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Diplomatie secrète et politique arabe de la France

Hariri à Paris. Ce que cache l’invitation de Macron au premier ministre déchu

La main sur le cœur, Macron. Un vrai humaniste. Son gouvernement n’est guère attaché au droit d’asile et à l’accueil des migrants, on le sait. Mais dans le cas de Saad Hariri, c’est différent. Que cache l’entrevue qui se déroulera samedi entre Macron et le Premier ministre libanais démissionnaire ?

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Crédits photos : Ludovic MARIN / AFP

Cela fait quelque temps que Macron essaye de tirer profit des difficultés de ses partenaires et concurrents pour réaffirmer son rôle sur l’échiquier international, notamment sur le théâtre proche et moyen-oriental. Entre une Grande-Bretagne encore affaiblie par le Brexit, une Allemagne où Angela Merkel s’occupe davantage de politique intérieure que des affaires étrangères, plus encore après l’entrée de députés d’extrême droite au Reichstag, ou encore une Italie avec laquelle la France a de sérieux sujets de discussion mais qui se concentrent quasi exclusivement sur la Libye post-Kadhafi, Paris tente de se poser, auprès des autres protagonistes régionaux, à commencer par l’Arabie Saoudite et par les pétromonarchies du Golfe, comme un acteur international incontournable, médiateur possible des crises multiples qui secouent la région.

Après la tournée de Macron aux Emirats Arabes Unis où le locataire de l’Elysée a mis en avant la participation de la France à la « défaite » (territoriale) infligée à Daech comme pour mieux exiger un retour sur dividendes (pétroliers), voilà que la diplomatie française s’apprête à donner asile à Saad Hariri. « Absolument pas », rectifie-t-on du côté des porte-paroles de l’Elysée et du Quai d’Orsay. Il ne s’agit en aucun cas d’un asile concédé mais d’une visite de courtoisie sur invitation de Macron, qui avait fait un crochet par Ryad, le 9 novembre dernier, alors que Jean-Yves Le Drain s’est lui aussi rendu dans la capitale saoudienne, ce mercredi.

Hariri étant démissionnaire depuis son intervention du 4 novembre depuis Riyad, où le prince Bin Salman l’avait sommé de se rendre, le statut de l’invité reste confus. Mais Macron n’a pas renoncé à l’idée de jouer un rôle dans la farce proche et moyen-orientale dont les premières victimes sont les populations qui vivent au quotidien les conséquences des guerres par procuration qui sont livrées sur place, notamment au Yémen et en Syrie.

Donald Trump surjoue la carte du soutien inconditionnel au régime saoudien, comme pour faire oublier combien il est enferré dans les scandales sur les rapports de son équipe de campagne vis-à-vis du Kremlin. Riyad, de son côté, s’oppose à Moscou mais surtout à Téhéran et aux miliciens du Hezbollah libanais, en Syrie et au Yémen, et ce alors que le Parti de Dieu libanais fait à nouveau partie de la coalition politique mise en place par Hariri pour gouverner depuis 2016. Déstabiliser le Liban est une façon de forcer le parti de Hassan Nasrallah à se recentrer sur la politique libanaise. La politique saoudienne est néanmoins risquée, car un Liban en crise politique (à laquelle il faudrait rajouter la crise économique que le pays traverse, couplé à une crise des réfugiés syriens), est un jeu très dangereux. Cela pourrait avoir des conséquences régionales des plus graves.

Paris estime toujours être un peu le « parrain » de la politique libanaise depuis la fin du mandat colonial de la SDN sur le territoire et le départ des troupes françaises en 1946 et l’instauration du système politique confessionnel qui est toujours en vigueur aujourd’hui (avec un président chrétien –le général Aoun-, un chef du gouvernement sunnite –Saad Hariri, jusqu’à il y a peu- et un président du Parlement chiite). C’est donc tout naturellement que Macron a sauté sur l’occasion pour se poser en médiateur et morigéner quelque peu les ardeurs saoudiennes, de façon à ce que le prince Bin Salman n’aille pas trop loin, sans pour autant froisser les autres pays du Golfe, inquiets eux aussi du rôle de l’Iran au niveau régional.

Paris comme Washington savent que la bourgeoisie libanaise et ses tuteurs n’ont guère d’autres options. Il y a fort à parier que Macron demandera à Hariri de rester aux manettes en échange d’un appui plus résolu des pays impérialistes. A moins que ne soit en train de se dealer, dans le dos du peuple libanais, ce qui n’est guère une nouveauté, un accord visant à réarticuler la coalition au pouvoir avec un nouveau Premier ministre sunnite. Le problème majeur est que les candidats ne se bousculent pas au portillon. En tout état de cause, c’est une plus grande déstabilisation de la région qui sera en train de se jouer, demain, dans les salons de l’Elysée, quoi que puisse en dire Macron.


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François Martin

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