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Caucase

Haut-Karabakh. Après un mois de guerre, l’Azerbaïdjan sur le point de remporter la victoire ?

Ces derniers jours les forces azéries ont avancé et repris des territoires contrôlés par l'Arménie et pourraient couper les voix de communications entre le territoire du Haut-Karabakh et l’Arménie.

Philippe Alcoy

28 octobre 2020

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Nous rentrons déjà dans le deuxième mois de guerre entre les armées azéries et arméniennes autour de l’enclave majoritairement peuplée d’arméniens, le Haut-Karabakh. Selon le président russe, Vladimir Poutine, ce conflit a coûté la vie à 5 000 personnes, dont une grande partie de civils. Des rapports estiment également que la moitié de la population du Haut-Karabakh a dû fuir les combats dans la région. Il s’agit sans aucun doute du conflit le plus sanglant entre les deux pays depuis le cessez-le-feu de 1994.

Même si officiellement le Haut-Karabakh avait été reconnu comme faisant partie de l’Azerbaïdjan, à l’époque l’Arménie avait réussi à s’assurer le contrôle du Haut-Karabakh et de sept districts peuplés majoritairement par des azéris entourant la région disputée. Cependant, beaucoup de choses ont changé depuis. En effet, entre-temps l’Azerbaïdjan, grâce à la manne pétrolière et gazière, a acquis des équipements militaires de haute technologie. On estime que les dépenses militaires azéries ces dix dernières années ont été de 24 milliards de dollars alors que celles de l’Arménie d’à peine 4,7 milliards de dollars.

Ce bouleversement des dépenses militaires et la modernisation de l’armement azéri a créé une vraie supériorité de l’Azerbaïdjan sur l’Arménie. C’est le cas notamment de l’utilisation de drones de fabrication israélienne et turque qui a permis aux forces azéries d’avancer rapidement sur une partie importante des territoires contrôlés depuis 1994 par les forces arméniennes. Comme l’explique Hikmet Hajiyev, conseiller de politique étrangère du président azéri Ilham Aliyev dans le Financial Times : « Ce que nous voyons, c’est qu’il y avait un facteur d’invincibilité que l’Arménie avait essayé de propager pendant de nombreuses années... mais ils s’appuyaient trop sur la vieille doctrine et la pensée militaire : les chars, l’artillerie lourde et les fortifications. Cela nous a simplement rappelé la seconde guerre mondiale (…) Au lieu de cela, nous avons appliqué des forces mobiles, la technologie des drones et une approche moderne ».

Mais la technologie militaire n’explique pas tous. En effet, l’un des facteurs qui avait permis à l’Arménie d’obtenir des victoires militaires sur l’Azerbaïdjan lors de la guerre des années 1990, c’est la discipline et l’efficacité de son armée par rapport à la corruption et au manque de discipline des azéris. Mais depuis l’achat d’armements de haute technologie à Israël et notamment à la Turquie a été accompagné également de formations en tactique militaire et une meilleure organisation de l’armée azérie. En outre, il faut mentionner le soutien politique du gouvernement d’Erdogan à l’offensive de l’Azerbaïdjan. Certains vont jusqu’à affirmer qu’Ankara a envoyé des mercenaires syriens se battre aux côtés des troupes azéries, ce que la Turquie nie.

Quoi qu’il en soit, le soutien actif d’Erdogan n’est pas un détail sans importance dans la guerre actuelle. Au contraire. Mais ce soutien à lui tout seul n’est pas suffisant pour expliquer le niveau d’offensive de la part de l’Azerbaïdjan. Bakou et Ankara profitent largement des difficultés des autres puissances étrangères à imposer l’arrêt des combats. En effet, l’une des choses importantes à remarquer dans ce conflit c’est qu’aussi bien la Russie que les Etats-Unis et la France (et tout récemment l’Iran) se montrent pour le moment incapables d’imposer leur cessez-le-feu. L’écrivain Carey Cavanaugh, qui avait mené les négociations de paix en 2001 pour l’OSCE, décrit ainsi la situation : « Même lorsque le président russe Vladimir Poutine a convoqué les ministres des affaires étrangères d’Arménie et d’Azerbaïdjan à Moscou pour engager d’intenses négociations avec son ministre des affaires étrangères Sergueï Lavrov le 9 octobre, la "trêve humanitaire" qui a suivi n’a pas duré un jour. Puis, lorsque le président français Emmanuel Macron a essayé la diplomatie téléphonique et s’est joint à la Russie pour sceller une trêve qui prendrait effet le 18 octobre, cela n’a duré que quelques heures. Enfin, le 23 octobre, lorsque le secrétaire d’État américain Mike Pompeo a rencontré les deux ministres des affaires étrangères à Washington, il a fallu deux jours pour qu’un accord de cessez-le-feu soit conclu. Ce cessez-le-feu a commencé le matin du 26 octobre et a été rompu en quelques minutes ».

Tout cela fait craindre que le conflit puisse échapper des mains des acteurs étrangers du conflit mais aussi des pays impliqués directement. L’Arménie et l’Azerbaïdjan sont également sous la pression de calculs de politique intérieure pour poursuivre les combats. En outre, plus le conflit se prolonge, plus le risque d’une intervention directe de la Russie et de la Turquie augmente, et cela indépendamment de la volonté initiale de ces deux puissances.

En effet, l’Azerbaïdjan, comme nous l’avons dit, est en train d’obtenir des gains territoriaux importants ces derniers jours et ses troupes s’approchent de la zone de Lachine, une artère fondamentale connectant le Haut-Karabakh et l’Arménie et une connexion centrale pour l’approvisionnement de la région séparatiste. Si les forces azéries réussissent à s’en emparer et à isoler le Haut-Karabakh de l’Arménie, il serait très difficile que la Russie n’intervienne pas, ce qui à son tour pourrait provoquer l’intervention de la Turquie.

(Source : Financial Times et Ministère de la Défense azéri)

L’objectif officiel de l’Azerbaïdjan est de récupérer tous les territoires contrôlés par l’Arménie, non seulement les sept districts azéris mais aussi le Haut-Karabakh peuplé majoritairement par des arméniens. Mais on pourrait estimer que la reprise des territoires entourant le Haut-Karabakh pourrait permettre à Aliyev de proclamer la victoire. Il n’est pas encore certain que cet objectif soit atteignable aussi facilement par l’Azerbaïdjan. Cependant, on ne peut pas exclure la possibilité d’une conquête militaire de la part de Bakou de la région séparatiste arménienne. La question qui se pose alors est si l’Azerbaïdjan possède les moyens politiques d’assurer sa domination sur le Haut-Karabakh. En effet, dans ce cas, on pourrait craindre une crise humanitaire importante, avec des persécutions contre les civiles, nettoyages ethniques et même l’instauration d’un régime militaire dans la Haut-Karabakh. Mais même en cas d’une victoire de ce type, qui signifierait une situation catastrophique, rien ne peut assurer que ce serait la fin du conflit car l’Arménie essaierait de reprendre ce territoire dont elle revendique la souveraineté.

Mais cette offensive azérie, soutenue par la Turquie, ne doit pas nous faire oublier que l’Arménie a alimenté depuis des années un nationalisme réactionnaire au sein de sa population. L’Arménie est sortie largement bénéficiaire du cessez-le-feu de 1994, ce qui lui permet de pouvoir se positionner comme défendant « la paix » et le statu quo. Autre chose que beaucoup oublient de pointer également c’est que l’Arménie a procédé à l’expulsion de la population azérie des territoires contrôlés par son armée. Certains estiment le nombre d’azéris déplacées de force par l’Arménie à 500 000.

Il est très difficile de prédire vers où se dirige ce conflit. Tous les scénarios semblent ouverts. Certains espèrent que l’arrivée de l’hiver fasse cesser rapidement les combats, mais cela aussi relève d’une grande partie de spéculation. Pour notre part nous affirmons que ce conflit est totalement réactionnaire et fratricide. Aucune des deux parties ne défend une politique progressiste. Nous défendons le droit à l’auto-détermination du peuple du Haut-Karabakh, mais aussi le droit au retour des déplacés azéris. Pour cela il est fondamental d’exiger le retrait de toutes les forces armées étrangères. Ce n’est nullement de la main du gouvernement capitaliste arménien ou azéri que le peuple du Haut-Karabakh pourra décider librement, et encore moins de la main de la Russie, de la Turquie ou des puissances impérialistes.


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