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#SciencesPorcs

IEP de Toulouse. Bilan de la mobilisation contre les violences sexistes et sexuelles et la direction

À Sciences Po Toulouse, les étudiant·es se sont mobilisé·es contre les violences sexistes et sexuelles et contre les tentatives d’intimidation de la direction à l’encontre des associations militantes. A près d’un an et demi du mouvement #SciencesPorcs, une première expérience d’une mobilisation construite contre la direction et qui ouvre la voie à des méthodes de lutte contre les oppressions et les VSS.

Le Poing Levé

5 avril 2022

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#SciencesPorcs, un an après

L’IEP de Toulouse est profondément marquée par la colère des étudiant·es qui s’étaient organisé·es il y a plus d’un an contre les violences sexistes et sexuelles banalisées au sein de l’école et au-delà, derrière le mot d’ordre #SciencesPorcs. A ce moment, la direction avait alors été largement pointée du doigt comme ayant contribué à la perpétuation de ces violences.

C’est dans ce contexte que, à la rentrée 2021, la direction de l’IEP a tout fait pour mettre en scène une rupture avec la période précédente, cherchant à regagner la confiance des étudiant·es en se montrant résolue à lutter contre toute forme d’oppression. Mettant en avant la présence de Christine Menesson (chercheuse en études de genre) dans la nouvelle équipe de direction, et tentant d’intégrer les associations militantes au dispositif de prévention des violences sexistes et sexuelles (VSS) au sein de l’école, elle a voulu démontrer sa fermeté en interdisant toute forme d’intégration des nouveaux étudiant·es par les associations et en mettant en place une « Semaine des égalités » rythmée par des conférences labellisées « féministes et antiracistes » très critiquées par les étudiant.e.s.

Cependant le traitement par la direction des différents signalements qui lui ont été adressés ainsi que le manque d’outils et de moyens pour lutter effectivement contre les VSS a alerté de plus en plus d’étudiant·es.

Dans le cadre du Conseil d’Administration (CA) de l’école, les élu·es du Poing Levé se sont plusieurs fois affronté·es aux limites d’une gestion administrative et répressive des VSS. Ce fut le cas notamment lors de leur confrontation à Marie-France Baylet, l’une des "personnalités extérieures" non élues siégeant au CA. Vice-présidente du groupe La Dépêche, interpellée par nos élu·es, elle a défendu la publication dans ce journal d’un torchon visant à blanchir un étudiant de Sciences Po Toulouse accusé de violences, en décrédibilisant la parole de l’étudiante qui l’accuse avec une rhétorique des plus réactionnaires. Le Poing Levé avait alors mis en porte-à-faux la direction qui, se cachant derrière des arguments légaux, avouait en creux sa faillite à défendre l’une des étudiantes à l’initiative du mouvement #SciencesPorcs.

De la même manière, en siégeant au sein de la commission disciplinaire de l’IEP nous avons dû faire face à une structure qui, en réalité ne correspond aucunement aux besoins des victimes. En effet, ses critères sont avant tout la défense et la préservation de l’institution, en sanctionnant selon des critères de respect de l’ordre, du bon fonctionnement ou encore de la réputation de l’établissement. Ces mêmes critères étaient la preuve que pendant des années la préoccupation du ministère et des directions universitaires était avant tout d’assurer leur propre protection.

Des premières expériences d’assemblées générales

Ces différents éléments ont conduit les associations militantes féministe ( Les Sans Culottes) LGBT (IEProud) et antiraciste (Révolte Décoloniale) ainsi que notre collectif Le Poing Levé à organiser une assemblée générale à la veille du 8 mars, la première le mouvement contre la réforme des retraites. À l’ordre du jour : comment s’organiser contre les oppressions, mais aussi contre la montée de l’extrême droite ou encore contre la dégradation de la santé mentale des étudiant·es. Ayant permis l’ouverture d’une première discussion collective, cette AG a donné lieu à de nouveaux témoignages révélant la non ou mauvaise prise en charge de signalements pour violences par la direction.

Comme nous l’avons souligné en assemblée générale, ces témoignages montrent que, dans un contexte politique marqué par un tournant réactionnaire qui répond à plusieurs années de mobilisation de la jeunesse, la logique de la direction de Sciences Po est la même que celle du gouvernement auquel elle obéit en tant qu’institution d’État : canaliser, contenir et réprimer toute contestation à même de remettre en cause son autorité. C’est pourquoi il n’y a aucune confiance à avoir ni rien à attendre de la direction de Sciences Po, et qu’en tant qu’étudiant·es et/ou travailleur·euses de l’université nous devons nous organiser par nous-mêmes et indépendamment de cette dernière.

Beaucoup d’étudiant·es ont fait pour la première fois l’expérience de la force d’organisation collective de l’assemblée, qui doit permettre d’exprimer les différents problèmes rencontrés, de les lier à un contexte politique plus général qui dépasse le cadre de Sciences Po, et de prendre des résolutions en conséquence.

Touchez à l’une, nous répondrons toutes !

En réaction à cette première phase de mobilisation, la direction a tenté d’isoler et d’intimider les président·es des associations. En effet, suite au 8 mars où des cortèges ont été organisés par les associations militantes et par le Poing Levé, la direction a convoqué distinctement les président·es des associations, avec Révolte Décoloniale et IEProud d’une part et les Sans Culottes de l’autre, sans en préciser le motif.

Il s’agissait en réalité d’une véritable tentative d’intimidation : durant sa convocation, la présidente de l’association féministe Les Sans Culottes a été menacée de poursuites judiciaires par le directeur Éric Darras, en raison d’un slogan écrit sur l’une des pancartes dans le cortège du 8M qui affichait « Direction complice, direction coupable », reprenant l’un des slogans de #SciencesPorcs. Christine Menesson, présente tout au long de la convocation, ne s’est jamais opposée lors de cette réunion à cette menace. L’objectif de la direction dans cette opération était clairement de mettre un coup de pression à la présidente de l’association féministe de l’école et, derrière elle, à l’ensemble des étudiant·es susceptibles de remettre en cause la gestion des cas de violences par l’institution de Sciences Po. À l’issue de ce rappel à l’ordre, avec les associations militantes, nous avons décidé de convoquer une nouvelle assemblée générale.

Celle-ci s’est tenue deux semaines plus tard, rassemblant plus de 120 étudiant·es. La tentative d’intimidation de la direction n’a fait qu’attiser la colère, déjà profonde. Lors de cette AG, plusieurs étudiantes, elles-mêmes salariées au sein de l’IEP ont rappelé l’importance d’une convergence avec les travailleur.euses de l’institution dans la lutte contre les oppressions. Comme il a été rappelé pendant l’AG « Sciences Porcs ne s’arrête pas aux étudiant.e.s ». La question de la précarité a également émergé, une étudiante témoignant de ses difficultés à payer ses frais de scolarité sous pression de la direction. Des résolutions ont été prises : organisation d’un rassemblement le lundi 28 mars contre les menaces de la direction - revendiquant la lutte contre les oppressions, contre la précarité et la dégradation de la santé mentale des étudiants - ainsi que l’exclusion de Marie-France Baylet du CA.

Dans cette seconde phase de mobilisation, il est apparu clairement que la solidarité est la meilleure arme des étudiant·es, pour construire un rapport de force dans une logique de front contre les attaques de la direction. Nous avons systématiquement cherché à montrer la dimension politique de cette attaque, de la part d’une institution d’État qui, comme le gouvernement, n’a aucun intérêt à prendre le parti des étudiant·es et cherche à stopper la mobilisation à tout prix. Les intimidations sur le plan judiciaire à l’encontre de l’association féministe Les Sans Culottes ne sont pas déliées de la vague de répression visant plus largement les organisations qui défendent les groupes sociaux opprimés, le gouvenement ayant dissout le CCIF, mais aussi le Collectif Palestine Vaincra et maintenant le Groupe Antifasciste de Lyon et ses Environs (GALE).

Au-delà des promesses de la direction, poser les jalons d’une mobilisation à même de satisfaire nos revendications

En effet, consciente de l’échec de sa tentative d’intimidation, la direction a impulsé une réunion appelant les étudiants à venir discuter avec elle de leurs différentes revendications. La direction a cherché à apaiser la situation et à faire oublier les menaces proférées quelques jours plus tôt. Sous la pression des étudiant·es venu·es nombreuses et nombreux, la direction s’est engagée à ne pas porter plainte contre la présidente des Sans Culottes. Des promesses ont été faites sur la question de l’augmentation des moyens pour les associations, sur une potentielle révision du contenu des cours pour y intégrer davantage la lutte contre les discriminations, la mise en place de modules obligatoires sur la question des oppressions, et, surtout, la direction a annoncé être prête à réformer le dispositif de prévention des violences (commission en charge des VSS et cellule d’écoute). Au-delà des promesses, dont nous n’avons aucune garantie qu’elles seront appliquées (comme celle de l’exclusion de Baylet du CA au prochain roulement d’ici 3 ans), de nombreuses revendications demeurent irrésolues. Ces mesures restent non seulement extrêmement minimales mais seront cantonnées aux décisions prises au sein du Conseil d’Administration, qui est une instance totalement anti-démocratique, qui compte 31 sièges mais seulement 9 pour les élu.e.s étudiant.e.s et 1 pour le personnel administratif et technique de l’établissement, alors que 11 sièges sont réservés à des personnalités extérieures non élues. Ce n’est d’ailleurs pas dans ce cadre que seront obtenues des mesures essentielles pour lutter contre les VSS. A commencer par la nécessaire construction d’une commission véritablement indépendante de la direction, en charge du traitement des VSS et où seraient représentés étudiant.es, enseignant.es et salarié.es – revendication portée par Le Poing Levé. La question de la précarité et celle de la santé mentale ont été évacuées par des arguments administratifs, le directeur s’en remettant en dernière instance au gouvernement en disant par exemple que l’embauche de psychologues ne dépend pas de lui.

De plus, Eric Darras a eu l’audace d’affirmer que le mouvement #SciencesPorcs avait été "toléré" parce qu’il était "proportionné" et s’est félicité de ne pas porter plainte. Interpellé par les étudiantes, il a refusé de s’excuser d’avoir menacé l’association féministe avançant une procédure de simple « rappel à la loi ». Dans le même temps, la direction demandait à la présidente des Sans culottes de signer un procès verbal dans lequel elle était censée s’engager au nom de son association à dorénavant respecter le règlement intérieur, qui contient le devoir de « Ne pas porter atteinte au respect des personnes et à l’image de Sciences Po Toulouse » et donc de cantonner la contestation au respect de la réputation de l’institution.. Une manière donc pour la direction de créer un précédent juridique sur lequel celle-ci pourrait s’appuyer pour empêcher à l’avenir toute remise en question de l’institution de Sciences Po par les Sans Culottes, et donc par n’importe quel·le étudiant·e, puisque cela signifierait qu’elles ne pourraient pas non plus défendre un·e étudiant·e qui exprimerait une telle remise en question.

Ces annonces n’ont pas freiné la colère d’une partie des étudiant.es mobilisé.es. Cette colère est révélatrice du fait qu’en réalité les revendications qui ont émergé de l’AG sont allées bien au-delà de ce que la direction est en capacité de nous céder. Cette gestion des violences sexistes et sexuelles encore aujourd’hui si inadaptée aux besoins des victimes (malgré les progrès que nous avons obtenu depuis #Scienceporc) résulte du fait que les outils de prise en charge existants ne sont pas pensés par nous-même, selon nos propres besoins, mais par une direction avec sa propre logique et ses propres intérêts, à savoir régler ces affaires rapidement et à moindre coût. Il est évident que la direction n’acceptera jamais que nous allions- comme nous avons commencé à le faire durant cette mobilisation- jusqu’à revendiquer une commission VSS et une cellule d’écoute qui soit totalement indépendante d’elle et qu’elle ne puisse pas chapeauter, ce qui reviendrait à un aveu d’échec énorme pour elle et à perdre la main sur sa propre institution. De la même manière, le fait de rémunérer correctement les membres de ces cellules – qui pour le moment sont des volontaires nommées par le directeur -, mais aussi de proposer aux personnes victimes une prise en charge plus complète, implique d’y accorder de véritables moyens et un budget en propre qui pose la question du financement des services publiques. Il en va de même pour la question des formations : nous voulons décider par nous même des associations ou organismes qui viendraient nous les dispenser et de leur contenu, et pas ce soit décidé par la direction, quand bien même ce serait en collaboration avec les quelques étudiant.e.s engagés dans des associations.

Plus encore, les sujets de précarité étudiante et de détresse psychologique qui ont été mis sur la table lors de l’AG, dépassent très largement le cadre de Science po et sur ce terrain là, des améliorations réelles telles que la gratuité des enseignements ainsi qu’un accès total et gratuit à des psychologues implique de lutter pour des moyens massifs, contre les réformes austéritaires du gouvernement qui détruit progressivement les services publics tels que l’université. C’est pour ces raisons que nous refusons de limiter nos revendications à ce que la direction dit être en capacité de nous concéder, et que nous ne pensons pas que la mobilisation sert uniquement à peser un peu plus lourd à la table des négociations en Conseil d’administration ou dans d’autres instances.

Au contraire nous cherchons, à partir de la colère importante qui s’est exprimé à science po, à construire des mobilisations plus larges, qui se lient avec le monde du travail afin de pouvoir créer un rapport de force à même de satisfaire les revendications que nous avons été plusieurs à porter, tels que par exemple la lutte contre la précarité, dans laquelle nous sommes nombreuxses à être plongés de manière encore plus saillante dans un contexte d’inflation record et alors que nos salaires n’augmentent pas suffisamment pour y faire face. C’est aussi ces luttes là que nous cherchons à construire, depuis Science po ou nos autres lieux d’intervention.

La mobilisation qui a eu lieu jusqu’à présent à Sciences Po Toulouse est donc un fort rappel pour les institutions d’élites comme l’IEP qu’après Sciences Porcs, la colère n’est pas retombée. En lien avec ce mouvement, une avancée essentielle cette année n’est autre que le fait que les étudiant.es soient passées d’une « interpellation » à la direction à la volonté de prendre leurs affaires en main et de revendiquer un ensemble de mesures qu’elles ont bataillé afin d’être mises en place.

À une semaine de la fin des cours Le Poing Levé appelle les étudiant·es qui le souhaitent à se réunir mardi 6 avril en salle MD005 à 18h pour tirer ensemble les bilans de cette séquence riche d’enseignements politiques et pour poser les jalons des prochaines mobilisations.


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