Julien Salingue
Pascal Praud est surtout connu comme journaliste sportif, fonction qu’il a exercée durant 22 ans sur TF1 avant de rejoindre en 2010 RTL et i-Télé. Il est aujourd’hui l’animateur de « On refait le match » sur RTL, ainsi que de « 13h Foot » et « 20h Foot » sur i-Télé. Depuis 2014, il anime également une courte chronique quotidienne (« Le Praud de l’info ») sur RTL, billet d’humeur d’environ une minute durant lequel il donne son point de vue sur un fait d’actualité au cours de la matinale d’Yves Calvi [1].
Le samedi 3 décembre, il recevait, dans « 13h Foot » [2], Fabrice Arfi, journaliste à Mediapart, invité à s’exprimer à propos des « Football Leaks », révélations d’un consortium de journalistes portant notamment sur une vaste affaire de fraude et d’évasion fiscales dans le monde du football et impliquant des stars de premier plan, parmi lesquelles Cristiano Ronaldo, soupçonné d’avoir dissimulé plus de 150 millions d’euros au fisc espagnol [3].
Mais après des débuts que l’on pourrait considérer « normaux », l’interview de Fabrice Arfi prend rapidement un cours surréaliste, avec un Pascal Praud qui va successivement remettre en question les éléments constituant les « Football Leaks », laisser entendre que frauder le fisc est une pratique justifiée lorsque l’on a beaucoup d’argent et, last but not least, affirmer qu’il est normal que les journalistes à l’origine de l’affaire subissent des pressions.
Une belle leçon de journalisme et d’indépendance, que le propriétaire d’i-Télé aura sans doute appréciée à sa juste valeur.
« Un discours de morale »
Après une courte introduction, au cours de laquelle le co-présentateur de « 13h Foot », Julien Pasquet, résume l’affaire des « Football Leaks », l’interview de Fabrice Arfi commence avec une première question de Pascal Praud qui cherche à « comprendre » comment le journaliste de Mediapart et ses confrères ont pu obtenir ces informations :
Fabrice Arfi répond à la question de Pascal Praud, non sans avoir auparavant salué « tous les salariés de cette chaîne [i-Télé] qui se sont battus courageusement pour une certaine idée de l’information et de l’indépendance dans notre pays », et conclut sa réponse en insistant sur la gravité des faits établis par les « Football Leaks » :
Il est alors interrompu par Pascal Praud :
Remettre en cause des pratiques illégales, ici la fraude et l’évasion fiscales est donc, selon Pascal Praud, « un discours de morale ». Étrange déclaration, à laquelle Fabrice Arfi réplique :
Le journaliste d’i-Télé ne poursuit pas sur cette voie. Et il fait plutôt bien, sinon nous n’aurions pas manqué de souligner que sa conception de ce qui est « moral » et de ce qui ne l’est pas semble être à géométrie variable, lui qui est très préoccupé par les deniers de l’État et dénonce régulièrement les dépenses publiques « inutiles » au cours de ses chroniques sur RTL, comme le 2 novembre dernier où il s’en prenait vivement aux « Comités Théodule », ces « trucs de l’administration avec un titre bien ronflant » qu’il faudrait supprimer car ils coûtent « 27 millions d’euros » et que « ce serait toujours ça d’économisé ».
Changement de braquet donc dans son échange avec Fabrice Arfi, avec un passage soudain du domaine de la morale à celui de la justice, puisque Pascal Praud tient à préciser « qu’aujourd’hui il n’y a aucune instruction judiciaire qui est ouverte » et donc « qu’on peut avoir quand même pour le moins une forme de présomption d’innocence sur les gens » dont les noms apparaissent dans les « Football Leaks ». Ce qui lui vaut une nouvelle réponse cinglante d’un Fabrice Arfi qui semble déjà commencer à s’agacer :
Rappeler le principe de la présomption d’innocence ? Pourquoi pas. Mais on va rapidement se rendre compte qu’il ne s’agissait pas pour Pascal Praud de se poser en défenseur du droit et de la loi, mais plutôt de tenter de délégitimer Fabrice Arfi et ses confrères à l’origine des « Football Leaks » et de défendre, coûte que coûte, les stars du football mises en cause.
« L’évasion fiscale, c’est un sport national »
Ainsi, alors que le journaliste de Mediapart évoque, un peu plus tard au cours de l’entretien, l’une des sources à l’origine des révélations et s’en prend à la « haute finance », il est en effet de nouveau interrompu par Pascal Praud, qui lui pose alors une question des plus… surprenantes :
Lors du premier visionnage de l’interview, nous avons eu du mal à comprendre cette question. Fabrice Arfi aussi visiblement, qui reste muet suite à l’intervention de Pascal Praud, lequel tente alors de reformuler les choses. Voici l’intégralité de l’échange :
Malheureusement pour Pascal Praud, à Acrimed, nous sommes très joueurs. Nous l’avons donc pris au mot et sommes allés vérifier si la tolérance dont il semble faire preuve à l’égard d’individus se rendant coupable de fraude fiscale, d’évasion fiscale ou, plus généralement, de détournement d’argent, était une constante chez lui. Et nous n’avons pas été déçus du voyage [4].
Le 15 septembre 2016, lors du procès de Jérôme Cahuzac, Pascal Praud n’avait pas de mots assez durs pour condamner l’ex-ministre des Finances et la procureure, coupable à ses yeux d’un réquisitoire trop bienveillant : « Elle a réclamé trois ans de prison ferme à l’encontre de Jérôme Cahuzac. Mais pardonnez-moi de le dire comme ça : trois ans, c’est rien. Il encourait jusqu’à sept ans de prison. Qu’est-ce qu’il faut faire pour avoir le maximum de la peine pour fraude fiscale et blanchiment ? […] Mais aux États-Unis il prendrait des années de prison ! Al Capone est tombé pour fraude fiscale, il avait pris dix-sept ans. »
Un peu plus tôt, le 5 juillet 2016, c’est à Agnès Saal, ex-directrice de l’INA convaincue de détournement de fonds publics, qu’il s’en prenait avec vigueur, ironisant sur la faiblesse de la sanction interne prise à son encontre : « Dans quelle entreprise un salarié qui a volé la société à hauteur de 40.000 euros, condamné, retrouverait-il son bureau après six mois de mise au piquet ? Quelle crédibilité pour Agnès Saal, quelle dignité pour le service public, quelle image pour le ministère de la Culture, et quel exemple pour nous les Français ! […] Le cas Agnès Saal révèle l’état d’esprit de ceux qui nous dirigent : l’exemplarité, c’est toujours pour les autres ».
Etc. [5]
De toute évidence, selon Pascal Praud, il y a fraude et fraude. Si ce sont des ministres, ex-ministres ou hauts fonctionnaires qui sont mis en cause, c’est intolérable et inexcusable. Soit. Mais si ce sont des footballeurs, des dirigeants de clubs, des entraîneurs ou des agents, il faut essayer de les comprendre : après tout, quand on est riche, il est normal que l’on tente « d’échapper à l’impôt » et il peut même arriver que l’on pratique l’évasion fiscale tout en étant de bonne foi et en pensant « respecter les règles ».
« Pardonnez-moi de me faire l’avocat du diable »
Et ce n’est pas tout. Si l’évasion fiscale serait quelque chose que l’on peut comprendre, il est en revanche permis de douter des méthodes d’investigation des journalistes à l’origine des « Football Leaks ». Après tout, est-ce bien légal ?
Raté.
Mais il en faut plus pour arrêter Pascal Praud, qui va ensuite mettre en doute la véracité même des informations révélées dans les Football Leaks car après tout, le monde du football est « incroyablement surveillé ». Cela commence par une remarque faussement naïve :
Remarque à laquelle Fabrice Arfi, de plus en plus agacé, répond sèchement :
Mais Pascal Praud n’en démord pas, a fortiori lorsque le journaliste de Mediapart confirme que la France ne sera pas épargnée par les « Football Leaks » :
Cette fois-ci, c’est l’un des « chroniqueurs football » de l’émission, David Aiello, de Yahoo sports, qui tente de raisonner un Pascal Praud visiblement emporté par sa volonté de défendre coûte que coûte le monde du football, et notamment le football français. S’ensuit un échange durant lequel « l’avocat du diable » Pascal Praud s’empêtre dans une défense de plus en plus maladroite tout en prodiguant à ses confrères des leçons de « précision » :
Marseille une enquête est en cours… »
Avocat du football-business ou journaliste ? De toute évidence Pascal Praud a choisi, ce que va malheureusement confirmer la dernière partie de l’interview [7].
« C’est normal qu’il y ait des pressions sur les journalistes »
Quelques secondes après cette mémorable séquence, David Aiello demande à Fabrice Arfi si les journalistes qui ont enquêté sur les « Football Leaks » ont subi des pressions. Ce qui ne manque pas de faire réagir un Pascal Praud désormais en roue libre :
Oui, vous avez bien lu. Et ce n’est pas fini. Fabrice Arfi explique en effet que des pressions ont bel et bien été exercées, entre autres via des lettres, venues de cabinet d’avocats, exigeant des journalistes qu’ils dénoncent leurs sources et renoncent à publier leurs informations, mais aussi une procédure judiciaire en Espagne visant à empêcher toute publication et à saisir les documents des « Football Leaks ». C’en est trop pour Pascal Praud :
Oui, vous avez bien lu (bis). Et ce n’est pas fini (bis), puisque Pascal Praud va continuer à banaliser, voire justifier les pressions sur les journalistes, en toute confraternité bien sûr, s’attirant de nouveau quelques sèches répliques d’un Fabrice Arfi qui semble ne pas croire ce qu’il est en train d’entendre – et on le comprend :
Pascal Praud décide alors de mettre soudainement un terme à l’entretien. Mais c’est plus fort que lui, il ne peut s’empêcher de provoquer une dernière fois Fabrice Arfi, après avoir fait semblant de rendre hommage à son travail :
Fin de la leçon de journalisme.
***
Pascal Praud aura donc réussi, en une quinzaine de minutes, à faire la démonstration de l’étendue de son talent en se plaçant résolument du côté de ceux qui tentent de jeter le discrédit sur les « Football Leaks » et les journalistes qui ont révélé ce scandale, le tout sur un ton souvent hautain, voire méprisant. Ce qui n’empêche pas le journaliste de tenter, à plusieurs reprises au cours de l’interview, d’arracher un « scoop » à Fabrice Arfi, de préférence à propos de clubs et/ou de joueurs français [8].
Pascal Praud avait brillé par son absence, et son silence, durant la grève à i-Télé, de toute évidence peu concerné par la mobilisation de ses collègues contre les lubies de l’actionnaire et de la direction de la chaîne. Après le visionnage et l’analyse de cette séquence consacrée aux « Football Leaks », on comprend mieux pourquoi.
Un journaliste qui défend la fraude et l’évasion fiscales lorsqu’elles sont pratiquées par d’autres que des ministres ou des hauts fonctionnaires [9], qui remet en question l’intégrité de ses confrères au prix de petits arrangements avec la vérité sans toutefois oublier d’essayer d’obtenir une information qui fera le « buzz », et qui estime qu’il est « normal » qu’un journaliste subisse des pressions n’est-il pas, après tout, le journaliste rêvé de Vincent Bolloré ?
Post-scriptum : Alors que cet article était rédigé, nous avons appris que le Football Club de Nantes, club dans lequel Pascal Praud a exercé les fonctions de Directeur général délégué, venait d’être à son tour mis en cause dans l’affaire des « Football Leaks ». Ceci expliquerait cela ?