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Interview

Interview. Pass sanitaire et licenciements : "L’offensive du gouvernement appelle une réponse immédiate"

Dans un contexte de mobilisations contre le pass sanitaire et alors même que Sud Commerce a rendu publiques des menaces de licenciement adressées par différentes enseignes à des salariés non-vaccinés, Laurent Degousée de Sud Commerce et Rafael Cherfy de la CGT Chronodrive analysent les tensions qui traversent leur secteur et défendent la nécessité de l'intervention des syndicats dans le mouvement naissant.

20 juillet 2021

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Laurent Degousée est co-délégué de la fédération Sud Commerce, qui a rendu publiques les « notes de service » de différentes enseignes commerciales à leurs salariés, les invitant à se faire vacciner sous la menace à peine voilée d’être licenciés. Rafael Cherfy est responsable de la jeune section syndicale CGT Chronodrive, dans le secteur de la grande distribution concerné par ces menaces, et militant à Révolution Permanente. Tous deux nous livrent leur analyse des enjeux qui traversent le secteur, pris en tenaille entre la nécessité de la vaccination et la menace que représente la mise en place du pass sanitaire pour l’ensemble des salariés.

Révolution Permanente : Suite aux annonces de Macron concernant le pass sanitaire lundi dernier, on voit que les patrons de plusieurs enseignes se sont empressés de communiquer à leur employés la menace de licenciements pour défaut de pass sanitaire à compter dès le mois d’aout. Quelles sont vos informations à ce jour, qu’est ce que cela signifie concrètement ?

Laurent Degousée : On parle d’un projet de loi, qui doit être présenté au conseil des ministres puis débattu au parlement cette semaine, qui doit être voté, qui sera probablement soumis au contrôle du conseil constitutionnel et qui sera le cas échéant promulgué, et dès lors applicable à tous. Ce qu’on observe avec ces menaces de licenciements, c’est que les employeurs s’engouffrent dans la brèche ouverte par Macron et veulent édicter des règles, mais elles ne sont pas légales : ils peuvent dire ce qu’ils veulent, pour le moment légalement ils ne peuvent s’appuyer sur rien.

Cela étant dit, ces menaces reposent sur la perspective de devoir présenter un pass sanitaire pour aller travailler, c’est à dire soit un certificat de parcours de vaccination complet, soit un test PCR négatif toutes les 48h, soit un certificat de rémission. Et ça va plus loin : dans Les Échos, les employeurs parlent d’exiger à l’embauche un certificat de vaccination pour les salariés !

Rafael Cherfy : Pour nous, à la CGT Chronodrive, cette obligation vaccinale masquée est très grave, d’autant plus pour les secteurs comme le notre, où on est une majorité de jeunes salariés en temps partiel qui travaillons pour financer nos études, c’est à dire la frange de la population qui est la moins vaccinée. Aujourd’hui, c’est un choc de comprendre que certains ne pourront peut-être pas garder leur travail à cause de cette obligation vaccinale qui ne dit pas son nom. Cela signifie que nous allons devoir non seulement chercher à convaincre les salariés d’aller se faire vacciner, pour des raisons de santé publique, mais aussi lutter contre les licenciements ou les suspensions de contrats qui pourraient survenir avec le pass sanitaire.

RP : En quoi le gouvernement est-il responsable de cette situation selon vous ?

Rafael Cherfy : Pour nous, le gouvernement est totalement responsable. Les multiples mensonges, notamment sur la question des masques, et la gestion de la crise sanitaire en général qui n’a été que répressive depuis le début alors que les moyens manquent cruellement dans les services public de la santé ou encore de l’université, ont généré une défiance vis à vis de la vaccination qui est légitime de la part de salariés dans beaucoup de secteurs,

Laurent Degousée : Quand le Covid est arrivé en mars, on a vu comment ça se passait concrètement sur le terrain. On est enfermés dans des injonctions contradictoires. Je me rappelle notamment qu’un certain nombre d’employeurs interdisaient aux salariés de porter des masques parce que c’était « anxiogène » pour la clientèle : ensuite c’est devenu la norme. Beaucoup de salariés n’ont pas attendu les directives, ni des employeurs ni du gouvernement, pour se protéger, par exemple lorsqu’ils ont fait usage de leur droit de retrait : à ce moment là on les menaçait de sanction, comme à Amazon avant qu’on saisisse le juge. Il faudrait prendre pour argent comptant ce que nous demande que le gouvernement, alors que de bout en bout il a faillit ? Les salariés se demandent : qui faut-il croire ? Leur employeur ? Le gouvernement ? La confiance est rompue.

RP : Les salariés de la grande distribution ont fait partie de ce qu’on a appelé la seconde ligne de la pandémie depuis le début de la crise sanitaire. Aujourd’hui, le gouvernement et le patronat les menace de licenciement. Quelles sont les réactions parmi les salariés ?

Rafael Cherfy : La colère est d’autant plus forte dans ces secteurs qui, comme le notre dans la grande distribution, ont dû violemment s’adapter à la crise sanitaire. À Chronodrive, pendant le premier confinement, cette adaptation a donné lieu à une augmentation de 40% du chiffre d’affaire pour toutes les enseignes de drive confondues, c’est à dire à une hausse de cadence très importante sans nécessairement d’embauche de personnel pour l’assumer, et des récompenses quasi nulles : des primes Macron de 1000e promises, qui se sont transformées en quelques centaines d’euros pour la plupart. Tout cela est déjà vécu par les salariés comme un profond mépris de tous leurs efforts, et ce sentiment est attisé par les menaces de licenciement.

Laurent Degousée : Il y a eu la note de Burger King, celle de SFR, celle de Sephora, celle d’un parc de loisir qui s’appelle Speed Tour, et on en reçoit tous les jours. On reçoit aussi des appels de salariés. Par exemple, deux salariés d’un restaurant nous disent que, dès le lendemain des annonces présidentielles, ils ont demandé des créneaux de vaccination à tout prix à la pharmacie, car s’ils ne sont pas vaccinés au 1er aout le patron leur a dit qu’il les licenciera.

RP : Les mobilisation qui fait suite aux annonces du gouvernement, contre le pass sanitaire, bien qu’elle traduise en premier lieu une forte défiance légitime vis à vis d’un gouvernement de plus en plus autoritaire, rassemble des secteurs et des revendications confuses. Avec RP, nous pensons que les organisations du mouvement ouvrier ont un rôle central à jouer dans ce mouvement, d’une part pour convaincre notre classe de la nécessité d’un élargissement de la vaccination d’un point de vue sanitaire, et d’autre part pour articuler le rejet du pass sanitaire à une lutte d’ensemble contre le gouvernement et ses mesures antisociales et liberticides. Qu’en pensez vous ?

Laurent Degousée : Notre syndicat rejoint parfaitement cette analyse. On trouve beaucoup d’analogie entre ce qui se passe et le mouvement des Gilets Jaunes. Dès le 24 novembre 2018, on avait pris le parti d’aller sur les Champs-Elysées en tant que syndicalistes pour comprendre ce qui se passait. Samedi dernier, on était à la manifestation parisienne - celle organisée par les Gilets jaunes et pas celle de droitards et autres antivaxx honteusement récupérée par Philippot et compagnie. La vaccination elle a une démarcation de classe : il y a moins de vaccinés dans le 93 qu’à Paris dans le 16ème, il y a plus de vaccinés dans les couches supérieures que dans les couches plus prolétaires.

Mais là concrètement que propose le mouvement ouvrier ? Que propose le mouvement syndical ? On est en congés ? On attend le 30 aout pour nous annoncer la date de la rentrée sociale ? Macron n’attendra pas pour faire son dégât. Licencier un salarié en raison de son état de santé, c’est très encadré dans notre droit actuellement. On va créer une exception sous peine que demain elle soit élargie à d’autres ? Ça appelle une réponse immédiate, pas une réponse à la rentrée. On ne comprend pas par exemple pourquoi il n’y a pas encore eu d’intersyndicale pour se réunir et proposer des choses sans attendre. Sinon, on laisse un boulevard, d’une part au camp de Macron et d’autre part au camp trusté par l’extrême-droite.

Rafael Cherfy : La colère qui s’exprime dans les mobilisation actuelles est légitime, dans le sens ou, même si elle est confuse, c’est une grande partie de notre classe qui sort dans la rue sur la base d’une défiance vis à vis du gouvernement et, en fond de teinte, des grands laboratoires pharmaceutiques. Même si cela comprend tout un secteur d’extrême-droite, complotiste et anti-vaccin, nous, en tant qu’organisations syndicales du mouvement ouvrier, notre rôle doit être justement de proposer une alternative à l’extrême-droite qui cherche à prendre la direction du mouvement, à l’instar de ce qu’on a pu voir à Paris samedi dernier. Cela recouvre un double travail.

D’abord, il s’agit dans nos entreprises, à travers nos syndicats, d’aller chercher les salariés pour les convaincre de la vaccination, qui ne doit pas être imposée par le gouvernement par la répression, mais mise en place par un effort de conviction depuis les structures où les travailleuses et les travailleurs s’organisent. Dans un deuxième temps, notre travail doit être celui de construire une mobilisation contre la gestion autoritaire de la crise. Il y a avait déjà eu des mobilisations dans ce sens, au niveau syndical, qui émanaient de l’hôpital. Elles sont d’autant plus urgentes aujourd’hui, du fait que la mise en place du pass sanitaire menace directement les salariés. Potentiellement, avec tous les secteurs concernés, ce sont des millions de salariés qui peuvent être menacés de licenciement s’ils ne sont pas vaccinés. Il y a eu urgence à ce qu’on pose des dates de mobilisation communes, unitaires, qui donnent une alternative à ces mobilisations confuses qui, jusqu’ici, ne portent pas de revendication de classe et s’arrêtent à celle d’un principe de liberté individuelle. Aujourd’hui, parce qu’il devient clair que les salariés sont directement touchés par la mise en place de pass sanitaire, cette mobilisation pourrait aller plus loin.


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