×

Interview avec deux syndicalistes de l’AP-HP

Hôpitaux parisiens. « C’est la division de l’Intersyndicale qui a sauvé la tête de Hirsch »

Révolution Permanente a profité de la présence de deux militant-e-s syndicaux des hôpitaux parisiens (AP-HP) à l’Université d’été du Nouveau Parti Anticapitaliste pour les interroger à propos du bilan et des perspectives de la mobilisation dans le secteur.

Facebook Twitter

RP : Pour commencer, vous pourriez peut-être vous présenter…

Carole : Je suis Carole, du syndicat Sud Santé, et je travaille à l’Hôpital Avicenne à Bobigny

Lyasid : Et moi c’est Lyasid, je travaille dans un hôpital pédiatrique à Porte des Lilas, l’hôpital Robert-Debré. Je suis à Sud Santé aussi.

RP : On entend souvent que le plan Hirsch a été un peu comme la goutte qui a fait déborder le vase, car les conditions de travail dans les hôpitaux se sont fortement dégradées ces dernières années. Est-ce bien le cas ?

Carole : Oui, la condition des personnels dans les hôpitaux est assez catastrophique, notamment suite à une série de plans de suppression de postes - il y en a eu au moins 4000 ces dernières années. On nous demande de plus en plus d’activité avec de moins en moins de moyens. Les soignant-e-s et les médecins doivent garder les patients un temps dont la durée est prédéfinie en fonction de la pathologie à soigner mais pas de la réalité de la prise en charge médicale, si le patient reste « trop longtemps », cela pénalise financièrement l’hôpital. Donc les médecins font un « turn-over de patients », avec beaucoup de sorties précoces. Et on arrive à une situation de maltraitance institutionnelle, quand il faut bâcler les soins, c’est-à-dire que les personnels n’arrivent plus à travailler correctement en respectant la qualité des soins. Par ailleurs, ils n’ont pas de matériel, ils courent après dans tous les services, pour avoir du matériel et des médicaments. Mais surtout ils n’ont pas le temps d’écouter les patients, quand il y a un patient qui a besoin d’écoute ils lui disent « j’arrive, j’arrive », mais ils savent très bien qu’ils ne pourront pas revenir parce qu’ils n’auront pas le temps.

La plupart du temps les soignant-e-s dépassent leurs horaires d’une demi-heure, voire d’une heure parce qu’ils n’arrivent pas à boucler tout le boulot qu’ils ont à faire dans le temps imparti. Le turn-over des patients fait aussi qu’il y a parfois des patients qui arrivent alors que les autres ne sont pas encore sortis, donc avec les familles ils restent dans les couloirs, il faut désinfecter les chambres avant que l’autre patient n’arrive. Avant on avait 3 désinfections de chambre par jour, et encore, maintenant on peut arriver jusqu’à 7 désinfections de chambre par jour. On fait tout à la chaîne, la désinfection des chambres est à la chaîne, la production des soins – parce que maintenant on parle de production – est à la chaîne. Les infirmières disent souvent qu’elles deviennent des « abeilles » : elles viennent, elles piquent et elles repartent. Les aides-soignant-e-s font les toilettes à la chaîne, et sont parfois deux au lieu de quatre pour 22 patients. Le résultat c’est des patients qu’on va laver et pas d’autres, ou on fera le minimum, juste le visage et les fesses et pas plus.

Cela conduit le personnel soignant, qui en général a choisi cette profession pour s’occuper des gens dans l’empathie, à être maltraitant avec les gens, ça devient maltraitant pour le professionnel. Il y en a qui s’investissent énormément, qui ont choisi cette profession pour aider et qui se rendent compte que ce n’est plus ç. On en arrive à des cas extrêmes d’épuisement psychologique et professionnel, parfois même à des tentatives de suicide… Et puis il y a aussi l’usure physique, parce qu’une infirmière qui va au bout de sa carrière, c’est de moins en moins courant, une sur cinq part en invalidité bien avant, et une aide-soignante sur trois, tellement le travail debout, à soulever et à tirer des patients est physique et dur.

RP : Comment le plan Hirsch menace-t-il d’impacter cette situation, déjà aussi critique ?

Carole  : Hirsch diminuerait le temps de travail journalier, pour la plupart des équipes, de 7h36 à 7h30, donc c’est 6 minutes de temps en moins avec toujours la même charge de travail, 6 minutes en moins pour la communication inter-équipes, pour faire la transmission sur les patients, et ça serait 5 jours de RTT en moins, donc venir 5 jours de plus à l’hôpital. Il y a déjà un absentéisme d’usure qui se traduit dans les bilans sociaux et ne cesse d’augmenter, et là ça serait l’apothéose, les personnels n’en pourraient plus, les arrêts maladie vont se multiplier.

RP : C’est cela qui explique le caractère explosif de la mobilisation de cette année ?

Lyasid : Tout à fait, jusqu’à maintenant on avait énormément de difficultés à mobiliser le personnel. Cela a été une surprise formidable cette mobilisation massive de nos collègues. Plus de 30 000 collègues sur les 75 000 qui composent le personnel de l’AP-HP, plus gros employeur d’Ile-de-France, plus gros CHU d’Europe, c’est juste énorme. Il y a une prise de conscience, parce que jusqu’à maintenant on avait beau expliquer que de l’argent il y en avait et que c’était des choix politiques qui mettaient l’hôpital dans cette situation-là, la plupart des collègues ne bougeait pas.

Là, on s’attaque à notre temps de repos. Il faut savoir que les 35 heures ça n’a jamais existé à l’hôpital, tout le monde fait 39-40 heures par semaine, tous les jours de repos générés par notre temps de travail s’accumulent sur les comptes épargne temps de l’AP-HP : il y a 1 million de jours de repos accumulés. Donc l’hôpital n’a jamais été en 35 heures, on travaille tous plus et gratuitement, dans tous les services, et donc cette attaque, ce traitement de choc on peut dire, que Hirsch a voulu imposer à l’hôpital a réveillé les consciences, toutes les catégories se sont mises en mouvement au même moment, ce qu’on n’avait jamais vu, de l’administratif à l’ouvrier, au soignant, toutes les catégories professionnelles, en disant « trop c’est trop, là on y croit plus à leur discours sur les budgets et ainsi de suite ». La preuve est ce qu’on a pu entendre dans les manifestations « A l’hôpital y a trop de travail, à l’extérieur il y a trop de chômeurs »...

Cette formidable mobilisation contre l’austérité dans l’hôpital aurait pu être le point de convergence des autres forces qui se battent contre l’austérité dans leurs secteurs, que ce soit dans le privé ou dans d’autres secteurs du service public. Mais cette prise de conscience ne s’est pas traduite en terme d’organisation, de comités de grève ou de luttes qui se coordonnent et imposent à l’intersyndicale une orientation, voire la débordent, quand celle-ci, qui a été un levier pour lancer la mobilisation, n’a pas cherché à l’étendre à l’ensemble de la fonction publique hospitalière. Pire, certaines de ses composantes, Sud et CFDT, ont accepté d’aller à la table de négociation avec Hirsch.

RP : Que s’est-il passé le 17 juin ?

Lyasid : Ce qui s’est passé c’est que la CFDT avait déposé un préavis de grève, et quand on dépose un préavis de grève on va en discuter avec la direction pour voir quelles sont les revendications, c’est une obligation réglementaire. Et là, la CFDT a joué à un jeu qui, je pense, n’est pas étranger à des arrangements avec Hirsch voire avec le gouvernement. La CFDT a dit à l’intersyndicale « venez, on va profiter de cette entrevue pour réitérer nos revendications ». Donc du coup de manière imprévue, l’intersyndicale s’est retrouvée à discuter avec Hirsch, qui « comme par hasard » était disponible pour un projet de relevé de conclusions dont ils ont discuté jusqu’à presque minuit. Toute l’intersyndicale souscrivait, quasiment, à ce relevé de conclusions, parce que c’était cohérent avec leur logique d’auto-limiter le mouvement, d’ouvrir des négociations, et de ne pas élargir la lutte contre l’austérité jusqu’à la confrontation avec le gouvernement.

RP : Et tout cela à un moment où Hirsch était plutôt en difficulté, non ?

Lyasid  : Exactement ! Parce que ça s’est fait à un moment où la ministre de la santé et l’Elysée même laissaient entendre à Hirsch : « Une bonne réforme, c’est une réforme partagée, ce conflit social ça va pas du tout, ça risque de se propager, il faut vite en finir avec cette agitation sociale, si tu n’es pas capable de ramener les syndicats à la table des négociations, tu vas dégager ». Les syndicats, en allant discuter à la table des négociations avec Hirsch la nuit du 17, lui remettaient le pied à l’étrier. Sauf que le lendemain, jour de mobilisation, ce fut un tollé général au pied du siège de l’AP-HP quand on a découvert ce fameux relevé de conclusions qui non seulement ne reculait pas d’un pouce sur l’attaque du temps de repos mais confirmait les retenues sur salaire pour les jours de grève. Mals à l’aise, nos centraux sont quand même montés en délégation rencontrer le Directeur Général. FO et la CGT sont revenus sur leur position initiale en exigeant le retrait pur et simple du plan Hirsch. Sud ne s’est pas exprimé et CFDT a assumé ses positions. On peut considérer que c’est ce moment de division syndicale qui a sauvé la tête de Hirsch, parce que du coup le dialogue a pu être de nouveau affiché, avant d’être à nouveau rompu le 2 juillet.

RP : On peut dire qu’il y a eu une certaine pression de la base aussi ?

Lyasid  : Voilà, ça secouait dans les assemblées générales des hôpitaux, au niveau de la base et dans les syndicats. Hirsch ne lâchant rien, Sud et CFDT ont été obligés de se retirer des négociations. Là, on est, un peu, à un point de suspension du mouvement. Peu d’initiatives locales ont été prises pour maintenir la mobilisation durant l’été. Sans effet sont restés les appels à la mise en place de comités de vigilance et de comités de lutte, alors que c’est des outils qui auraient dû être mis en place dès le début du mouvement, dès le début de la grève. Là on est fin août, et pour le moment aucune initiative centrale de préparation de la rentrée n’a été prise. La date du 17 septembre est annoncée, mais on ne sait pas quelle forme elle prendra et pour quelle suite.

RP : Et vous, comment vous voyez la suite de la mobilisation ? Comment faire pour que les hospitaliers eux-mêmes puissent s’emparer de leur lutte et qu’il n’y ait pas pour l’intersyndicale cette possibilité de décider de rentrer en dialogue avec Hirsch ? Des exemples comme celui de la Coordination des infirmières de 1988 vous semblent pertinents ?

Carole  : Il y a eu quelques tentatives, des appels lancés sur facebook ou via des tracts distribués à la manifestation du 11 juin pour se coordonner de façon indépendante des syndicats, comme a pu le faire la coordination infirmière en 1988, mais cela est resté marginal et sans impact. On pense que c’est en allant dans les assemblées générales des uns et des autres hostos pour dire les initiatives que chacun prend et établir la communication entre les hospitaliers pour se coordonner. Mais c’est compliqué parce que la plupart des hôpitaux ne sont pas en grève reconductible. Les comités de lutte, ça a l’air compliqué, on va tenter, et les assemblées générales c’est un peu la messe des syndicats, et très peu de collègues prennent la parole. J’ai été surprise de voir dans la vidéo que vous avez publiée qu’à Beaujon des gens prenaient la parole. Pour beaucoup de collègues, même quand on leur propose le micro, ce n’est pas évident, il y a la peur de parler devant tout le monde.

Lyasid  : Je crois en même temps qu’il faut agir avec nos sections syndicales. C’est ces outils-là dont on doit se saisir pour tenter d’aller le plus loin possible, avec la masse des collègues. Ce n’est qu’avec cet outil là qu’on a réussi à entraîner le plus grand nombre de collègues. Donc c’est une bagarre à mener à l’intérieur de nos propres syndicats pour qu’ils fassent leur travail correctement.

RP : Et vous ne pensez pas que s’il y avait un hôpital, peut-être là où les équipes syndicales combatives ont le plus de poids, qui lançait une initiative pour une coordination des AG des différents hôpitaux, cela pourrait peut-être avoir un écho ?

Lyasid  : C’est une initiative que nous appelons de tous nos vœux. Cela passera par la volonté des équipes syndicales. Il faut se préparer à frapper un grand coup, à aller bien plus loin que là où est allée l’intersyndicale avant la suspension de l’été. C’est une bagarre qui est loin d’être gagnée, parce qu’en face les bureaucraties syndicales multiplient les obstacles à la réalisation de cet objectif-là, même s’ils déclarent la main sur le cœur qu’ils sont pour l’unité, pour l’élargissement à toute la fonction publique et ainsi de suite.

Propos recueillis par Camilla Ernest et Daniela Cobet


Facebook Twitter
SNCF : 300 personnes en soutien à Régis, menacé de licenciement pour avoir dénoncé des VSS

SNCF : 300 personnes en soutien à Régis, menacé de licenciement pour avoir dénoncé des VSS

Roissy : face à la pression patronale, les salariés d'un sous-traitant de Sixt en grève reconductible

Roissy : face à la pression patronale, les salariés d’un sous-traitant de Sixt en grève reconductible

« Ils veulent museler toute contestation ». La CGT Fleury Michon appelle à la grève contre la répression

« Ils veulent museler toute contestation ». La CGT Fleury Michon appelle à la grève contre la répression

100€ à débourser pour accéder à son CPF : le gouvernement fait à nouveau payer les travailleurs

100€ à débourser pour accéder à son CPF : le gouvernement fait à nouveau payer les travailleurs

5 jours de mise à pied : la SNCF réprime Marion, cheminote ayant dénoncé une agression sexuelle

5 jours de mise à pied : la SNCF réprime Marion, cheminote ayant dénoncé une agression sexuelle

« Tavares gagne 36,5 millions grâce aux ouvriers sous-payés » Vincent, délégué CGT Stellantis

« Tavares gagne 36,5 millions grâce aux ouvriers sous-payés » Vincent, délégué CGT Stellantis

Toulouse. Marche blanche en mémoire d'Adrien, employé de l'ATPA-SPA en lutte contre la maltraitance animale

Toulouse. Marche blanche en mémoire d’Adrien, employé de l’ATPA-SPA en lutte contre la maltraitance animale

Chambéry. Les parents d'élèves rejoignent la mobilisation en soutien à une enseignante

Chambéry. Les parents d’élèves rejoignent la mobilisation en soutien à une enseignante