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Dissolution de la police des mœurs : une annonce ambiguë loin d’éteindre la révolte iranienne

L'annonce d'une dissolution de la police des moeurs a été largement relayée. Si celle-ci reste ambiguë, elle est révélatrice d'un régime iranien fracturé face à l’ampleur de la révolte en cours. Alors que le pouvoir poursuit sa répression violente, un appel à la grève est prévu jusqu’à mercredi.

Cécile Manchette

5 décembre 2022

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Contrôle de police en Iran, image d’archives. Crédits photos : Behrouz Mehri / AFP

Des secteurs de l’Etat divisés et inquiets face à la révolte

La police de la moralité (Gasht-e Ershad) responsable de la mort de Mahsa Amini le 16 septembre, élément déclencheur d’un mouvement de révolte réclamant la chute du régime qui dure depuis, pourrait être dissoute a-t-on appris ce week-end. Le conditionnel est de mise car cette annonce, formulée publiquement lors d’une conférence par le procureur général Mohammad Jafar Montazeri, est mise en doute par d’autres acteurs. Ce dernier a également déclaré au Parlement iranien que la loi qui oblige les femmes à porter le hijab serait examinée.

La semaine dernière, Mohammad Jafar Montazeri interrogé sur l’inactivité actuelle de la police des mœurs a déclaré plus exactement que « Cette police n’a rien à voir avec le pouvoir judiciaire et ses activités ont été arrêtées par l’organisme qui l’avait mise en place (…) », avant d’ajouter : « Bien sûr, le pouvoir judiciaire continue de surveiller les comportements [de citoyens] dans la société. »

Le contrôle de la police de la moralité, chargée du respect du code vestimentaire, ne relève en effet pas du pouvoir judiciaire, et donc du procureur général, mais du ministère de l’intérieur, c’est-à-dire du gouvernement. Ces derniers n’ont pas confirmé les propos du procureur ni évoqué la suppression de la police de la moralité pour le moment. Le 4 décembre, la chaîne de l’Etat iranien en arabe, Al-Alam, a elle rejeté l’interprétation faite par certains des déclarations du procureur général : « Des médias étrangers ont essayé de qualifier les mots du procureur général comme un quelconque recul de la République islamique sur la question du hijab à la suite de récentes émeutes. Or aucun officiel de la République islamique d’Iran n’a confirmé la suspension de la police des mœurs », peut-on lire sur le site d’Al-Alam. Dans le même sens, interrogé sur les déclarations de M. Montazeri lors d’une visite en Serbie, le ministre iranien des Affaires étrangères, Hossein Amir-Abdollahian, n’a ni confirmé ni démenti leur exactitude. Il a seulement déclaré qu’« En Iran, tout avance bien dans le cadre de la démocratie et de la liberté ».

En effet, il semblerait que la déclaration du procureur général et ses interprétations par les médias constitue une manœuvre exprimant un désaccord à l’intérieur du régime, alors que les dirigeants n’ont pour le moment pas l’intention de reculer face aux mobilisations et sur la question du port obligatoire du voile. Comme le rapporte, le Monde Diplomatique différents acteurs de la société iranienne s’inquiètent de la répression qui s’abat sur les iranien.nes depuis deux mois et demi, avec au moins 450 civils assassinés et 18 000 personnes arrêtées. Cette crainte s’exprime chez une partie du clergé qui redoute que la situation devienne incontrôlable, et que la répression féroce ne nuise à son influence idéologique. A ce titre, M. Montazeri qui a été antérieurement à la tête de la Cour spéciale pour le clergé pourrait faire partie de ceux qui partagent cette inquiétude, et aimeraient que le régime accorde quelques concessions.

La même crainte de la fuite en avant « s’exprime dans des médias proches des gardiens [de la révolution] comme l’agence Tabnak, fondée par leur ancien commandant en chef, M. Mohsen Rezayi. Tabnak a pris pour cible la violence des maréchaussées locales (une manière de disculper des principaux massacres les gardiens et le corps des bassidji), appelant à une refonte de la police de la moralité ainsi qu’au dialogue et à une réforme de la gouvernance de la République islamique. Ces appels rejoignent des initiatives plus ambitieuses comme celles du directeur du Centre de recherche du Parlement, M. Babak Negahdari (31 octobre), et, surtout, de l’Union nationale des avocats (1er novembre) (9). »

Une chose est sûre le « pouvoir se fracture » face aux mobilisations, et la suppression de la police des mœurs serait sans aucun doute une concession faites aux manifestants. « Les déclarations de Mohammad Jafar Montazeri sont ambiguës et invitent à être interprétées. Cela montre que les centres de prise de décision en République islamique d’Iran sont multiples et que le mouvement civil autour de “Femme, vie, liberté” arrive à exercer la pression sur le système », analyse Mojtaba Najafi, docteur en sciences de l’information et de la communication, pour le journal le Monde.

Arrestations, morts par balle, torture, condamnations à mort : l’annonce ne doit pas masquer l’ampleur de la répression iranienne

Si à l’heure actuelle la police des mœurs ne peut plus patrouiller comme elle le souhaite dans les rues iraniennes c’est avant tout parce que la population iranienne a instauré un rapport de force qui fait que les femmes manifestent aujourd’hui sans voile. « Nous, les manifestantes, ne nous soucions plus de l’absence de hijab. Nous sortons sans lui depuis 70 jours. », rapporte une manifestante.

Pour autant, une telle concession ne signifierait en rien l’arrêt de la répression à l’encontre des manifestant.es étant donné que l’ensemble des forces policières, judiciaires et militaires du pays sont aujourd’hui occupées à réprimer les manifestant.es. La répression judiciaire contre les entorses au port du voile continue, ainsi que celle contre les manifestants pouvant aller jusqu’à des condamnations à mort. Davantage encore, si cet organe a été fondé en 2005, d’autres forces militaires se chargeaient auparavant de faire appliquer le code vestimentaire. Aussi, il faut garder à l’esprit qu’en cas de suppression de la police des mœurs, rien ne garantirait qu’un autre organe n’émerge pour remplir une fonction similaire, ou que les forces de police actuelles s’acquittent de cette tâche. De plus, la loi qui rend le port du voile obligatoire n’a pas changé et condamne les femmes à une arrestation et à 72 coups de fouet en cas d’entorse à la règle. Une loi sur laquelle le guide suprême, Ali Khomeini, qui décide de toutes les grandes lignes de la politique intérieure, n’a pas l’intention de reculer.

La population iranienne ne semble pas être dupe des déclarations ambigües qui ont été faites ce weekend. Ali Mojtahedzadeh, avocat, qualifie dans les colonnes du Monde les propos du procureur général de « non transparents » et « ambigus », « Pourquoi il ne dit pas quelle organisation est à l’origine de cette police ? Quels sont les détails de l’ordre de l’abolition de la police des mœurs ? Quel est le sens de cette abolition alors que des décisions illégales comme le licenciement [à Qom, fin novembre] du directeur d’une banque pour avoir reçu une cliente mal voilée existent toujours ? », écrit-il sur Twitter.

Une annonce avant deux jours d’appel à la grève pour la chute du régime

Cette déclaration du procureur général est arrivée alors que se prépare une grève à partir de ce lundi 5 décembre jusqu’au mercredi 7 décembre, accompagnée d’appels à manifester. Aussi, la rumeur de la dissolution de la police des mœurs est instrumentalisée par certaines forces politiques et des médias pour faire pression sur le régime mais également pour réduire la révolte des iranien.nes à la question du port du voile obligatoire alors qu’elle dépasse largement cette question.

La population iranienne ne semble pas prête à s’arrêter pour une concession qu’elle considère comme étant une « mesure cosmétique ». Des propos de femmes iraniennes rapportés par la BBC illustrent cet aspect, on peut en effet y lire : « Une révolution, voilà ce que nous avons. Le hijab en a été le point de départ et nous ne voulons rien, rien de moins, que la mort du dictateur et un changement de régime. » ou encore, « Même le fait que le gouvernement dise que le hijab est un choix personnel ne suffit pas. Les gens savent que l’Iran n’a pas d’avenir avec ce gouvernement au pouvoir. Nous allons voir de plus en plus de personnes de différentes factions de la société iranienne, modérées et traditionnelles, manifester pour soutenir les femmes afin de récupérer davantage de leurs droits. ».

Aujourd’hui ce qui effraie tant la république islamique que le clergé et certains secteurs de la bourgeoisie iranienne, est la coagulation entre la jeunesse, les femmes et le mouvement ouvrier qui malgré la répression et la terreur continuent de se mobiliser pour un changement de régime, et conquérir plus de droits. Cette démonstration de force de la population iranienne conduit à une paralysie de l’activité du pays, la chute du régime n’est pas à écarter.


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