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Ecologie

Extinction Rebellion. Limites et illusions de la désobéissance civile

Né en Grande-Bretagne, le mouvement écologiste Extinction Rebellion a rapidement essaimé, rencontrant une croissance fulgurante grâce à ses actions spectaculaires. Se revendiquant de la désobéissance civile, nous discutons ici les limites et illusions de ce mode d'action.

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Extinction Rebellion : objectifs et méthodes

Le mouvement a vu le jour en Grande-Bretagne, en octobre 2018, dans la foulée des grèves étudiantes pour le climat qui ont débuté en Australie, avant que des universitaires ne publient deux tribunes dans The Guardian, journal britannique, entre octobre et décembre 2018, appelant à soutenir publiquement Extinction Rebellion et revendiquant le fait de mettre la question climatique au cœur des débats politiques. Par la suite, d’autres groupes ont essaimé à travers le monde : France, Italie, États-Unis, Brésil ou Allemagne, etc.

Revendiquant la non-violence comme principe directeur, le mouvement Extinction Rebellion puise dans le registre des mouvements civiques – de la lutte pour les droits civiques des afro-américains aux Suffragettes en passant par la lutte pacifiste de Gandhi. [1]L’objectif stratégique de la lutte consiste à interpeller les dirigeants politiques pour leur inaction, afin de les contraindre, entre autres, à déclarer un « état d’urgence écologique », ou à faire du changement climatique un enjeu d’éducation. Parmi les principales revendications, le site français met ainsi en avant les points suivants :

« 1. La reconnaissance de la gravité et de l’urgence des crises écologiques actuelles et une communication honnête sur le sujet.

2. La réduction immédiate des émissions de gaz à effet de serre pour atteindre la neutralité carbone en 2025, grâce à une réduction de la consommation et une descente énergétique planifiée.

3. L’arrêt immédiat de la destruction des écosystèmes océaniques et terrestres, à l’origine d’une extinction massive du monde vivant.

4. La création d’une assemblée citoyenne chargée de décider des mesures à mettre en place pour atteindre ces objectifs et garante d’une transition juste et équitable. » [2]

Le mouvement s’est rapidement fait connaître suite à de nombreux actes de protestations hautement spectaculaires, puisant dans le registre du happening et les codes des mass media, entre logo énigmatique, faux sang, chaînes humaines et corps dénudés, ou encore tactiques d’arrestations de masse et entraves à la circulation. La visibilité et la popularité, surtout auprès d’un public jeune de ces actions a contribué à la médiatisation en un temps record du mouvement.

Tactiquement, le mouvement se cantonne purement au terrain de la légalité et, surtout, de la propriété privée, interpellant les politiciens dans l’optique de les pousser à l’action. Comme le rapporte The Guardian : « Le groupe appelle le gouvernement à réduire les émissions de carbone à zéro d’ici 2025 et à mettre en place une " assemblée citoyenne " pour élaborer un plan d’action d’urgence similaire à celui de la seconde guerre mondiale. En plus des exigences spécifiques, les organisateurs espèrent que la campagne de "perturbation respectueuse" changera le débat autour de l’effondrement du climat et signalera à ceux qui sont au pouvoir que la ligne d’action actuelle conduira à la catastrophe. » [3]

Extinction Rebellion et sa tactique de désobéissance civile comptent ainsi comme principaux succès d’avoir contribué à la médiatisation accrue du problème du changement climatique (éclipsant effectivement, du moins pour un certain temps, le chaos du Brexit), ainsi que le vote au Parlement britannique d’une motion non-contraignante déclarant un « état d’urgence climatique. ». Une « victoire » revendiquée par le leader du parti travailliste Jeremy Corbyn, qui a déclaré espérer que ce vote « déclenchera une vague d’action de la part des parlements et des gouvernements du monde entier. »

Or, la capacité réelle de la désobéissance civile à faire face aux enjeux climatiques, compte tenu de leur ampleur, exprime des illusions quant à la nature de la démocratie bourgeoisie, dont il suffirait d’interpeller les dirigeants pour changer la situation.

Un retour de la conflictualité

Néanmoins, tout en demeurant circonscrit dans le cadre de la légalité bourgeoise, Extinction Rebellion marque un certain retour de la conflictualité dans la rue, notamment au sein de la jeunesse, exprimant dans une certaine mesure le discrédit des méthodes parlementaires habituelles. Face à cette inertie, une partie de la jeunesse, exaspérée et terrifiée par la catastrophe écologique en cours, tend à considérer qu’il est urgent d’agir et de le faire en prenant la rue, bravant, certains pour la première fois de leur vie, la répression policière.

Ainsi, le renouveau des luttes pour le climat, dans lequel s’inscrit Extinction Rebellion, exprime dans une certaine mesure les tendances à la crise organique qui touchent les pays capitalistes du centre. Alors que les mécanismes habituels d’hégémonie de la classe dominante tendent à perdre de leur efficacité, la rue tend à constituer un pôle d’expression plus ou moins légitime, au même titre que le Parlement (ou plutôt pour faire pression sur ce dernier), un point qui, tout en tenant compte de toutes les limites de l’analogie, résonne avec le mouvement des Gilets Jaunes qui perdure depuis plusieurs mois désormais.

Cette similitude ne manque d’ailleurs pas d’inquiéter la bourgeoisie, comme le note un édito de Bloomberg, journal de la bourgeoisie financière américaine : « Mesurées à l’attention qu’elles ont reçues ou au bruit qu’elles ont fait, les protestations contre le changement climatique à Londres ont été un succès retentissant au cours de la semaine dernière. Comme toujours, on se demande si la campagne de désobéissance civile fera une réelle différence, mais elle pose des questions sur les limites de la politique démocratique à l’ère de l’impasse législative. (...) Même si elle ne remporte qu’un succès partiel, elle suggère que la désobéissance civile est une stratégie plus attrayante (peut-être même plus efficace) en période de dysfonctionnement politique que les voies législatives traditionnelles. Les gilets jaunes en France ont un message beaucoup moins cohérent et ont été ouvertement violents, mais le président du pays, Emmanuel Macron, a cédé à nombre de leurs demandes. Tout cela peut être le signe que la démocratie elle-même est en train de devenir plus volatile, moins soumise aux anciennes règles et aux anciens partis et plus soumise aux aléas des mouvements de masse. »

Limites et illusions de la désobéissance civile

Les actions proposées par Extinction Rebellion sont semblables aux actions menées depuis des décennies par des mouvements écolos tels que les Amis de la Terre, Greenpeace ou plus récemment ANV COP21. Pourtant, la communication très travaillée et la popularité actuelle du thème de l’ « effondrement » ont contribué à sa médiatisation importante.

Pourtant, sans minimiser le rôle pédagogique qu’ont pu jouer des organisations écologiques qui mènent une bataille acharnée contre les conséquences néfastes du capitalisme depuis la fin des années 1960, s’attaquer aux réelles causes de la destruction écologique implique une stratégie conséquente capable d’obtenir autre chose que des victoires symboliques ou extrêmement partielles. L’histoire de la désobéissance civile écologique montre en effet que, si elle peut parfois s’affronter courageusement à la répression dans ses actes de désobéissance, elle est confrontée à l’écart gigantesque existant entre l’ampleur de ses objectifs – stopper la destruction de la planète – et la faible portée réelle de ses tactiques et de sa stratégie.

A titre d’exemple, quelques jours seulement après le vote de la motion non-contraignante du Parlement, le chantier de l’aéroport d’Heathrow était relancé, comme le rapporte Reporterre : « A Londres, les défenseurs du climat et de l’environnement ont vite déchanté. La Haute Cour d’Angleterre a rejeté une série de recours judiciaires contre la construction d’une troisième piste à l’aéroport d’Heathrow, qui est le plus fréquenté d’Europe. Le projet, qui représente un investissement de 14 milliards de livres (16 milliards d’euros), a été approuvé l’an dernier à la Chambre des communes. Le capital de l’aéroport d’Heathrow est détenu entre autres par Ferrovial, la Qatar Investment Authority et à la China Investment Corporation. »

Cette décision en dit plus long que toutes les motions votées au Parlement, et incarne parfaitement la fusion du capital et du système politique en acte. Toutefois, celle-ci n’est pas tant l’expression d’une corruption propre aux « élites » que la nature fondamentale du système de production capitaliste où une classe, la bourgeoisie, s’arroge le droit de décider comment nous devons organiser nos vies. Hommes politiques, hommes d’affaires, la fraternité de classe dépasse de loin les simples collusions individuelles.

Dès lors, la possibilité de mettre un terme à l’extinction en cours implique d’avancer vers une économie planifiée sur la base de la libre association des travailleurs. Hypothèse antinomique avec l’existence du système capitaliste régie par la propriété privée des moyens de production. En conséquence, l’hypothèse qu’il est possible d’abattre le capitalisme en usant des institutions qui lui sont fonctionnelles est une illusion. C’est au système capitaliste même, que les élites politiques et leurs institutions servent, qu’il s’agit de s’affronter.

Contre l’idée que la démocratie bourgeoise pourrait être réformée et mise au service d’un projet de société écologique, il s’agit ainsi d’exposer, pour le combattre, le lien consubstantiel entre le système capitaliste et les institutions parlementaires « démocratiques » (dont le vrai visage, celui de la répression, se dévoile à mesure que s’aiguise la lutte des classes, comme l’ont montré le mouvement des Gilets Jaunes confronté à une sanglante répression policière).

En outre, ce constat invite à rappeler que dans une société divisée en classes, l’écologie n’échappe pas à cette logique. Ce sont en priorité les plus démunis qui paient les dégâts de la destruction écologique, et notamment les populations dites du Sud global, qui essuient les affres de la destruction écologique menée par les pays impérialistes. De même, dans les métropoles, les classes péri-urbaines, contraintes de s’éloigner des centres de production, subissent le coût de mesures écologiques qui épargnent les riches et ciblent les travailleurs, faisant de l’enjeu des transports un problème directement politique. En France, le mouvement des Gilets Jaunes, largement composé de travailleurs, longtemps qualifié d’anti-écologiste du fait de ses revendications sur le prix de l’essence, a démontré combien ce sont les plus démunis qui souffrent des conséquences écologiques et politiques néfastes, produits du capitalisme. Parti du prix de l’essence, le mouvement s’est rapidement étendu à une remise en cause des institutions et des politiques néolibérales. Dans ce cadre, si la réponse à la crise écologique ne se fera pas sur le terrain des institutions bourgeoises, elle ne se fera pas non plus sans l’intervention de la classe ouvrière, alliée à tous les opprimés et exploités qui sont en première ligne face aux effets de la destruction de l’environnement.

La catastrophe, et les moyens de la conjurer

Avancer vers le socialisme ou reculer vers la barbarie. D’Extinction Rebellion aux Gilets jaunes, des luttes féministes à un retour contrasté de l’idée de socialisme au sein de la jeunesse aux Etats-Unis, ces mouvements expriment, à des degrés divers, le retour d’une conflictualité qui cherchent les moyens et les objectifs en vue de surpasser un système obsolète basé sur le racisme, l’oppression patriarcale, l’exploitation et la destruction écologique.

L’enjeu central aujourd’hui réside donc dans la « contamination » de la lutte écologique par la lutte pour le communisme, c’est-à-dire pour une société radicalement différente et organisée dans l’intérêt de tous. Preuve de la fébrilité des classes dominantes à l’égard de cette possible contamination, des grands patrons américains en viennent à ouvertement prendre la défense du capitalisme, chose impensable il y a quelques années de ça, tant la « fin de l’histoire » semblait actée. Comme le rapporte le Washington Post[4] « Le capitalisme en crise : pour la première fois depuis des décennies, l’avenir du capitalisme fait l’objet d’un débat parmi les candidats à la présidence et une source d’angoisse croissante pour l’élite économique des États-Unis. »

Aussi, si urgence il y a, c’est bien celle de la reconstitution d’une force capable de s’opposer réellement à la bourgeoisie. Selon nous, cette tâche est inséparable de la création d’un parti qui offre des perspectives stratégiques qui transcendent les limites imposées par le cadre de la démocratie bourgeoise. C’est dans ce sens que les militants du CCR (Courant Communiste Révolutionnaire) militent au sein du NPA (Nouveau Parti Anticapitaliste), pour la reconstruction d’un parti révolutionnaire, en vue d’avancer vers une société rationnelle organisée dans l’intérêt de tous. Car si le capitalisme est en crise, comme l’écrivait le philosophe marxiste allemand Walter Benjamin, celui-ci ne mourra pas de mort naturelle.




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