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Acte XVIII

Interview de Marie-Laure, gravement blessée à l’œil : « Je me sens comme une mutilée de guerre »

Travailleuse en EHPAD, Marie-Laure fait partie des blessés graves de l’Acte 18 des Gilets Jaunes, auxquels les grands médias n’ont pas daigné s’intéresser. Touchée à l’œil par un éclat de grenade sur les Champs-Élysées, elle nous raconte comment cela est arrivé et revient sur ce qui la pousse à rester mobilisée.

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Marie-Laure, 48 ans, habite dans le Loiret. Elle est fonctionnaire, responsable du service animation dans un EHPAD, où elle s’occupe de 220 résidents. Comment beaucoup, elle n’arrive pas à finir les mois. Nous avons recueilli son témoignage.

Tu as été blessée par grenade samedi à l’Acte 18. Comment ça s’est passé ?

« Nous étions, mon mari et moi, avec un groupe de gilets jaunes venant d’Etampes dans le département de l’Essonne. Vers 16h30, nous redescendions l’avenue des Champs-Elysées quand nous avons vu plusieurs camions de CRS en position et avons décidé de partir. Nous sommes arrivés à l’angle de la rue Galilée où se trouvaient plusieurs milliers de personnes. Il y avait de la lacrymo et nous nous tenions les uns les autres. J’avais la tête un peu baissée et j’ai vu une grenade tomber au milieu de la foule. J’ai crié : « Grenade ! Grenade ! » car j’avais peur que quelqu’un se fasse arracher un pied ou un mollet. Je n’ai pas eu le temps de dire le deuxième « grenade ! » que j’ai senti un choc à l’œil et je me suis mise par terre en hurlant parce que j’avais peur de me faire piétiner tellement il y avait de monde. Plus tard, mon mari m’a dit avoir vu la grenade tomber sur une plaque en ferraille puis, tout de suite après, m’avoir entendue hurler.

Puis les Street-médics sont intervenus. Ils sont arrivés tout de suite car ils n’étaient pas loin. Entre temps, le cordon de CRS a chargé. Mon mari et les autres gilets jaunes se sont mis autour de moi pour protéger les Street-médics qui m’ont évacuée un peu plus haut dans la rue. Les médecins du SAMU ont dû venir jusqu’à nous en voiture car ils ne pouvaient pas y accéder en camion puis j’ai été transportée aux urgences ophtalmologiques de l’hôpital Cochin. Là-bas, on m’a fait les examens nécessaires pour savoir si j’allais perdre mon œil et heureusement, ce n’est pas le cas. Je suis passée au bloc opératoire le dimanche après-midi car ils voulaient être sûrs qu’il n’y ait pas de lésion grave. J’ai compté, je dois avoir au moins quinze points de suture depuis le coin intérieur de l’œil jusqu’à l’arcade qui était complètement explosée. Et j’ai tout de même un risque de décollement de la rétine sous huit à dix jours à cause de l’hématome, mais je relativise en pensant à ceux qui ont perdu un œil. »

Pour en revenir au commencement, peux-tu nous raconter comment tu t’es retrouvée dans le mouvement des gilets jaunes ?

« Je suis une gilet jaune qui s’est réveillée le 17 novembre, un samedi matin. J’avais entendu parler de la taxe carbone et j’étais contre moi aussi. J’ai donc voulu aller voir qui étaient les gilets jaunes. En me voyant partir, mon mari m’a demandé où j’allais. J’ai répondu que j’allais voir si j’étais d’accord avec ce mouvement. « Au premier gilet jaune que je vois, je m’arrête » ai-je ajouté. Depuis ce jour-là, j’ai ouvert les yeux et j’ai l’impression d’être sortie d’une secte. J’ai appris énormément et découvert plein de choses comme par exemple l’endoctrinement des médias dominants. Je suis devenue une citoyenne adulte réveillée [rires]. »

Est-ce que la situation dans les EHPAD fait partie des choses qui t’ont révoltée ?

« Effectivement, cela en fait partie, de même que la situation dans les hôpitaux, du système de santé en général et de la sécurité sociale. J’ai découvert tout ce que Macron est en train de détruire petit à petit et je trouve cela hallucinant. Comme je disais tout à l’heure, j’ai vraiment l’impression d’être sortie d’une secte et de découvrir des choses en me disant « non, mais ce n’est pas possible je rêve ». Tous les jours depuis quatre mois, je découvre des vérités qu’on nous a cachées depuis 40 ans. A 48 ans, j’avais presque honte de n’avoir jamais vu tout cela avant.

Par exemple, les médias. Je suis née dans les années 70, je suis ce qu’on appelle « une enfant de la télé » et donc, j’ai toujours cru ce que racontait la télé. Je n’étais pas très branchée réseaux sociaux et je croyais bêtement ce qu’on me disait sans chercher à en savoir plus. J’ai une vie difficile et le 15 de chaque mois, je n’ai plus un rond. Je me disais simplement qu’il y avait des gens dans des situations pires ou meilleures que moi, que c’était comme ça et que ça irait mieux le lendemain. Mais je me suis rendu compte que tout ça était faux.

Je me souviens que j’étais super fière de voter aussi. Pour moi c’était un honneur. Et puis au bout de 7 ou 8 ans, je me suis dit qu’ils se foutaient vraiment de notre gueule. J’ai donc pensé à voter blanc mais je me suis dit que ça ne servait à rien puisque ça n’était pas pris en compte. Alors, j’ai décidé de ne plus aller voter en me disant que, puisqu’on parle un peu de l’abstention dans les médias, j’allais me faire entendre comme ça. Depuis quelques années, je me suis enlevée des listes électorales tellement j’étais dégoûtée. J’ai été me réinscrire au cas où le RIC arriverait car pour moi, c’est ce qui nous sauvera. »

As-tu un candidat pour lequel tu serais prête à voter aux Européennes ?

« Non, je ne suis pas prête à voter pour quelqu’un car j’en viens à penser qu’élire c’est abdiquer. Là, je vais aller voter, contrainte et forcée, pour faire un poids contre LREM mais je ne sais pas encore pour qui je vais voter. Mais j’irai. Autrement, je ne suis plus du tout pour ce système de vote universel qui est une arnaque totale. »

Quel regard as-tu sur les violences policières et la répression contre les Gilets Jaunes ?

« Je suis atterrée. Le 17 novembre, j’étais sur un rond-point et le 24 novembre j’ai voulu aller à Paris avec mon mari. C’était la troisième manifestation de ma vie. On est arrivés vers 9h et il y avait déjà plein de monde sur les Champs-Elysées : des enfants, des vieux, des moins vieux, venant de toutes régions confondues. Là, on a commencé à se faire gazer, on n’a rien compris. Ce jour-là, j’ai été choquée. Il y avait des mamies qui se faisaient pousser avec des boucliers et asperger de lacrymos pour rien. C’était choquant. On n’avait jamais vu ça de notre vie. »

Et dans quel état d’esprit es-tu après avoir été blessée ? Tu penses qu’il faut continuer à se mobiliser ?

« Bien sûr. Je ne suis pas démoralisée. J’étais déjà quelqu’un de motivée mais ça a décuplé ma motivation. Je suis marquée à vie par les violences physiques et psychologiques que j’ai subies et que je n’aurais jamais dû subir. Et pourquoi ? Parce que j’étais là, que je manifestais et que ça ne leur a pas plu. Ça aurait pu être n’importe qui d’autre comme ça l’a été d’ailleurs pour plein d’autres blessés. Ce n’est pas normal. Il faut que les gens ouvrent les yeux et sachent ce qu’il se passe. Quitte à être marquée à vie, autant que ce ne soit pas en vain, je dois servir à quelque chose. Je me sens comme une mutilée de guerre. C’est horrible de se dire ça à notre époque mais c’est vrai. »

Marie-Laure a fait un signalement à l’IGPN et s’apprête à déposer plainte. A cette fin, elle appelle toute personne ayant été témoin de sa blessure à lui transmettre témoignages, photos et ou vidéos. Ceux-ci peuvent nous être envoyés à [email protected]. Elle a également lancé une cagnotte en ligne pour l’aider à couvrir ses frais médicaux et d’avocats.

Propos recueillis par Flora Carpentier


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