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Une crise qui se poursuit

Interview-Grèce. Paroles de militant-e-s

Dimitris, Thanasis et Mirto. Des travailleurs et militants grecs. Les deux premiers sont membres du Syndicat des travailleurs du livre de la région d'Athènes. Mirto, elle, est enseignante au chômage. Avec nous, ils partagent leurs réflexions sur la situation depuis la capitulation de Tsipras. Leur discours est marqué par le même état d'esprit : colère, incertitude et une soif de raconter ce que vit la Grèce ces derniers temps. Et tous les trois voient la nécessité de poursuivre le combat après l'été.

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Laura Varlet et Josefina Martinez, correspondance d’Athènes

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Nous leur avons demandé comment ils ont vécu le militantisme pendant la semaine précédant le référendum...{}

Mirto : Cette semaine-là a été très intense, très combative, pleine d’énergie. La majorité des gens croyait au début qu’on allait perdre parce que ce que l’on voyait dans la presse et à la télé était terrible, il y avait beaucoup de peur. C’était du terrorisme. Tous les médias disaient que ’OXI’ signifiait « grexit », se placer « en dehors de l’euro ». De plus, le contrôle des capitaux avait été instauré et toute cette situation nous faisait penser que le ’NAI’ (oui) allait gagner. Il y a eu des manifestations organisées par ceux qui soutenaient le NAI ; leur mot d’ordre était « nous vivons en Europe »... Et la semaine du référendum, il y a eu des manifestations pour le NON et le OUI à des endroits différents le même jour. A la manifestation pour le OUI, il y avait du monde, mais pas tellement. En revanche, place Syntagma, la manifestation pour le NON a été énorme, avec vraiment beaucoup de monde. Et pas seulement des militants d’extrême-gauche. Il y avait les habitants d’Athènes qui étaient là pour soutenir le NON. Après tout cela, nous avons tous commencé à croire que le NON était possible. {}

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Dans la discussion avec Dimitris, militant du Syndicat des travailleurs du livre, nous lui avons demandé quelle était la position du syndicat du livre vis-à-vis du référendum...{}

Dimitris : Nous avons sorti une déclaration publique dans laquelle nous avons affirmé que notre NON était un « non » de la classe ouvrière et qu’il fallait que la classe ouvrière s’exprime. Les gens discutaient du référendum et du NON partout, dans les cafés, dans quartiers, sur les lieux de travail, en attendant le bus ou le métro. {}

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Les jours précédents le référendum ont signifié une polarisation sociale très importante, marquée par d’intenses discussions politiques. Thanasis raconte que sur tous les lieux de travail, on discutait, et que les différentes positions s’affrontaient. Les patrons étaient pour le OUI et disaient que si le NON gagnait, ils allaient fermer. De fait, un certain nombre de travailleurs ayant fait campagne pour le NON font aujourd’hui l’objet de pressions et sont menacés de licenciement.

Pour ce qui est du vote populaire pour le NON, considérant la façon dont le gouvernement a appelé le référendum ...

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Dimitris : Je crois que le NON était majoritairement un « NON à l’austérité et aux memorandums ». Je crois que le NON signifiait aussi un NON aux gouvernements et au système politique qui mettent en place les mesures d’austérité. Et pour moi, personnellement, c’était aussi un NON contre le capitalisme, mais bon, c’est ma version à moi. Il est difficile de savoir si la plupart des gens qui ont voté NON voulaient sortir de l’Union européenne, mais je crois qu’une partie importante en était convaincu. C’est pourquoi ce secteur du NON s’est scandalisé lorsque Tsipras a fini par négocier. {{}}

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Mirto a également souligné qu’« il y avait un problème avec le NON et le OUI. Chacun traduisait le NON ou le OUI comme bon lui semblait. Et c’était un véritable problème. C’était alors facile pour eux de dire que ’NON’ voulait dire ’Grexit’ et que ’OUI’ signifiait ’soutenir l’Europe’, ou que ’nous voulons que la Grèce soit dans l’Europe’, et tout ça. Le NON ne signifiait pas non plus que nous voulions tous un Grexit ».{{}}

Pour ce qui est de la perception de l’attitude de Tsipras quand il a annoncé vouloir continuer les négociations avec la Troïka afin de parvenir à un « meilleur accord », Thanasis souligne combien « personnellement, je pensais que ce que Tsipras voulait, c’était démissionner du gouvernement et se débarrasser du problème. Si le résultat avait été 51 % à 49 %, il aurait pu dire quelque chose comme ‘j’ai fait tout le possible, mais les gens ne veulent pas aller plus loin, donc je ne peux pas continuer...‘. Mais tout le contraire est arrivé. Lors de la grande manifestation du 3 juillet, c’était clair que ce que les gens criaient était totalement différent de ce que Tsipras affirmait dans ses déclarations... Les gens scandaient slogans très durs contre la Troïka et même contre le capitalisme ».{{}}

Mirto : Je ne sais pas si Tsipras cherchait à quitter le gouvernement, mais ce qui est clair, c’est qu’après ce « NON », avec une victoire si importante, Tsipras a utilisé le NON d’une manière complètement différente de ce que nous attendions tous (y compris les militants à l’intérieur de Syriza). Ce qu’il disait était tellement différent de ce qu’attendaient les gens qu’on commençait à raconter une blague comme quoi « le Tsipras qui nous revient de Bruxelles n’est pas le vrai Tsipras, c’est un clone », qu’on lui avait fait quelque chose à Bruxelles pour qu’il revienne aussi métamorphosé par rapport au mandat que les gens lui avaient donné... Au début, je croyais qu’il voulait négocier à partir d’un meilleur rapport de force. En réalité, dès le lendemain, nous avons pu voir que non, que l’accord était encore pire.{{}}

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La discussion a également portée sur comment cette capitulation de Tsipras a été vécue. Pour Mirto, « nous étions stupéfaits, déconcertés. La majorité espérait qu’il allait du moins négocier un meilleur plan, mais non, c’était le plan de Juncker. En plus, pendant six mois, nous avons négocié à Bruxelles, et rien n’a été fait ici en Grèce, ils n’ont rien voté... »{{}}

Thanasis : Par exemple, sur la question des droits de l’Homme ou la question de la police, qui est pleine de fascistes, qui représente un sérieux problème, ici, le gouvernement n’a rien fait. Le gouvernement disait qu’il fallait attendre parce qu’il négociait avec la Troïka et c’était le plus urgent. Bien, maintenant Tsipras ne peut plus rien faire parce qu’il a négocié et le gouvernement a les pieds et poings liés et ne peut même pas légiférer librement sans l’autorisation de la Troïka.{{}}

Mirto : Le gouvernement dit que le troisième « sauvetage » est meilleur que les deux autres parce qu’il y a une augmentation de la TVA de 13 % à 23 % seulement, alors que les gouvernements précédents avaient mis en place une réduction de 40 % des salaires... C’est pour cela que le gouvernement Tsipras serait prétendument mieux que les deux autres...{{}}

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Au cours des échanges, nous leur avons demandé s’ils croyaient qu’une capitualtion aussi abrupte de Tsipras pouvait frayer le chemin à une nouvelle expérience pour des secteurs avancés du monde du travail et de la jeunesse.

Dimitris : Avec l’approfondissement de la crise, il y a une rupture avec les illusions qui existaient sur l’Union européenne. Syriza a affirmé dès le début qu’il rejetait l’austérité mais voulait que la Grèce reste au sein de l’Union européenne. Maintenant, il est clair que c’est impossible. Même si beaucoup continuent à soutenir Tsipras, je crois que de plus en plus de gens n’ont plus d’illusions sur l’Union européenne.{{}}

Mirto : Je crois que tant le « sauvetage » que le « Grexit », sont deux options mauvaises. Parce qu’un Grexit, selon ceux qui le souhaitent, est aussi très mauvais. Ce n’est pas une issue ni une solution pour les travailleurs. On veut étouffer ce peuple pour toujours parce qu’il voulait faire quelque chose de différent et aller contre le grand capital. C’est mon impression.{{}}

Thanasis : Beaucoup de monde croit que maintenant on veut quitter l’Union européenne, mais ils disent aussi que nous ne pouvons pas parce que la Grèce est un petit pays et que les autres pays, surtout l’Allemagne, vont nous écraser.{{}}

Mirto : Quand Tsipras a été élu, il a dit que son gouvernement allait être le premier à mettre en œuvre tout ce qu’il avait promis pendant la campagne électorale. Qu’a-t-il fait en réalité ? Il a fait quelque chose de pire que Nouvelle Démocratie, critiquée par Syriza quand ce dernier était à l’opposition. Il a dit qu’il y avait un chantage qu’on faisait au pays, et cela, j’en suis persuadé. Mais le problème est de savoir pourquoi nous en étions arrivés là.{{}}

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Avec Dimitris, nous avons discuté de la manifestation du 15 juillet, le jour où le Parlement grec était en train de voter l’accord. Ce jour-là, 54 manifestants ont été arrêtés, 14 d’entre eux ont été poursuivis, et 3 ont été finalement condamnés à des peines de prison avec sursis. Dimitris était témoin pour la défense des militants poursuivis pendant les procès. « Nous avons participé en tant que syndicat à la manifestation et nous avons fait une déclaration publique pour inviter tous les travailleurs à y participer également. Il y avait pas mal de monde et la police a commencé à nous réprimer avec beaucoup de violence, à nous gazer et à arrêter nos camarades qui ont été immédiatement poursuivis. Parmi les manifestants arrêtés, il y avait le secrétaire général de notre syndicat. Nous avons fait une campagne pour sa libération et j’étais moi-même témoin lors du procès. Le juge a ordonné la condamnation de trois manifestations sans aucun motif, ni aucune preuve. L’un des manifestants jugés, un camarade d’origine albanaise, a été le plus sévèrement puni, avec une sorte de double peine, parce qu’il est immigré. Il aura très probablement des problèmes pour renouveler ses papiers et pouvoir rester en Grèce, alors qu’il vit ici depuis qu’il a l’âge de trois ans ! En Grèce, nous avons hérité d’un système judiciaire et des forces répressives de l’époque de la dictature, totalement corrompus. »{{}}

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Quant aux perspectives, pour Thanasis, « il y a un grave problème parce que Syriza incarnait les illusions de la majorité des mouvements populaires et maintenant beaucoup de gens, combatifs, se sentent perdus, découragés... »{{}}

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Mirto : Il y a un sentiment de trahison aussi, de déception... Mais en octobre, quand les mesures d’austérité vont commencer à se faire sentir, je crois qu’il va y avoir des luttes. Mais je crois que pour que les choses changent, pour de vrai, il nous faudra des luttes très importantes. La situation reste cependant ouverte, et c’est pour cela qu’il y a toujours de l’espoir que quelque chose de différent puisse arriver. Ce que veut faire croire le gouvernement, c’est terrible. Ils veulent tout privatiser, tout vendre, ils veulent tout vendre, jusqu’aux îles, jusqu’à l’Acropole...{{}}

Dans les prochains mois, sans doute entendrons-nous les voix de Thanasis, Dimitris et Mirto dans les colonnes de Révolution permanente, comme protagonistes des luttes nouvelles contre les projets du gouvernement Syriza et de la Troïka.


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