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Quand les profits passent avant la sécurité

Interview. Ahmed, élu CGT RATP, menacé de révocation pour avoir signalé des bus défectueux !

Alors que les cheminots dévoilent les graves manquements à la sécurité à la SNCF, des élus RATP signalent que les conditions dans lesquelles roulent les bus parisiens sont tout aussi déplorables. Pas de quoi plaire à leur direction, qui menace de révocation Ahmed, chauffeur de bus au dépôt de Flandres à Pantin et syndicaliste combatif. Une véritable provocation !

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Ahmed Berrahal est chauffeur de bus – machiniste-receveur dans le jargon RATP – depuis 16 ans au dépôt de bus de Flandres à Pantin. Militant CGT de tous les combats, il est actuellement secrétaire du CSSCT (commission santé, sécurité et conditions de travail, anciennement CHSCT) du CSE2 RATP au département Bus. C’est dans ce cadre qu’il a participé avec 12 autres élus, le 30 septembre dernier, à un contrôle des bus sortant du dépôt de Belliard, dans le 18e arrondissement parisien. Un contrôle ayant permis de démasquer, d’après un tract CGT, « un constat plus qu’alarmant », avec 70% de bus jugés non conformes. Ahmed revient dans cette interview sur ces manquements à la sécurité mettant en danger aussi bien les travailleurs de la RATP que les usagers, alors que la rentabilité est devenue le maître-mot d’un service public en voie de privatisation.

Il nous parle également des méthodes de la direction de la RATP pour se débarrasser d’agents au statut, et d’autant plus des têtes les plus combatives à l’approche du bras de fer qui s’annonce contre la réforme des retraites. Une motivation de poids pour la RATP, qui tente le tout pour le tout en le convoquant le 12 novembre à un entretien en vue d’une "mesure disciplinaire pouvant aller jusqu’à la révocation". Deux autres élus sont convoqués à des dates différentes, pour des sanctions moins sévères mais pouvant tout de même aller jusqu’à 5 jours de mise à pied.

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Révolution Permanente : Ta convocation nous permet de découvrir les conditions de sécurité des transports parisiens... pas franchement rassurantes. Tu peux nous en dire plus ?

Ahmed : « Oui justement c’est à ça que servent nos mandats d’élus à la sécurité : on contrôle les bus pour savoir s’ils sont conformes, car beaucoup d’entre eux sortent le matin sans l’être. Par exemple s’il manque un clignotant, si le pare-choc est tranchant et peut blesser quelqu’un, si le klaxon est défaillant, s’il manque un extincteur, un brise-glace, ou parfois des câbles près de se toucher, ce qui peut déclencher des incendies... Il y a un an un Roissy Bus a pris feu avec des passagers à l’intérieur ! La RATP a beaucoup réduit les effectifs de maintenance, du coup il y a de plus en plus de problèmes. Certains bus sortent avec le pare brise fissuré, les rétroviseurs scotchés alors que c’est interdit... Il n’y a même pas 3 semaines un bus 133 a pris feu à la gare de Garges, sans doute à cause d’une défaillance électrique ou d’un court-circuit. »

RP : Finalement on retrouve les mêmes problématiques qu’à la SNCF, comme l’ont montré les cheminots avec leurs droits de retrait. Pour toi ça répond à une même logique de casse du service public ? »

Ahmed : « C’est évident ! Aujourd’hui la direction de la RATP ne veut plus réparer, ils laissent tout se délabrer pour laisser la concurrence arriver. Comme leur idée c’est que les dépôts soient vendus, ils sont en train de réduire les budgets et n’embauchent plus. Un tiers des effectifs a été supprimé sur le département de maintenance MRB (matériel roulant bus), en seulement 10 ans, tout cela pour un gain de productivité ! Mais une personne ne peut pas réparer 20 bus, c’est pas possible. Donc ils ne font plus de préventif, ils ne font que les grosses réparations type plaquettes de frein, mais ne vont plus vérifier si le bus peut prendre feu par exemple. Ils préfèrent prendre le risque, et ça tout le monde le sait aujourd’hui.

Pour la direction, un kilomètre perdu correspond à une perte de 5 à 10€, donc pour eux il faut que les bus roulent à tout prix, c’est les kilomètres avant la sécurité ! »

RP : Et dans ce contexte, comment agissez-vous en tant qu’élus à la sécurité ?

Ahmed : « Personnellement en tant que secrétaire CSSCT du CSE2 je suis missionné sur 6 dépôts de bus du Nord-Est parisien : Belliard, Flandres, Saint Denis, Asnières, Pleyel et Aubervilliers. Donc j’ai le droit de les contrôler quand je veux. Ce jour-là, le 30 septembre, on a constaté qu’il y avait 70% de bus non conformes. C’est notre mission, en tant qu’élus par le personnel, de préserver la sécurité. Mais pour la direction on ne devrait pas contrôler, ils attaquent carrément nos droits ! On me reproche ouvertement « une perte de 5494 kilomètres commerciaux », ce qui correspond à 30.000€ de pertes !

Souvent ce sont les machinistes qui nous appellent dès qu’il y a un problème. Si on est en train de conduire, étant donné que je suis machiniste, je peux garer mon bus, ils viennent le chercher, et je me déplace immédiatement. C’est notre droit, c’est la loi ! Donc avec les reproches qui me sont faits, ils nous attaquent directement sur nos prérogatives, j’ai jamais vu une attaque pareille ! »

RP : En s’en prenant à toi qui es délégué syndical, il y a certainement une volonté de faire un exemple, pour tenter d’intimider les agents RATP ?

Ahmed : « Clairement, si on nous attaque nous, c’est une façon d’attaquer tout le monde ! Avec la loi travail nos effectifs sur le terrain ont été réduits de plus de moitié, et malgré ça on continue à faire notre boulot et à leur démontrer qu’on est sur le terrain, auprès des salariés... ça les dérange beaucoup. La direction ne veut plus que nos actions se reproduisent, ils voudraient qu’on n’aille plus contrôler.

Et puis moi ça fait 16 ans qu’ils veulent ma tête parce qu’en tant que militant CGT je suis sur le terrain et j’ai toujours défendu tous les collègues. Par exemple à Belliard il y a 3 mois on a dénoncé une affaire de harcèlement sexuel d’un responsable d’équipe à l’encontre d’une machiniste, que la direction avait cherché à camoufler, alors elle m’a appelé, je l’ai défendue, et ils ont dû relancer l’enquête. Je défends aussi des femmes enceintes à qui ils font faire n’importe quoi, comme démarrer un bus à 4h du matin par une température de -6°C, ou porter des caisses de monnaie de 3Kg chacune, une dans chaque main... et comme je dénonce tout ça le RH du département veut ma tête. Mais jusqu’ici je n’ai jamais eu de sanction, et là ils ont décidé de m’attaquer de front. Ils cherchent à allumer des gens comme nous qui ont du pouvoir, parce qu’à Flandres je suis reconnu, ils savent que la CGT est en force là bas, qu’on est respectés. Donc les gars se disent ’s’ils attaquent Ahmed, demain ils attaquent qui ils veulent !’ ».

RP : Est-ce que cette répression ne s’inscrit pas aussi dans le contexte de la grève qui se prépare à partir du 5 décembre, après la journée très suivie du 13 septembre, pour essayer de faire rentrer les agents dans le rang ? »

Ahmed : « Oui, il faut dire que le 13 septembre la grève a été massive. Nous au dépôt de Flandres où on est environ 750 chauffeurs de bus, il y avait plus de 50% de grévistes ! Et pour le 5 décembre les gars sont chauds pour partir en grève pour les retraites, en plus avec ce qui vient de m’arriver ils se disent que c’est pas possible... il faut dire que j’ai défendu beaucoup d’entre eux lors de leurs conseils de discipline. La direction essaye de voir jusqu’où les machinistes sont capables d’aller, mais la peur est dans leur camp. Ils savent que leur parc est désastreux et ils ne veulent pas que ça se sache, mais en plus ils veulent casser dès maintenant les grosses têtes pour tenter d’éviter la grève du 5 décembre. Mais il y a un préavis illimité qui a été déposé et les gars sont prêts à tenir, il faut dire que c’est des gros enjeux ce qui se joue avec cette réforme ! Ça discute dans tous les sens, il y a plein de groupes WhatsApp et c’est sans étiquettes syndicales, on est tous dans le même sac ! On fait la tournée des dépôts et on se parle, entre les 21 dépôts de bus, mais aussi avec le ferré, le métro, le RER, tout ça ! »

RP : J’ai vu aussi que vous vous opposiez à une réorganisation de votre temps de travail que la direction de la RATP cherche à faire passer ?

Ahmed : « Oui ils veulent dérégler toutes nos conditions de travail en faisant sauter nos pauses repas et en nous faisant travailler avec une coupure, ce qui par exemple ferait terminer les chauffeurs de bus du matin au-delà de 15 heures en ayant commencé à 4 heures du matin, contre 14h maximum aujourd’hui. Tout ça c’est encore pour préparer la concurrence et casser notre statut. Mais quand ils ont essayé de faire passer ça en 2010, il y a eu plus de 80% de grévistes et ils ont dû faire marche arrière ! Aujourd’hui ils veulent prendre le risque de tout faire passer d’un coup, mais les collègues sont vraiment remontés, d’autant qu’avec toutes les procédures disciplinaires, ils ont vu que la direction n’avait aucun respect. Ils licencient beaucoup d’agents statutaires, il y a des conseils de discipline tous les jours ! Et c’est sur des faits ridicules comme le fait de ne pas avoir envoyé son arrêt maladie dans les temps, ou pour 4-5 retards, alors qu’avant c’était impossible d’être révoqué pour si peu ! Aujourd’hui ils vont jusqu’à monter des vieux dossiers qui ne tiennent pas la route pour licencier, et à la place ils prennent des agents hors statut ou en CDI, c’est plus facile à manier et ils se sentent moins concernés par les grèves.

Mais la retraite à points ça touche tout le monde, même s’ils tentent de nous diviser en axant sur les régimes spéciaux et en réduisant au maximum en amont le nombre d’agents au statut pour limiter l’impact. »

RP : Tu es donc convoqué le 12 novembre et vous appelez à un rassemblement de soutien n’est-ce pas ?

Ahmed : « Oui, la CGT RATP Bus va déposer un préavis de grève pour le 12 et c’est important qu’on soit nombreux, pour envoyer un message à la direction qu’on ne peut pas attaquer un élu, c’est aussi pour la sécurité des salariés et des usagers. Donc on appelle largement à venir à Flandres, même les cheminots ! Parce que Flandres c’est connu pour être un dépôt de rebelles que le département a toujours voulu détruire. »

RP : Et concernant la lutte contre la réforme des retraites, comment penses-tu qu’il faut s’y prendre pour faire plier Macron ? »

Ahmed : « Justement, le 12 il y aura aussi une AG pour discuter de la réforme des retraites. Pour préparer une grosse grève il faut déjà être solidaires. On a refusé le droit de retrait aux cheminots et là on nous refuse nos prérogatives d’élus RATP ! Pour moi il faut qu’on soit au moins à 90% de grévistes et bien bloquer, cheminots, RATP comme en 95... un gros mouvement dès la première semaine et après ça va suivre, parce que même le privé est concerné, donc moi je pense que ça va suivre ! Les enseignants, les infirmiers, les étudiants... on est tous concernés ! Si on arrive à bien bloquer, je pense que Macron va céder vite !

Les étudiants c’est aussi leur avenir qui est en jeu, donc eux aussi faut qu’ils viennent, la jeunesse c’est important qu’ils se mobilisent ! Moi j’ai grandi à la cité des 3000 à Aulnay, je ne connaissais pas ce qu’étaient les grèves, mais j’ai appris, avec l’aide des anciens, et aujourd’hui je transmets ça aux nouveaux ! Les Gilets Jaunes ont démontré aussi qu’on pouvait se mobiliser dans la rue, ils vont venir le 5 décembre et je pense que Gilets jaunes et syndicalistes ça fera un plus gros mouvement... oui pour moi ça va bien partir ! »

Rassemblement de soutien pour soutenir Ahmed mardi 12 novembre dès 8H45 au Centre bus de Flandre, 168 avenue Jean Jaurès, 93500 Pantin


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