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Etats-Unis

Etats-Unis. Des élections de mi-mandat sur fond de débats sur l’avortement

Les élections de mi-mandat (midterms) auront lieu ce 8 novembre. Elles déboucheront sur le renouvellement d’une grande partie du congrès ainsi que de nombreux sièges de gouverneurs. La question de l’avortement a pris une place de choix dans les débats, quelques mois après l’abrogation de Roe v. Wade.

Wolfgang Mandelbaum

1er novembre 2022

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Frederic J. Brown / AFP

Les élections de mi-mandat aux États-Unis auront lieu dans une semaine. Sur fond d’une polarisation grandissante de la société, les Américains sont appelés aux urnes afin de renouveler la Chambre des représentants (435 représentants), un tiers du Sénat (33 sénateurs), de même que les gouverneurs d’une grande partie des États. Le gouvernement Biden dispose depuis le début de son mandat d’une « trifecta » (contrôle de l’exécutif et des deux chambres du Congrès), mais il y a fort à parier que Biden sorte de ces élections très affaibli, ayant perdu une voire deux des chambres du Congrès. Cela aboutirait à un « gridlock », une impossibilité de faire adopter des lois, en raison d’une opposition quasi-systématique des élus républicains, notamment à travers le mécanisme du « filibuster ».

Une élection à enjeux pour les deux partis

Ce mécanisme, le “filibuster”, est un enjeu majeur de ces élections. Il permet, dans sa version la plus sommaire, à un sénateur de prendre la parole pour une durée indéterminée, faisant ainsi obstruction au passage d’une loi. Le filibuster a cependant évolué, au point où une majorité de ⅗ est nécessaire pour l’interrompre, et si officiellement une majorité simple suffit pour adopter une loi, dans les faits les propositions de lois ne peuvent généralement pas passer sans « supermajorité ».

Si Biden dispose actuellement d’une courte majorité à la Chambre des représentants, faire ratifier une loi par le Sénat est plus épineux  ; la chambre est divisée 50/50 (+ 1 vote possible de la vice-présidente Kamala Harris), et deux élus de l’aile droite des Démocrates, Kyrsten Sinema et Joe Manchin, font systématiquement obstruction à toute loi un tant soit peu progressiste. De toute façon, dans la plupart des cas, une majorité de ⅗ est nécessaire pour faire adopter des lois ne recevant pas un soutien bipartisan. Dans aucun scénario Biden ne parviendra à obtenir les 60 sénateurs nécessaires, mais une autre solution s’offre à lui  : supprimer la procédure du filibuster, qui nécessiterait une majorité simple  ; si les Démocrates parviennent à gagner deux sièges supplémentaires, Biden pourrait en finir avec l’obstruction parlementaire systématique des Républicains.

Du côté républicain, le principal enjeu de ces élections est la direction générale du parti. Une victoire républicaine équivaudrait à une validation de la ligne trumpiste, à plus forte raison si les candidats triés sur le volet par Trump lui-même parviennent à arracher quelques sièges. Cela fraierait la voie à une éventuelle réélection de l’ancien Président qui a depuis deux ans tout fait pour garder son aura, à travers une extrême-droitisation sur tous les sujets et un renforcement de la figure messianique qu’il a construite.

L’avortement et les questions économiques au cœur de la campagne

Si les enjeux sont grands pour le parti Démocrate, il le sont d’autant plus pour tous les Américains. Quatre mois après l’abrogation par la Cour suprême de l’amendement « Roe v. Wade » – qui légalisait de facto l’avortement à un niveau fédéral –, la question de l’avortement et des droits reproductifs a pris une place de choix dans le débat, alors qu’un texte de loi est actuellement étudié au congrès pour interdire l’avortement après 15 semaines. Les Démocrates ont en effet focalisé leurs campagnes sur le droit à l’avortement, sur lequel Joe Biden promet de légiférer dans le cas d’une victoire lui permettant de conserver le contrôle du Congrès. La codification de Roe v. Wade était possible sous Obama, qui disposait d’une majorité suffisante au congrès de 2009 à 2011, mais n’est jamais advenue en raison de la torpeur et du manque de courage politique habituel des Démocrates. Pourtant, tous les sondages d’opinion s’accordent sur le fait que les Américains dans leur majorité se montrent favorables au droit à l’avortement  : seuls 20 % se disent défavorables aux interruptions de grossesse quelles que soient les circonstances. Des analystes pointent d’ailleurs une recrudescence des inscriptions sur les listes électorales, qui seraient essentiellement le fait des Américaines.

Les Démocrates ont ainsi mis toutes leurs forces sur la question des droits reproductifs  ; ce n’est pas la première fois qu’ils se servent de l’avortement à des fins électorales. De fait, depuis des décennies, la question de l’IVG revient systématiquement sur le devant de la scène avant chaque échéance électorale, et à chaque fois le même scénario se répète : les promesses sont trahies une fois les Démocrates en position d’étendre le droit à l’avortement. Si dans le contexte de rejet de Roe v. Wade, ne pas légiférer sur l’avortement après les midterms équivaudrait à un suicide politique, il est fort possible que la question ne se pose même pas, une victoire suffisante des Démocrates étant loin d’être acquise, loin de là. Du côté républicain, les candidats ont parié sur la mobilisation des secteurs les plus religieux de la société, qui pourraient se déplacer en masse pour aller voter pour des candidats ayant promis d’interdire l’avortement dans leurs États respectifs. Ils sont aidés dans ce sens par les groupes évangélistes, qui ont dépensé sans compter pour soutenir les candidats républicains.

Quels sont les autres thèmes de la campagne  ? En vérité, la question de l’avortement a pris une place si prépondérante dans le débat que bien des sujets, pourtant cruciaux, sont éclipsés. Les problèmes économiques des Américains sont certes abordés, mais d’une manière assez vague. « Votez-pour nous et tout ira mieux ». Voilà comment on peut caractériser, en grossissant à peine le trait, la place donnée à la question du coût de la vie dans les débats et les meetings des différents candidats. Les problématiques économiques, particulièrement délaissées par les Démocrates, sont quelque peu plus prisées par les candidats républicains qui essayent de se donner une image « proche des difficultés des petites-gens » mais qui ne voient pas d’autre issue à crise qu’une libéralisation toujours plus forte et sur tous les plans, à coup de privatisations, destructions des acquis sociaux, réduction des pouvoirs du gouvernement fédéral, etc.

Dans les faits, le programme démocrate ne diffère pas grandement  ; si les différences entre les deux parties se sont quelque peu creusées ces dernières années, avec l’extrême-droitisation à outrance du « Grand Old Party », les États-Unis restent gouvernés par un « parti unique à deux têtes » dès qu’il s’agit des questions économiques. Malgré les tendances au protectionnisme qui se sont renforcées dans le pays et dans le monde, le modèle néo-libéral reste de mise pour les deux partis et les attaques sur les droits des travailleurs émanent plus que jamais des deux camps.

Si pour certains la crise inflationniste a relativement épargné l’économie étasunienne, c’est avant tout parce que le gros du fardeau a été rejeté sur les classes les plus pauvres. Tandis que les multinationales engrangent des profits records, permettant de sauvegarder la sacro-sainte croissance, les prix à la consommation n’ont cessé d’augmenter jusqu’en octobre, avant d’entamer une petite pente descendante, un atout important pour Biden si la dynamique continue. Dans un but de rééquilibrer l’offre et la demande, la réserve fédérale a augmenté son taux d’intérêt à 5 reprises depuis le début de l’année, de 0 points au début de l’année à 3,25 fin septembre. Une mesure palliative qui non seulement rend plus difficile pour les Américains d’emprunter de l’argent, mais met à mal la stabilité financière du pays et du monde par l’érosion de la demande.

Dans ce contexte de difficultés économiques, Joe Biden a pris quelques mesures pour alléger les prix de l’essence, y compris en puisant dans les énormes stocks de pétrole du pays. Des études ont montré que les intentions de vote lors des élections sont fortement corrélées au prix de l’essence  ; plus les prix à la pompe sont élevés, moins les Américains ont tendance à voter pour le parti au pouvoir. Ces mesures ont à juste titre été perçues comme des manœuvres électoralistes, et il y a de fortes chances pour que les prix se remettent à grimper une fois les midterms passés.

Un autre thème majeur de la campagne est l’immigration  ; la question est particulièrement prégnante dans les États frontaliers du Mexique. Il ne s’agit bien sûr pas d’un débat pro- ou anti-immigration, mais plutôt sur l’ampleur des politiques anti-migratoires. À titre d’exemple, en Arizona, le candidat démocrate à sa réélection à la Chambre des représentants, Mark Kelly, a plaidé pendant la campagne pour un renforcement du mur le long de la frontière (après avoir exprimé son désaccord pour la construction du même mur sous l’administration Trump…), et avait marqué son opposition à l’abrogation du Titre 42, une mesure permettant d’empêcher le passage de la frontière aux demandeurs d’asile quand les États-Unis sont touchés par une épidémie.

Une autre thématique très présente dans les débats électoraux des États rouges (traditionnellement républicains) est celle de la transidentité. Les candidats rivalisent d’inventivité pour restreindre les droits des personnes trans, alors qu’une proposition de loi « Don’t Say Gay » a été introduite au congrès après son adoption en début d’année en Floride. Les candidats Républicains s’attaquent au « wokisme », au « marxisme culturel », et nombreux sont ceux à proposer une interdiction totale de toute opération de réattribution sexuelle pour les personnes trans, tandis que le gros du débat tourne autour de l’interdiction pour les femmes trans d’entrer dans les toilettes pour femmes.

Élections et duels clés

En Pennsylvanie, un état traditionnellement démocrate qui a vu une montée des Républicains, un duel particulièrement suivi à une échelle nationale est celui qui oppose le républicain Mehmet Oz (alias « Dr. Oz ») et le démocrate John Fetterman pour un siège au Sénat. Le premier est un charlatan télévisé qui a bâti sa fortune sur de la désinformation médicale et de ventes de suppléments alimentaires. Soutenu par Donald Trump, Oz porte un projet classiquement réactionnaire, mais a été critiqué, y compris à l’intérieur de son propre parti, pour avoir la double nationalité turque, tandis que Fetterman l’attaque régulièrement sur son absence d’ancrage local en Pennsylvanie. Fetterman quant à lui se présente comme un homme du peuple, avec son sweat-capuche, et ses tatouages. Accusé de satanisme par ses adversaire en raison de son look « métalleux », il est également la cible d’attaques suggérant son inaptitude à exercer une fonction de sénateur suite à un AVC dont il a été la victime en mai dernier. Un des candidats démocrates les moins détestables, Fetterman a axé sa campagne sur les questions économiques, mais son avance dans les sondages ne cesse de s’amoindrir.

En Géorgie, une ancienne star de football américain, Hershell Walker, brigue le poste de sénateur du démocrate Raphael Warnock. Walker a centré sa campagne sur ses valeurs chrétiennes et son opposition à tout avortement, même en cas de viol ou de risque pour la vie de la mère. Il est cependant empêtré dans des scandales, notamment pour avoir payé pour l’avortement d’une de ses maîtresses en 2009. Ça ne s’invente pas. Un autre duel très suivi en Géorgie oppose la ponte du parti démocratique Stacey Abrams au Républicain anti-Trump Brian Kemp pour le siège de gouverneur, un match retour entre les deux candidats qui s’étaient déjà affrontés en 2018. Kemp, qui occupe actuellement le poste, avait diffusé, lors de l’imbroglio autour du décompte des votes de l’élection présidentielle de 2020, un extrait téléphonique dans lequel le président sortant Donald Trump lui demandait de trafiquer le nombre de votes en sa faveur. Ce match est donc particulièrement important pour les Républicains anti-Trump, en minorité dans le parti.

La Floride présente la particularité d’être un des seuls États dans lequel la question du climat occupe une place assez conséquente dans les débats qui opposent le sénateur républicain en fonction Marco Rubio, soutenu par Trump, et la démocrate Val Demmings. Historiquement climatosceptique, Rubio a dû quelque peu modérer son discours à l’aune des ouragans à répétition qui ont dévasté l’État à plusieurs reprises ces dernières années. Si Demmings est élue, elle deviendrait quant à elle la première femme noire sénatrice de Floride.

Diverses conséquences

Décrites par certains analystes comme les élections les plus importantes depuis des décennies (c’est le cas de la plupart des élections depuis des années), ces élections n’auront finalement qu’un impact assez limité pour les Américains. Certes, dans l’éventualité d’une large victoire démocrate, l’avortement sera probablement légalisé à une échelle fédérale, mais les modalités mêmes d’une telle mesure feront l’objet d’intenses tractations, et il est fort probable que l’accès à l’IVG reste très partiel : si Biden a évoqué un accès à l’avortement jusqu’à trois mois de grossesse, le passage au congrès pourra être conditionné à une réduction de ce maximum. De même, une codification de Roe v. Wade n’enlèvera pas le difficultés d’accès à l’avortement auxquelles doivent faire face les Américaines, et ce, y compris dans les États dans lesquels l’avortement reste possible : manque de cliniques et de personnel, nécessité de traverser tout l’État pour trouver une clinique qui puisse les prendre en charge, stigmatisation par les familles, les écoles ou les églises, persistance d’un fort racisme médical qui fait que les femmes noires sont la catégorie de la population la moins bien prise en charge par les services de santé, etc.

Au-delà de la question de l’avortement, les Américains les plus pauvres ne vont pas du jour au lendemain voir leur pouvoir d’achat évoluer de manière notable ; les Américains vont devoir choisir la peste ou le choléra, et n’ont donc rien à espérer d’une classe politique unie pour faire peser sur eux le gros d’une crise économique qui ne fait que commencer. Face à cela, quelques signes positifs peuvent être constatés, notamment en ce qui concerne la vague de syndicalisation sans précédent qu’a connu le pays depuis le début de l’année. Les Américains n’ont rien à espérer d’un changement par en haut.

Si la politique étrangère des États-Unis n’est pas au premier plan des débats, les midterms auront par contre potentiellement un impact important sur le déroulement de la guerre en Ukraine. Les Républicains n’ont pas de ligne unifiée sur la question des aides à l’Ukraine. Trois positions ont été mises en avant par les divers candidats. Pour certains, les envois de matériels militaires sont insuffisants pour garantir une victoire de l’Ukraine, et ceux-ci plaident pour des expéditions d’armes de plus gros calibre. Une seconde ligne – principalement portée par l’aile trumpiste et le très influent commentateur politique d’extrême-droite Tucker Carlson – souhaite une réduction drastique de l’aide à l’Ukraine, financière ou militaire. La troisième position, globalement satisfaite des plans d’aides du gouvernement Biden, est celle d’un statu quo. Les partisans d’une réduction des aides, unis derrière le slogan « America First », mettent cyniquement en avant le fait que les énormes sommes dépensées pour l’Ukraine devraient aller aux Américains pour soulager les ménages les plus touchés par la crise. Cette ligne reste cependant minoritaire, et est décriée par la majorité du parti, allant à l’encontre des intérêts de l’empire américain et des enjeux impérialistes à l’oeuvre dans le conflit en cours.


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