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« Viol cool »

Gangsterdam, figure de proue de la culture du viol et de l’oppression

Sorti en salle mercredi dernier, le film a fait polémique dans les médias et sur les réseaux sociaux, pour ses propos homophobes, sexistes, racistes, et son apologie du viol. Peut-on donc aimer un film qui se fait porte-parole des violences sociales, à l’instar de ses protagonistes ?

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Kev Adams, tête d’affiche et héros du film, humoriste et star de la jeunesse dans la vraie vie, proclame tout de go, lors d’un entretien à Télé Matin pour promouvoir le film, à propos du personnage le plus polémique (Durex, le meilleur ami du personnage principal) : « Oui, c’est un boulet, raciste, antisémite, sexiste, homophobe, raciste, misogyne […] Mais, pourtant, à la fin du film, on l’aime quand même ! »

Sexisme et homophobie ordinaire, culture du viol décomplexée

Rabaissant dès les premières minutes ce qui est féminin ou homosexuel (les faibles « baletringuent », on reproche au personnage principal d’avoir « un regard de femme », pour ne citer que ces exemples…) le film nous plonge dans une atmosphère tranquillement viriliste que la présence quasi inexistante (disons, potiche) de Nora, la femme que veut séduire le personnage de Kev Adams – Ruben – ne contrebalance jamais.

Mais là où le rire se glace définitivement, c’est lorsque le trio débarque chez la femme du méchant du film et que Durex, le fameux meilleur ami du personnage principal, propose littéralement à son ami de la violer, qu’il explicite de cette manière, lorsque Ruben exprime sa désapprobation : « Je te parlais du viol cool. Pas du viol triste où ça chiale, ça crie, ça porte plainte… » Bien évidemment, l’incohérence et l’absurdité du personnage est un support idéal pour porter des propos aussi violents au nom de l’humour.

Si ces paroles sont inacceptables, c’est parce qu’elles reflètent toute la violence de la culture du viol qui irrigue notre société au quotidien. Elles renvoient à l’idée qu’un viol pourrait être acceptable dans certaines conditions, sous-entendent des situations où le non-consentement et l’objectivisation de la femme seraient acceptables. Ces paroles sont les germes de toutes ces situations où les victimes de viol ont très souvent peu d’espace d’expression, parfois peu de compréhension et parfois même honte de leur propre situation en tant que victime de viol.

Car ce sont plus de 200 femmes qui sont violées chaque jour en France et qui arrivent à porter plainte pour ce motif, plus de 600 femmes victimes de violences physiques et/ou sexuelles de la part de leur conjoint chaque jour, et c’est pourquoi il est impossible de prendre ces propos à la légère.

Le sexisme et la culture du viol rejoignent l’homophobie lors de l’ultime ressort scénaristique, lorsque les « héros » ont finalement mis les deux méchants hors d’état de nuire, et, craignant des représailles à long terme, décident de ne pas les tuer, mais de les forcer à se faire une fellation tout en les filmant pour les menacer de diffuser la vidéo sur internet s’ils voulaient se venger à l’avenir. En d’autres termes, l’ultime acte des héros du film (qui permet par ailleurs au personnage de Kev Adams de finalement séduire Nora) est un viol, dont le caractère homosexuel est considéré comme si honteux qu’il apparaît comme la solution idéale pour que les héros obtiennent leur happy end.

Des conséquences désastreuses et une défense fumeuse

Bien sûr, nous ne pouvons pas revenir sur tous les problèmes que pose ce film, sur tous ses défauts scénaristiques ou cinématographiques. Mais il est important de comprendre que, vu sa distribution et le public jeune et fidèle de Kev Adams, son impact social sera dévastateur. Un journaliste du Huffington Post, indiquant avoir « pleuré de dégoût » au visionnage de Gangsterdam, souligne à juste titre un « manque de recul » de la part de l’équipe du film vis-à-vis de la portée sociale des répliques d’un Durex ou d’un Ruben. Car il y a fort à parier que les sorties sexistes, racistes, homophobes (le « viol cool » en tête de cortège) auront un écho certain dans la jeunesse, encourageant à reproduire les pires aspects de notre société actuelle, le dernier acte des héros faisant par ailleurs tristement écho à toutes les violences que subissent les adolescents sur les réseaux sociaux aujourd’hui.

L’équipe du film s’est défendue en sortant nombre d’arguments vaseux, se posant sans complexe en victimes du « politiquement correct » et en défenseurs de la liberté d’expression, faisant preuve d’une immense incompréhension voire d’un immense mépris pour les problématiques sociales que reflète ce film.

Quelle culture pour quelle société ?

Hélas, malgré tout, Gangsterdam a toutes les chances de remplir les salles. Mauvaise publicité restant publicité, surfant sur des scandales comme un Cyril Hanouna ou un Eric Zemmour, ce film, à l’énorme budget de 13,5 millions d’euros, n’est pas un pari risqué pour son équipe (producteurs, réalisateur, acteurs…) grassement payée.

Mais nous sommes en droit de nous interroger sur ce qui mène notre époque à produire de tels produits de consommation culturelle, qui, manquant cruellement de créativité, et produits par une certaine élite particulièrement déconnectée, n’ont finalement pour utilité que de reproduire et réguler la violence sociale qui, chaque jour, blesse, viole et tue. Qui, finalement, use le rire pour tracer la limite entre forts et faibles, qui pointe d’un doigt rieur ceux qui seront opprimés, ceux qu’on peut violenter tout en se donnant bonne conscience car, à la fin du film, les oppresseurs, les racistes, les sexistes, les homophobes, on peut les « aimer quand même ». Une culture pour justifier toute l’inhumanité de notre système et la rendre plus acceptable.

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