurer sinon contrôler l’ensemble des discours critiques, notamment sur le racisme, qui s’y développent et ce non sans recourir à la provocation. Ainsi, lorsque Jean-Pierre Elkabbach ironise « Il y a une sorte d’alliance entre Mao Zedong, si je puis dire, et l’Ayatollah Khomeini » celle-ci répond, sourire aux lèvres : « mais vous avez raison ».

En visant « l’islamo-gauchisme », la ministre vise ni plus ni moins qu’une répression des discours universitaires critiques qui traitent des enjeux de race, de genre et de classe et qui, par là-même, remettent en cause la société capitaliste et en son sein l’université bourgeoise. Pourtant selon une étude de Patrick Simon et Juliette Galonnier chercheurs à Sciences Po (temple bien connu du gauchisme français), les recherches portant sur la question raciale dans la sociologie française sont largement minoritaires et ne représentent que 2% du total de la production scientifique dans le champ de la sociologie comme le relaye Mediapart.

Lorsque Vidal annonce qu’elle compte : « demander […] au CNRS de faire une enquête sur l’ensemble des courants de recherche sur ces sujets dans l’université de manière à ce qu’on puisse distinguer ce qui relève de la recherche académique de ce qui relève […] du militantisme et de l’opinion » ce qui est visé comme l’a dénoncé ce mardi, la conférence des présidents d’université (CPU), c’est ce qui reste de liberté académique et de critique à l’université.

Cette attaque loin d’être isolée s’inscrit dans la continuité des propos de Jean-Michel Blanquer, qui, en octobre dernier, instrumentalisait l’attentat contre Samuel Paty, au service de la lutte contre « ce qu’on appelle l’islamo-gauchisme » et qui « fait des ravages […] à l’université », et ce notamment dans le milieu militant étudiant, citant parmi les représentants des « islamisés » le syndicat étudiant de l’UNEF. Multipliant alors les appels guerriers, il prétendait vouloir se saisir d’un « combat à mener contre […] des thèses intersectionnelles » puisqu’une « partie non négligeable des sciences sociales françaises [seraient gangrénées] ». En ligne de mire, déjà les travaux universitaires critiques se revendiquant de l’intersectionnalité – concept employé en sociologie et en réflexion politique qui vise à révéler la pluralité des discrimination de classe, de sexe et de race- et ceux portant sur les questions raciales et post-coloniales.

Déjà, à l’occasion de la loi de programmation de la recherche (LPR) adoptée définitivement par le Sénat le 20 novembre 2020 qui entérinait la privatisation et la précarisation croissante de la recherche et de ses travailleurs, l’on pouvait trouver des traces de cette offensive. Un amendement soutenu par Vidal mis à l’ordre du jour à la séance du 28 octobre au Sénat sur proposition de la rapporteuse de la LPR, Laure Darcos, proposait que « Les libertés académiques s’exercent dans le respect des valeurs de la République ». Un cadre on ne peut plus flou laissant libre court aux interprétations et aux accusations qui remet en cause la garantie, à la fois des libertés académiques et de l’indépendance de la recherche universitaire. Par ailleurs, un autre amendement, lui aussi ajouté au dernier moment par la commission mixte paritaire, introduisait le délit d’intrusion, passible jusqu’à trois ans d’emprisonnement et 45 000 € d’amende : « le fait de pénétrer ou de se maintenir dans l’enceinte d’un établissement d’enseignement supérieur sans y être habilité […] ou y avoir été autorisé par les autorités compétentes, dans le but de troubler la tranquillité ou le bon ordre de l’établissement ». Cet amendement qui criminalisait la mobilisation étudiante, avait bien été définitivement adopté le 20 novembre, avant d’être finalement censuré un mois plus tard, le 21 décembre 2020, par le Conseil Constitutionnel.

Une attaque qui masque mal la situation dramatique de l’enseignement supérieur et de ses étudiants

Les étudiants font aujourd’hui face à une précarité sans précédent, exacerbée par la crise sanitaire et économique. Nombre d’étudiants n’ont même plus les moyens de subvenir à leurs besoins les plus fondamentaux, comme s’alimenter ou payer son loyer et la détresse psychologique poussant certains étudiants à se suicider est actuellement un problème de santé publique. Face à cette situation, Vidal et le gouvernement n’ont rien donné aux universités ou à la santé et ont préféré renflouer les caisses du patronat à coup de milliards, alors que celui-ci continue de supprimer des emplois et avec eux les perspectives de la jeunesse. Pour répondre à la crise que traverse la jeunesse Vidal a simplement annoncé la mise en place de repas à 1 euros, une mesure ridicule et particulièrement inefficace sachant qu’un nombre important de restaurant universitaire restent fermés. Aujourd’hui, plutôt que de répondre à la détresse étudiante, Vidal et le gouvernement préfèrent accélérer leur agenda répressif et réactionnaire en réduisant toujours plus la liberté académique et en réprimant celles et ceux qui osent remettre en cause l’ordre établi.

L’argument réactionnaire ne saurait cacher que ce sont les gouvernements de ces dernières décennies qui sont responsables de la situation terrible de l’université publique. Les nombreuses contre-réformes qui se sont succédées, comme la loi LPR de Vidal, ont libéralisé et vidé l’université publique de ses moyens et conclu à l’asphyxie budgétaire soumettant ainsi l’enseignement supérieur à une logique de marché. Les conséquences sont aujourd’hui dramatiques. Le hashtag #balancetafac avait mis sous le feu des projecteurs en septembre les cours surchargés, les amphis bondés et les personnels en sous-effectifs.

Mais plutôt que d’injecter les besoins massifs dont l’université a besoin, Frédérique Vidal dresse le portrait d’un ennemi intérieur qui « gangrénerait » l’université, joue sur les fantasmes pour faire tout sauf remédier aux problèmes véritables de l’université.

La rhétorique est classique pour la bourgeoisie, en situation de crise économique et sociale, il faut masquer la responsabilité de l’Etat et des classes dominantes. L’ennemi est tout trouvé, il est agité depuis des mois par le gouvernement. Et alors que sous couvert de lutte contre l’islamisme, le gouvernement avec la loi séparatisme s’est attaqué à nos libertés fondamentales, se sont aujourd’hui les libertés académiques qui sont attaquées et avec, la possibilité d’un enseignement critique qui est menacée.

Pour les étudiants et personnels de l’université, la seule voie permettant de contrer cette offensive répressive et réactionnaire se trouve dans la mobilisation. Les travailleurs et les travailleuses des universités, les étudiants doivent s’unir pour construire un mouvement large et massif capable d’imposer le retrait des contre-réformes néo-libérales qui précarisent l’université. De la même manière, seul un tel mouvement, en lien avec le mouvement ouvrier, sera en mesure de faire reculer le gouvernement pour le retrait de la loi séparatisme et de toutes les lois liberticides.


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