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Grève des personnels de la petite enfance : « On se bat pour nos salaires et l’accueil des enfants ! »

La crise que traverse le secteur de la petite enfance, dans lequel le faible niveau de rémunération s’accompagne d’un manque criant de personnel, a servi de catalyseur à la colère accumulée dans le secteur, en grève jeudi dernier. A l’appel du collectif « Pas de bébé à la consigne », les professionnels de la petite enfance ont battu le pavé partout en France pour défendre leurs salaires et les conditions d’accueil des tout-petits.

Louis McKinson

8 octobre 2022

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(Crédits photo : Christophe ARCHAMBAULT / AFP)

Jeudi 6 octobre, auxiliaires de puériculture, infirmières puéricultrices, éducatrices de jeunes enfants, tous les métiers de la petite enfance se sont retrouvés dans les rues pour défendre leurs conditions de travail et les conditions d’accueil des tout-petits. À Paris, 5000 personnes ont convergé vers le ministère des Solidarités et de la Santé, 1500 ont défilé à Lyon, 1500 à Nantes, 500 à Nice, et ainsi dans de nombreuses villes du pays, répondant à l’appel du collectif « Pas de bébés à la consigne », rassemblant syndicats et associations.

Ce sont les dernières mesures, prises fin août par le gouvernement, qui ont mis le feu aux poudres. Un nouvel arrêté pérennise et harmonise notamment le recours à des personnels non qualifiés, à hauteur de 15% du total de l’équipe. Un moyen de contourner les demandes légitimes des personnels de la petite enfance, en prétendant répondre à la crise sans investir un centime dans les salaires et l’amélioration des conditions d’accueil des tout-petits.

Contre la précarisation que le gouvernement accentue sans cesse et qui alimente depuis longtemps le manque de professionnels, les grévistes sont montés au créneau pour la revalorisation de leurs salaires, le relèvement immédiat des places en centres de formation, et les conditions d’accueil des enfants.

Contactée par Révolution Permanente, Camille, auxiliaire de puériculture en crèche municipale et mobilisée ce jeudi, a accepté de revenir pour nous sur la situation dans les crèches : « Déjà, en termes de surcharge, il faut être clair, on dit que normalement c’est une personne pour cinq enfants qui ne marchent pas et une personne pour huit enfants qui marchent. Mais là où je suis, par exemple, pour quinze enfants, mélangés, on est deux, rarement trois. Mettons qu’on soit dans la cour et qu’il faille changer un enfant, tu dois alors laisser ta collègue avec 12 enfants dehors - avec des enfants qui ne marchent pas encore. Les taux d’encadrement sont purement formels, en pratique, vu le nombre qu’on est, ces taux ne peuvent pas être respectés, mais c’est comme ça que ça qu’on fonctionne au quotidien. »

À l’image de la crèche de Camille, la plupart des établissements sont saturés. Ainsi, par-delà les recrutements nécessaires, la situation exige des investissements publics massifs, notamment pour créer de nouvelles crèches : « On essaye de rajouter encore plus d’enfants dans des endroits qui sont déjà pleins. Il faut bien voir que des personnels en plus, dans des endroits pleins à craquer, ça peut nous soulager mais ça réduit la surface disponible par enfant, ce n’est pas une solution. »

Interrogée sur les dangers potentiels de ces surcharges, Camille abonde mais interpelle surtout sur la dégradation générale que cette politique fait peser sur l’accueil des enfants : « Ça fait des années qu’on a du mal à faire des activités avec les enfants car ils sont trop nombreux. Par exemple, tu ne peux pas mettre 15 enfants autour d’une table et leur faire découvrir la peinture : ils vont mettre le pinceau à la bouche, te peindre les murs, ça ne peut se faire qu’en petits groupes, et il faut avoir le temps de préparer ça, sans abandonner ta collègue etc., aujourd’hui c’est impossible avec les taux d’encadrement qu’on nous impose. On n’est plus dans la découverte. La relation privilégiée que tu pouvais avoir, le moment d’échange où tu es vraiment avec l’enfant, ils n’existent plus, on gère des groupes. Cette conscience de ne pas pouvoir faire notre travail correctement, on vit avec tous les jours. On ne respecte plus l’enfant. »

Pour Camille, les crèches subissent la logique néolibérale qui veut que les collectivités s’appuient sur ce qu’elles ont détruit pour légitimer et poursuivre la casse. Par dérogation, le recours à du personnel non formé est déjà en place depuis longtemps, et dénoncé comme faisant partie du problème plutôt que de la solution : « Dans ma crèche, il y a 4 personnes sur 14 qui n’ont pas reçu de formation, 30% si on veut. Cette année, j’avais une collègue qui est arrivée d’un coup dans un groupe de 15 personnes, sans jamais avoir mis un pied en crèche, avec des horaires différents des nôtres, ça a été extrêmement compliqué pour elle de s’intégrer et pour nous aussi car on n’avait pas le temps de la former. Et puis tu ne peux pas former, expliquer comme il faudrait, alors que tu dois gérer les enfants, il faudrait qu’on soit plus nombreux, qu’on puisse faire des binômes avec les mêmes horaires, chose impossible dans les conditions dans lesquelles nous sommes plongés. »

Contre cette politique de la petite enfance, Camille insiste sur la nécessité d’embaucher des professionnels : « C’est rabaisser encore nos formations alors que la différence entre quelqu’un de formé et quelqu’un de pas formé en crèche tu le vois tout de suite. Si tu ne connais pas la psychologie et le développement de l’enfant, évidemment que tu maximises la maltraitance, même avec toute la bonne volonté du monde. C’est la même logique dans l’éducation et l’hôpital : c’est plus rentable donc c’est bien… J’ai vraiment l’impression qu’on essaye de dire que garder des enfants c’est à la portée de tout le monde alors que ce sont des personnes qui sont vulnérables, qui sont fragiles. La crèche publique c’était une assurance, maintenant la plupart des parents sont anxieux, et je peux dire qu’ils ont raison de l’être. »

Aussi pour la jeune auxiliaire de puériculture, la grève de jeudi dernier ne pouvait évidemment pas faire l’impasse sur la médiocrité des salaires du secteur qui entretient cette crise : « Avec l’inflation, nos salaires qui sont déjà misérables fondent. La pénurie de personnels (48,6% des établissement en France sont en sous effectifs, ndlr), ils l’organisent tout seul. Ce n’est pas un hasard si l’année dernière, rien que sur les crèches, il manquait plus de 200 personnes sur la ville de Lyon. Mais globalement on n’est pas respectés, c’est un métier hyper physique, tu es toujours baissé, les charges sont lourdes, il y a beaucoup de cas de troubles musculosquelettiques, on court partout... J’ai une collègue qui pouvait plus faire ce métier à cause de son dos, elle pouvait plus porter d’enfant, aujourd’hui ils veulent la dégouter et qu’elle prenne sa retraite en la mettant au ménage, ce n’est clairement pas mieux pour elle, et elle ne peut pas vivre avec 1300 euros. »

Pour être au cœur du problème, la crise du secteur ne peut pas se réduire à la question des salaires. Pour Camille, il est urgent de faire de la petite enfance une question politique : « Il y a des collègue,s ça fait 20 ans, 30 ans qu’elles subissent ces réformes. On fait des métiers qui ont été rincés, donc il y a beaucoup de colère qui se perd en résignation. On aurait besoin que les parents se mobilisent massivement avec nous pour poser vraiment le problème de l’enfance. On se bat pour nos salaires mais on se bat en même temps pour l’accueil des enfants. On ne cesse de recadrer nos revendications autour des salaires, c’est insupportable. »

Enfin, loin d’être au chevet de l’enfance, le gouvernement et les collectivités méprisent complètement les problèmes du secteur. Pour Camille : « La déconnexion avec les pouvoirs publics est totale. En gros ils investissent dans des projets sans nous consulter, pour leur comm’, et toi, tu te bats depuis 5 ans pour refaire un carrelage pas aux normes, tout le monde dit que c’est dangereux, mais non, la priorité c’est toujours une nouvelle galère qui te rajoute du travail. L’institution est vraiment sur une autre planète, ils se moquent complètement de la réalité. En parlant de formation d’ailleurs, quelqu’un du Danemark est récemment venu nous montrer comment ils font là-bas, super hein, sauf qu’ils sont un pour trois enfants et que la crèche commence à un an ! C’est toujours grotesque. »

Face à la destruction des conditions de travail, il est urgent que les directions syndicales, aux côtés des collectifs, organisent la grève et proposent un véritable plan de bataille aux travailleuses et travailleurs du secteur. Car à la base, la colère est là : à Toulouse, dès le 13 septembre, des personnels de la petite enfance avaient devancé l’appel du 6 octobre pour dénoncer les conditions de travail et la maltraitance des tout-petits qui en découle. Dans la situation, le secteur n’a pas dit son dernier mot jeudi dernier. En tissant des alliances avec d’autres secteurs en lutte, comme les ATSEM et les AESH qui se mobilisent elles et eux aussi contre la précarité et la maltraitance, une voie peut s’ouvrir pour imposer les revendications des travailleuses et travailleurs pour leurs salaires, leurs conditions de travail, mais aussi pour offrir aux enfants des conditions d’accueil qui permettent leur bien-être et leur épanouissement.


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