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26 mai

Européennes. La fausse alternative du gouvernement de gauche à la portugaise

Dans le cadre des élections européennes, Révolution Permanente publie une série d’articles sur les enjeux politiques au niveau national dans plusieurs pays. Au Portugal, les élections du 26 mai ont lieu trois mois avant les législatives. Dans un tel cadre, le débat autour du scrutin a pris une allure très nationale, s’annonçant comme un test pour le gouvernement d’António Costa : celui-ci sera-t-il cette fois-ci en capacité d’assurer seul la majorité ?

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Selon un sondage réalisé par l’Eurosondagem-Associação Mutualista Montepio vendredi dernier, le Parti Socialiste incarné par sa tête de liste Pedro Marques arriverait premier aux élections européennes avec 35,5% des intentions de vote élisant ainsi 8 à 9 députés au Parlement européen. Paulo Rangel du Parti Social-Démocrate (PSD) (l’un des partis historiques de gouvernement au Portugal, actuellement dans l’opposition) arrive en seconde position avec 25,5% des intentions de vote. La troisième place varie quant à elle en fonction des sondages, en balance entre la Coalition Démocratique Unitaire (composée du Parti Communiste Portugais et des Verts) située entre 7,6 et 9,3% des voix et le Bloc de Gauche qui pourrait atteindre selon le sondage Aximage 11,4% des intentions de vote. Quant à eux, le CDS (démocrates-chrétiens) et le nouveau parti Aliança issu de la crise interne au parti démocrate obtiendraient respectivement 7% et 2,5% des votes.

Les Européennes : un referendum pro-gouvernemental ?

A quelques mois des législatives, et quatre ans après la formation du gouvernement PS d’António Costa avec le soutien des partis à sa gauche, les élections européennes font figure de référendum national -aussi bien pour le gouvernement que ses opposants. D’autant plus que le gouvernement a récemment été mis en crise début mai par la grève des professeurs pour la revalorisation des salaires et le comptage du temps de service gelé sous la Troika.

Le Premier ministre souhaite en effet à travers cette campagne revendiquer le bilan « progressiste » de son mandat et a naturellement choisi l’un de ses ministres, Pedro Marques (ministre des Infrastructures) pour défendre son bilan. Fidèle du Parti Socialiste, celui-ci est pourtant l’ancien secrétaire d’Etat à la Sécurité Sociale de José Socrates, connu pour l’application des programmes d’austérité qui auront valus au Parti Socialiste de nombreuses sanctions dans les urnes par la suite.

L’enjeu pour Costa qui voit ce scrutin comme une préparation des législatives du 6 octobre est de s’assurer la majorité permettant au PS de gouverner seul. Alors que son parti est premier dans les sondages, il a souligné « qu’aux législatives de 2015, il aurait valu la peine de voter et de donner plus de forces au PS pour qu’il puisse faire [encore plus que] ce qu’il a accompli aux longs de ces dernières années ». Pour rappel, au sortir des législatives de 2015, ni le Parti Socialiste ni le Parti Social-Démocrate -qui ont fait payer la crise aux travailleurs et aux classes populaires pendant des années à travers les mesures d’austérité- ne parviennent à obtenir le nombre de voix nécessaires pour constituer un gouvernement. Le PS, arrivé second après les conservateurs acceptera la généreuse proposition de soutien des partis à sa gauche (Parti Communiste et Bloc de Gauche) afin d’accéder au gouvernement.
Costa, qui avait promis de « tourner la page de l’austérité », explique ainsi que voter PS lui permettrait d’aller plus loin dans ses timides réformes sociales. Il revendique ainsi l’augmentation du salaire minimum de 505 à 600 euros entre 2015 et 2019 (qui ne s’est pourtant pas traduite par une augmentation des salaires réels) comme l’une de ses conquêtes face à l’Europe. Mais pas question pour le PS d’affoler Bruxelles : le parti affiche d’ailleurs en figure de campagne les « modérés » du PS à l’image de Augusto Santos Silva, qui revendique qu’« au PS, les comptes sont à jour » et que jamais n’ont été remises en cause les règles européennes. Et pour cause, le gouvernement continue de payer sur le dos de la population les intérêts exorbitants de la dette ainsi que la recapitalisation des banques.

Pourtant, Santos Silva voit également la possibilité que les partis socialistes européens (les mêmes qui ont appliqué avec parcimonie les mesures austéritaires) soient la tête de proue du front « progressiste » contre l’extrême-droite européenne.

Une fragmentation du vote à droite

Pour le Parti Social-Démocrate, dirigé par Rui Rio, « un bon résultat serait d’obtenir plus » qu’en 2014 et un « très bon résultat serait de gagner les élections ». En 2014, le PSD qui avait fait campagne commune avec les démocrates-chrétiens du CDS avait obtenu 27,7% des voix. Celui-ci cherche également à démontrer à quelques mois des législatives qu’il incarne « la seule et unique alternative au Parti Socialiste » selon les mots de sa tête de liste Paulo Range. Ce dernier doit faire face à une fragmentation du vote conservateur, ouvert par la contestation de la coalition de gauche, et profitant à l’émergence de nébuleuses de droite. En effet, selon le politiste Costa Pinto « La crise du PSD paraît avoir ouvert un espace à droite de la politique portugaise. Les nouveaux partis veulent profiter de l’occasion pour occuper cet espace provoqué par la division du parti de Rui Rio […] un succès aux européennes pourrait avoir un effet de contagion aux législatives, séparées de trois mois uniquement ». Ainsi, le nouveau parti Aliança dirigé par Pedro Santana Lopes, figure historique sortante du PSD, pourrait conquérir 2,5% des votes. D’autres nouvelles formations de droite ont également vu le jour, comme Initiative Libéral, ou encore Chega !

Mais pour le PSD comme pour le PS, le véritable rival pourrait être l’abstention. Aux dernières européennes, celle-ci s’était élevée à 66% au Portugal, l’une des plus élevées en Europe dans un pays où le souvenir et les effets de la Troika sont encore bien présents.

Une vague de grèves contre le "gouvernement des progressistes"

En meeting à Vila Nova de Gaia, António Costa a assuré « nous avons rendus les salaires et les retraites, et mis fin aux impôts [du gouvernement précédent] ». Il a également parlé de neuf mille emplois en plus dans la santé publique. Pourtant, Costa sort d’une crise politique importante liée à la grève des professeurs pour la revalorisation des salaires et le décomptage du temps de service gelé sous la Troika qui a bien fallu lui valoir son poste.

Début mai, le Premier ministre socialiste avait en effet menacé de démissionner si le Parlement votait en faveur du recouvrement intégral des salaires des professeurs, gelés pendant neuf ans, une mesure mise en avant par la commission Education du Parlement avec le soutien de l’opposition de droite et des alliés de gauche du gouvernement. Le texte a finalement été désapprouvé par le vote des députés PS, PSD et CDS. Mais la revalorisation de l’ancienneté dans la fonction publique est une revendication particulièrement mise en avant par les enseignants qui réclament la récupération de 9 ans, 4 mois, et 2 jours de gel de salaires, et qui ont pour cela mené des grèves très majoritaires. Costa avait déclaré qu’il n’y avait pas d’argent, la mesure s’élevant selon le gouvernement à 635 millions d’euros. Pourtant, comme l’ont souligné les dirigeants syndicaux, le gouvernement a fourni cette année 1 150 millions pour la recapitalisation de la banque privée Novo Banco.

Quelques jours avant la semaine sainte, une grève des chauffeurs routiers a provoqué des pénuries de carburant, la fermeture de plus de 1 200 stations-service et la paralysie de l’aéroport de Lisbonne et de plusieurs ports. Le gouvernement Costa avait déclaré l’état d’alerte dans le but de mobiliser les forces de sécurité et l’armée pour briser la grève. La mobilisation avait été convoquée par le Syndicat national des transporteurs de marchandises dangereuses, avec comme revendication de définir une catégorie professionnelle spécifique pour ces travailleurs. Fin 2018, des chauffeurs de taxi, des infirmières, des cheminots, des pompiers, des magistrats et des enseignants s’étaient également mis en grève. Les dockers du port de Setubal avaient paralysé les échanges de marchandises pendant plus d’un mois, imposant des mesures contre les contrats précaires. Au total, 260 grèves ont été enregistrées en 2018, soit trois fois plus que sous le gouvernement conservateur de Pedro Passos Coelho : un aveu du progressisme de façade de ce gouvernement. La majorité des revendications des syndicats concernent actuellement des augmentations de salaire, la fin des réductions d’effectifs imposées en période de crise et à l’amélioration des conditions de travail et de la qualité des services publics. Au niveau des salaires, les timides augmentations ne permettent pas de pallier l’augmentation du coût de la vie, comme l’augmentation du prix de l’immobilier qui s’est envolé dans des villes comme Porto ou Lisbonne face à la pression touristique.

Derrière les slogans de campagne, la fausse alternative du gouvernement de gauche à la portugaise

Au Bloc de Gauche on reconnaît que « l’augmentation du salaire minimum n’a pas permis d’augmenter les salaires réels », que les contre-réformes structurelles du marché du travail du gouvernement conservateur n’ont pas été remises en cause et que des milliers des travailleurs sont exclus des conventions collectives. Ils reconnaissent également que le gouvernement donne la priorité au paiement de la dette et au sauvetage par millions des banques privées, mais revendiquent tout de même le pari d’avoir soutenu Costa. Il en va de même pour le Parti communiste qui tout en se disant critique de l’attitude du gouvernement à l’égard des grévistes et du sauvetage des banques n’en demeure pas moins un soutien indispensable. Les deux partis semblent mis en difficulté dans le cadre de ces élections européennes par la capitalisation du PS à sa gauche. Catarina Martins a ainsi déclaré que « seuls ceux qui ont respecté [les promesses] méritent [d’en récolter les fruits] » et espère voir son parti élire deux à trois députés à Bruxelles.

Le Parti Communiste et le Bloc de Gauche justifient ces échecs par un manque de rapport de force. Rapport de force en réalité dégradé par leur propre soutien à un exécutif qui gouverne pour les banques, alors que parallèlement les grèves combatives des travailleurs montrent la voie à suivre pour bâtir ce contre-pouvoir. Au lieu d’envisager une politique d’indépendance de classe, d’appuyer la lutte pour le non-paiement de la dette, la nationalisation du secteur bancaire sous le contrôle de la population et l’indexation des salaires, le Bloc de Gauche et le PCP sont la béquille de gauche de Costa depuis maintenant quatre ans. Un exemple souvent revendiqué en France par la France insoumise, comme une alternative aux injonctions de Bruxelles mais qui se révèle être avant tout une politique d’adaptation au moindre mal.

Crédits photo : Ludovic Marin / POOL / EPA


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