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Interview d'une enseignante en collège REP+ du 93

Rentrée scolaire sous le signe de la colère des enseignants

Propos recueillis par Elise Duvel. Quelques 12 millions d'élèves ont fait leur rentrée scolaire mardi. Une rentrée scolaire particulièrement importante aussi pour le gouvernement qui entérine son chantier de la refondation de l'école, une priorité de ce gouvernement.L'ensemble des réformes (rythmes scolaires, réforme de l'éducation prioritaire, casse des statuts, réforme du collège) n'ont qu'un seul objectif : construire une école toujours plus inégalitaire, toujours plus soumise aux lois de l'entreprise et casser le cadre national de l'éducation.

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RP : Vous avez été préfigurateur de la réforme REP+ l’année dernière, peux-tu nous expliquer en quoi consiste cette réforme ?

Effectivement, nous avons été choisis parmi les « heureux élus » avec une poignée d’autres établissements pour expérimenter la réforme de l’éducation prioritaire. Le REP (Réseau d’Education Prioritaire) remplace les ZEP instaurées en 1981 et qui avaient pour objectif de « donner plus de moyens à ceux qui en avaient le moins » afin de réduire les inégalités territoriales.

Au fil des années, les budgets dans l’éducation prioritaire se sont réduits et se sont dilués. Ainsi, pour le gouvernement, l’heure était venue de mettre fin au dispositif des ZEP et remplacer celui-ci par une nouvelle appellation « le REP ». La ministre de l’éducation nationale a fait toute une série de déclarations en grande pompe pour vendre sa réforme aux enseignants. Le gouvernement promettait « de mettre le paquet dans l’éducation prioritaire en attribuant 350 millions d’euros supplémentaires », et « de prendre en compte les difficultés sociales et donner à ceux qui les cumulent ».

RP : Comment s’est traduit la mise en place de la réforme dans ton bahut ?

Le nouveau dispositif prévoit du temps dégagé pour les enseignants en REP+. Les enseignants ont une décharge de cours d’1h30 dans les collèges et neuf jours dans le primaire. Ce temps libéré devait servir à se réunir en épique, permettre un suivi plus régulier des élèves et se former. Il devait s’agir d’un temps libre pour les enseignants afin qu’il puisse se réunir lorsqu’ils le souhaitent, sur des sujets choisis par eux-mêmes. Mais dès le début de l’année scolaire, le principal nous a déployé un calendrier précis de réunions, à une heure fixe toutes les semaines, sur des thèmes précis complètement abstraits tels que « le parcours culturel des élèves » ou encore « réfléchir sur l’évaluation » avec des obligations de rendre des comptes. Très vite, ces heures ont, au contraire, alourdi notre temps de travail.

Par ailleurs, nous attendons toujours de voir la couleur des moyens supplémentaires promis pour la réussite de nos élèves.

RP : L’année dernière, vous aviez mené justement une grève reconductible en décembre pour dénoncer les fausses promesses de la réforme. Peux-tu nous parler de vos revendications ?

La première chose à dire est que la réforme de l’éducation prioritaire s’est faite à moyens constants. Ainsi, pour soi-disant financer sa réforme, de nombreux établissements sont sortis du réseau de l’éducation prioritaire de manière totalement arbitraire. Or, pour ces établissements, les difficultés sont toujours présentes et cela représente en réalité une attaque très forte contre les classes populaires. Parallèlement, nous constations que les belles promesses n’étaient pas au rendez-vous.

Nous avions un slogan qui résume bien la réforme : « REP+, rien en plus ». En effet, nous n’avons pas eu de moyens supplémentaires pour favoriser la réussite des élèves. D’ailleurs, nous avons même perdu des heures dans notre établissement qui se sont soldées par la perte de deux postes d’enseignants et en voulant nous imposer des heures supplémentaires pour combler la perte des deux postes perdus. Un comble, qui réduit à néant la pondération censée dégager du temps pour les enseignants.

RP : Le gouvernement a déclaré avoir créé de nombreux postes dans l’éducation. Qu’en est-il réellement ?

La réalité est bien différente des mesures annoncées. Ce sont les mesures d’austérité budgétaires qui priment partout. Alors que la hausse démographique est très forte en Seine-Saint-Denis, les ouvertures de postes sont très loin d’être satisfaisantes. On a entendu le discours de rentrée de la ministre de l’éducation nationale, Najat Vallaud-Belkacem ainsi que François Hollande vantant la politique du gouvernement de la mise en place des 60000 postes créés depuis 2012. Non seulement sans aucune illusion, on est loin du compte, mais quand bien même, ils sont encore loin de permettre de combler la suppression de 87000 enseignants entre 2000 et 2012.

Il y aussi de nombreux besoins en vie scolaire. Sur le département, sept postes d’assistants d’éducation ont été créés. Avec un chiffre aussi ridicule, il est évident que cela ne permet pas d’assurer l’encadrement des élèves.

RP : Peux-tu nous parler des autres réformes en cours.

C’est vrai qu’on peut dire que ce gouvernement a mis le paquet pour refonder et transformer l’école. Tout d’abord, cette rentrée est marquée par l’application de la réforme des statuts, réforme adoptée en 2014. Pour résumer, cette réforme est la révision des décrets de 1950 qui organisent le temps de service des enseignants et définissent le statut des professeurs du second degré dans le cadre d’une discipline et sur une base hebdomadaire et fixe. Ces statuts de 1950 sont loin d’être parfaits, instaurant des divisions de statut (entre certifiés et agrégés, etc.). Cependant, ils cristallisent un certain nombre d’acquis que le gouvernement souhaite remettre en cause, non pas pour améliorer les conditions de travail ou aller vers une Ecole plus juste, mais pour aller dans le sens d’une plus grande flexibilisation des métiers des enseignants. Elle instaure notamment une liste sans fin de tâches rendues obligatoires comme par exemple les réunions avec les parents d’élèves. Les enseignants les accomplissent déjà mais offraient le droit à une indemnisation. Maintenant, non seulement elles s’imposeront sans compensation mais s’imposeront à tous sans aucune limite.

Mais le gros chantier du gouvernement cette année est la réforme du collège. Une réforme qui contient de nombreux aspects mais dont les principaux peuvent se résumer à la réduction des heures d’enseignement, à une attaque massive contre les disciplines, à la mise en place de la logique de compétences, à l’autonomie des établissements.

La première mesure vise à diminuer les heures disciplinaires et à laisser 20% de la dotation horaires des établissements en EPI (enseignements pratiques interdisciplinaires) définis localement au sein de chaque établissement. On ponctionne donc des heures sur les disciplines pour mettre en place ces EPI. En calculant la perte de 20% d’heures disciplinaires, cela revient sur les quatre années passées au collège à 500 heures en moins pour chaque élève. Désormais, le conseil pédagogique (hiérarchie intermédiaire) et le chef d’établissement organiseront les enseignements dispensés dans l’établissement et moduleront les horaires disciplinaires au sein des cycles d’enseignement. La gestion locale renforcée par les EPI engendrera des parcours différenciés entre les élèves d’établissements différents puisque l’application des heures et la mise en œuvre des programmes seront gérés au sein de l’établissement. De même, la refondation de l’école doit reposer sur l’autonomie des établissements. Le chef d’établissement aura le loisir d’organiser le travail des enseignants en fonction des « projets d’établissement » et de ses propres objectifs.

Le deuxième volet qui rejoint le premier est donc une attaque contre les disciplines. Le latin et le grec par exemple, disparaissent en tant que tel et remplacés par un EPI « Langues et cultures de l’antiquité ». On voit bien que cela engendre des inégalités fortes entre établissements et de parcours entre les élèves entre ceux qui auront les moyens d’enseigner ces matières et ceux qui auront d’autres priorités.

Enfin, la réforme instaure définitivement la logique de compétences. Les disciplines ne sont plus valorisées pour les connaissances mais pour l’acquisition d’un savoir-faire afin de rendre l’élève apte à rentrer dans le monde de l’entreprise. Un exemple très fort de cette logique est que dès la 6e, les établissements mettent en place un « parcours avenir » de découverte professionnelle et de stages en entreprise dès la 5e.
On le voit bien, la casse du statut et la réforme du collège sont deux volets d’une même offensive : casser le cadre national de l’éducation, soumettre toujours plus les établissements scolaires aux cadres locaux.

Il ne faut pas oublier non plus le PPCR (les parcours professionnels carrière rémunération) qui n’est rien d’autre qu’une attaque en règle du statut de toute la Fonction publique et contre le statut de fonctionnaire. Le protocole contient deux axes : le premier sur les questions statutaires et le second sur les rémunérations. Premièrement, le PPCR vise à harmoniser le statut de fonctionnaire avec les « lois de décentralisation » en favorisant une mobilité accrue des fonctionnaires, en brisant le cadre national de la fonction public. Il s’agit d’instaurer les principes de management du secteur privé avec une évolution de carrière soumise non plus en fonction du grade du fonctionnaire et du concours mais en fonction de l’investissement de l’employé. Tout cela est parfaitement en corrélation avec la casse de l’éducation publique nationale et la logique de compétences inscrites désormais dans l’enseignement. Le deuxième axe concerne les rémunérations en parfaite corrélation avec la politique austéritaire du gouvernement : gel du point d’indice ou encore réduction de l’emploi public.

Enfin, la mise en place de l’enseignement moral et civique est un retour à l’ordre d’antan. Depuis déjà le début du quinquennat le gouvernement entendait mettre en place un retour aux valeurs et morales républicaines et laïques. Qu’est-ce que ça veut dire ? Que grâce à l’enseignement de la morale, on peut attester si un élève est bien dans le rang, apte à bien se comporter en groupe, à agir en bon citoyen. Après les attentats de Charlie Hebdo, le gouvernement avait déjà mis en place tout un protocole permettant de déceler un futur djihadiste. Aujourd’hui, il s’agit de prévenir en formatant les élèves à des discours réactionnaires. Pour ne prendre qu’un exemple, un des volets de ce nouvel enseignement est « l’engagement ». Il ne s’agit évidemment pas d’inculquer l’engagement militant ou politique contraire aux valeurs de la République ou tout simplement développer un regard critique. Non. On nous propose par exemple, d’enseigner l’engagement dans l’armée comme engagement citoyen. Mais ne surtout pas parler des guerres menées par nos chers Etats en Irak, en Syrie ou en Afrique, guerres qui sont le terreau du développement du terrorisme.

Et puis, que signifie enseigner la morale de l’égalité dans une société inégalitaire ? Dans des valeurs républicaines qui ne sont faites que de réformes contre le monde du travail, contre les classes populaires et qui instaurent un racisme d’Etat et une ségrégation envers les populations immigrées ? Des valeurs qui laissent des milliers de migrants sans papiers, à la rue ? Des valeurs qui répriment les mouvements et les mobilisations ? Bref, cet enseignement-là est tout à fait réactionnaire.


RP : Quelles perspectives de mobilisations cette année ?

Pour faire face à toutes ces attaques, il est clair que seule une mobilisation massive pourra faire plier ce gouvernement qui est bien déterminé à faire passer toutes les réformes jusqu’au bout.

L’année dernière, deux journées de mobilisations, appelés par les centrales syndicales de l’éducation contre la réforme du collège en mai et en juin avaient eu lieu. Une nouvelle journée de mobilisation est prévue déjà en septembre ainsi que le 8 octobre, journée de mobilisation interprofessionnelle. Cependant, il faut avoir conscience que des journées saute-mouton ne suffiront pas pour faire plier le gouvernement. Pour obtenir le retrait de la réforme, il faudra construire un rapport de force dans la durée, se mettre massivement en grève, construire la mobilisation par des assemblées générales et exigeants des directions syndicales qu’elles cessent toute concertation avec le gouvernement et qu’elles appellent à des journées de mobilisations rapprochées.

On peut même penser que pour contrer les PPCR, il faudra construire un front unitaire de l’ensemble des secteurs touchés par ce plan comme les agents territoriaux mais aussi le secteur hospitalier déjà massivement mobilisés en juin.

02/09/2015


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