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Interview du 14 juillet : Macron assume les plans sociaux et l’augmentation massive du chômage

Après la cérémonie dans laquelle il a tenté de coopter les soignants, alors même que ceux-ci manifestaient quelques heures plus tard à Paris pour dénoncer le Ségur de la Santé, le Président a pris part à une longue interview en direct. L’occasion de revenir sur son changement de méthode, et de distiller quelques annonces assez marginales sur l’emploi des jeunes ou les gestes barrières.

Paul Morao

14 juillet 2020

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Crédit photo : capture d’écran C News

Après la cérémonie du 14 juillet, transformée pour l’occasion en hommage aux soignants dans une tentative grossière de coopter ceux qui ont été en première ligne face au coronavirus et à la gestion catastrophique du gouvernement, Emmanuel Macron s’est prêté à une longue interview. Face à Léa Salamé et Gilles Bouleau, le Président de la République a ainsi repris une tradition abandonnée depuis le début de son quinquennat, celle de l’interview du 14 juillet pour y délivrer un discours dans la stricte continuité de celui du 14 juin dernier.

Un bilan de trois ans en forme de mea culpa qui dévoile les faiblesses du macronisme

Invité à revenir sur les trois années écoulées, marquées par d’intenses conflits sociaux et par la détestation évidente du chef de l’Etat, Emmanuel Macron a fait de la première partie de son interview un mea culpa, cherchant ainsi à ouvrir la voie au « changement de méthode » dont le récent remaniement ministériel prétend être le point de départ.

Evoquant ses « maladresses », les « phrases sorties de leur contexte », et expliquant avoir « laissé paraître quelque chose que je ne crois pas être », il a ainsi considéré n’être « pas parvenu » à « réconcilier les Français ». Tout en revendiquant l’offensive contre les travailleurs qu’a constitué la première partie du quinquennat, qui a permis selon lui de faire « des réformes inédites », le Président a expliqué que la crise de confiance impliquerait de « changer de chemin pour y arriver, passer davantage par le dialogue social, par le dialogue avec les élus ». Un couplet déjà entendu à la fin du mouvement des Gilets jaunes mais qui sonne différemment après une année supplémentaire qui a approfondi l’épuisement du macronisme.

Concernant le « changement de méthode », le Président a défendu son choix de remercier Edouard Philippe. « Radicalement en désaccord » avec l’idée que son gouvernement serait un gouvernement de droite, il l’a au contraire présenté comme « compétent » et divers. Interpellé sur le symbole réactionnaire que constitue la nomination d’un Ministre de l’Intérieur accusé de viol et d’un Ministre de la Justice connu pour ses prises de position opposées à la libération de la parole sur les agressions sexuelles, Macron a par ailleurs choisi de se montrer ferme. Alors que de nombreux rassemblements ont eu lieu pour dénoncer le « gouvernement de la honte », le Président a défendu Darmanin en se faisant le « garant de la présomption d’innocence » et en réitérant sa confiance dans le Ministre de l’Intérieur dans une formule transparente : « J’ai eu une discussion avec lui (…) il y a aussi une relation de confiance, d’homme à homme si je puis dire ».

Des réponses maladroites sur son gouvernement qui montrent bien la contradiction entre le discours du Président et la réalité d’un gouvernement ancré à droite. Car si "changement de méthode" il pourrait y avoir, c’est moins pour "réconcilier" les Français, que pour tenter de se protéger face aux risques d’explosion sociale en tentant de coopter les directions syndicales dans un "dialogue social" réactionnaires, visant à faire accepter aux travailleurs les pires offensives patronales au nom de la crise économique.

Crise économique : Macron assume les plans sociaux et l’augmentation massive du chômage

Sur le terrain économique, Macron s’est en effet placé dans la stricte continuité de son discours du 14 juin. « Nous allons avoir des plans sociaux, ils ont déjà commencé, et nous allons avoir une augmentation du chômage massive » a ainsi assumé sans détour le Président, expliquant trouver réaliste les chiffres de l’INSEE qui parlent de 900.000 chômeurs supplémentaires d’ici la fin de l’année. Face à cette situation, le Président a évoqué un plan de 100 milliards d’euros supplémentaires pour la relance qui devrait s’inscrire dans la continuité de l’orientation pro-patronale des plans précédents.

Défendant ses mesures, Macron a en effet assumé la nécessité de faire payer les travailleurs. Interrogé par Léa Salamé sur l’APC de Derichebourg Aeronautics, qui conduira à des baisses de salaire allant jusqu’à 20% pour les salariés, le chef de l’Etat s’est exprimé favorablement à ce type d’attaque. « Ça ne doit pas être du chantage. (…) Je préfère des salaires qu’on accepte de réduire momentanément que des licenciements, mais ça doit passer par le dialogue social. » a ainsi expliqué Emmanuel Macron. Une belle occasion de dévoiler ce qui se cache derrière le « changement de méthode », l’urgence pour le gouvernement à coopter les syndicats pour négocier les conséquences de la crise sur le dos des travailleurs. Dans l’interview, Macron a tenté de minimiser cette politique pro-patronale avec des promesses de « formations » et d’« intéressement », dont l’arnaque récente des primes Covid a rappelé la réalité…

Concernant les jeunes, Emmanuel Macron a souhaité faire de nouvelles annonces. Rappelant l’importance accordée par le gouvernement à « l’apprentissage », le Président a ainsi annoncé 300.000 contrats d’insertion, 100.000 services civiques et 200.000 places dans des formations qualifiantes. Rien de très reluisant pour la jeunesse, puisqu’il s’agit, outre les formations, de contrats connus pour leur grande précarité ainsi que leur caractère limité dans le temps. Des contrats auxquels de nombreux jeunes sont déjà condamnés aujourd’hui et dont l’extension ne constitue en rien une réponse au chômage des jeunes qui va s’accroître avec la crise.

Face à la crise sanitaire et au danger d’une deuxième vague, de maigres annonces

Concernant la crise sanitaire, Emmanuel Macron a confirmé la présence de « signes que ça repart quand même un peu » et évoqué l’importance des gestes barrières. En guise d’annonces, le Président a expliqué souhaiter que l’« on rende obligatoire le masque dans tous les lieux publics clos » à partir du 1er août et vouloir faciliter l’accès aux tests sans ordonnances. Une mesure tardive pour ce qui est des masques comme l’a souligné Thierry Amouroux, porte parole du Syndicat National des Professionnels Infirmiers sur CNews, rappelant que celle-ci est réclamée depuis des semaines par les soignants pour éviter une deuxième vague et qu’elle devrait prendre place immédiatement, mais aussi aller de paire avec une régulation stricte du prix des masques dont le prix a explosé.

Deux mesures qui apparaissent en tout cas à l’opposé de la politique du gouvernement au cours des pires moments de la crise, mais qui n’ont pas empêché Macron de revendiquer son bilan, en faisant des critiques contre la gestion gouvernementale et les pénuries un simple signe de la « crise de confiance » des Français. Evoquant le sujet brûlant de l’école, Macron a par ailleurs joué l’optimisme pour mieux cacher les difficultés et les tensions souligné par les travailleurs de l’éducation, en expliquant que l’on était en « situation d’avoir une rentrée des classes quasi-normale ».

Réforme des retraites et Convention Climat : une fin de quinquennat fragile

Pour conclure, Emmanuel Macron s’est exprimé sur deux sujets brûlants, la réforme des retraites et l’écologie. Sur la première, le Président a réaffirmé la nécessité de mener à son terme cette réforme… tout en restant très évasif sur l’échéance de celle-ci. Dans le cadre de son « changement de méthode » Macron a en effet voulu insister sur sa volonté de « donner plus de temps [à la réforme], mieux la concerter, la remettre sur l’ouvrage » tout en laissant à Jean Castex le soin de « fixer un calendrier ». Alors que Léa Salamé et Gilles Bouleau l’interrogeait sur sa volonté de passer la réforme d’ici la fin du quinquennat, Emmanuel Macron s’est par ailleurs refusé à confirmer, comme pour se laisser la marge de remettre celle-ci à plus tard pour éviter de se confronter à une explosion semblable à celle de décembre 2019.

Sur la Convention Climat, Emmanuel Macron a en revanche tenté d’afficher un tournant plus volontariste, revenant sur les mesures de rénovation thermique annoncées et égrainant des promesses en lien avec les mesures de la Convention Climat. Concluant sur la nécessité de « donner un monde à voir » avec une perspective de long-terme, des mesures autour des contrôles au faciès ou de l’équipement en caméras des équipes de police ont été évoquées, tandis que Macron a botté en touche quant à la promesse d’une réforme constitutionnelle.

Une longue interview avec peu de nouveautés, mais qui permet à nouveau de dessiner la situation réelle d’un gouvernement qui se prétend prêt au « combat », mais qui frappe surtout par sa fragilité. Le refus de se positionner sur la réforme des retraites semble en ce sens révélateur des doutes qui peuvent habiter l’exécutif, par-delà les postures. En ce sens le « changement de méthode » promise semble surtout relier à la nécessité pour le gouvernement de s’appuyer sur le dialogue social dans la période à venir pour éviter l’explosion sociale et faire payer la crise aux salariés tout en agitant des mesures à la marge. Une stratégie qui démontre à nouveau le caractère réactionnaire et dangereux de la conciliation qu’assument les directions syndicales, et la nécessité a contrario de préparer les luttes qui permettront de refuser le projet du gouvernement pour faire payer la crise au monde du travail.


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