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Entretien de Macron. Face à la défiance, reconstruire un récit national pour 2022

Dans un très long entretien au journal l'Express, Macron a livré un récit des lignes qu’il souhaite tracer en vue de la fin de son quinquennat. Embrassant le concept d’« identité nationale » de Sarkozy, le chef de l’État cherche à consolider sa base sociale ancrée à droite tout en cherchant à dialoguer avec l’électorat de centre-gauche qui avait voté pour lui au premier tour de la présidentielle de 2017. Se positionnant à l’ « extrême-centre » contre l’obscurantisme, Macron cherche face à la défiance à imposer son récit sur la crise sanitaire, sur laquelle se jouera probablement la présidentielle de 2022.

Anna Ky

25 décembre 2020

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Crédits photo : Ludovic MARIN / POOL / AFP

Dans un entretien fleuve accordé à l’Express à l’issue de cette année 2020, Macron tente un numéro d’équilibriste pour tracer une voie médiane pour 2022. Cherchant à s’ancrer toujours plus sur la base de la droite traditionnelle, Macron a développé en profondeur sa vision de la République en développant un récit sur le « peuple français », ses « contradictions » et « l’identité nationale ». Réfutant le concept d’assimilation, Macron préfère parler d’intégration. « L’intuition de Nicolas Sarkozy il y a dix ans était bonne même s’il me semble que la formule "d’identité nationale" était sujette à trop de polémiques », explique donc le président, jouant sur le terrain de la droite traditionnelle. 

Brossant un « récit national complexe », Macron déclare à l’Express qu’ « être français, c’est d’abord habiter une langue et une histoire ». Derrière cette rhétorique, Macron cherche à dessiner la suite de son quinquennat et à répondre à la crise de l’ « autorité » par un renforcement de l’ordre républicain, sur fond de patriotisme à visée ouvertement xénophobe : « C’est pour cette raison que nous renforcerons les cours de français et nos exigences en histoire, en particulier pour accéder à la nationalité »

Macron cherche également à s’afficher en chef de l’État qui n’a pas peur de faire face aux heures les plus sombres de « l’Histoire de France ». Plutôt que de s’indigner, il nous faut «  comprendre  », explique-t-il. Ce qui l’amène à déclarer : « Je combats toutes les idées antisémites de Maurras [figure de l’Action française] mais je trouve absurde de dire que Maurras ne doit plus exister. » Un discours particulièrement relativisant, qui vise à réhabiliter le récit national pour reconstruire un nouveau consensus avec certains secteurs de la société. Un discours qui va de nouveau jusqu’à revendiquer la figure de Pétain : « Je me suis construit dans la haine, dans le rejet de l’esprit de défaite et de l’antisémitisme de Pétain mais je ne peux pas nier qu’il fut le héros de 1917 et un grand militaire. On doit pouvoir le dire. » 

Un récit qui ne passe pas y compris au sein de la presse dominante, comme dans le dernier édito du Monde datant du 24 décembre : « C’est un message ambigu, donc dangereux, de la part d’un président de la République, de choisir ces personnages pour critiquer une « société de l’émotion permanente » et donner ainsi une lecture de l’histoire de France que beaucoup d’historiens critiqueront. » Dans cette longue interview, c’est en effet à « l’indignation et l’émotion permanentes » que s’en prend Macron.

« Nous sommes devenus une société victimaire et émotionnelle, argue-t-il. La victime a raison sur tout. Il est très important de reconnaître les victimes, de leur donner la parole, nous le faisons. Mais, dans la plupart des sociétés occidentales, nous assistons à une forme de primat de la victime. Son discours l’emporte sur tout et écrase tout, y compris celui de la raison. » 

Tentative de concilier le « en même temps » macronien pour souder un nouveau bloc social ancré particulièrement à droite, que d’évoquer la « complexité » de figures réactionnaires, antisémites et meurtrières comme Pétain et Maurras tout en dénonçant la « victimisation permanente » de la société. Visant ceux qui se mobilisent contre les violences policières, mais aussi ceux qui dénoncent l’islamophobie d’Etat, il tente cependant d’ouvrir le dialogue avec des franges de la jeunesse s’accordant sur l’existence d’un privilège pour l’homme blanc. Une manière de se positionner vis-à-vis de son électorat de premier tour de la présidentielle de 2017, tout en soufflant sur les braises du racisme tel un pompier pyromane. 

Mais Macron va plus loin. Son entretien fleuve vise également à consolider l’offensive islamophobe du gouvernement qui s’incarne dans la loi sur les séparatismes, en en faisant le pilier du consensus islamophobe qu’il chercher à construire avec sa base sociale en vue de 2022 : « Le projet porté par la loi confortant les principes républicains, notamment la lutte contre cette idéologie qu’est l’islamisme radical, consiste à nous battre pour préserver la solidité du socle commun menacé par des coups de boutoir à l’école, dans certains quartiers, parce que nous avons été trop hésitants à le défendre. Nous avons trop tardé collectivement à le faire : sans doute la classe politique n’avait-elle pas compris qu’il fallait une politique volontariste. » 

En d’autres termes, Macron se prépare à un face-à-face avec Le Pen en 2022, et cherche à construire un nouvel « en même temps » pour consolider sa base sociale à droite. Sur sa gauche, Macron se contente du « minimum » l’obligeant toutefois au très grand écart. D’après des journalistes des Échos, le président confierait à sa garde rapprochée : « On ne perdra pas à gauche, l’éparpillement de l’offre est trop fort ». Ce qui explique ses mains tendues à un électorat réactionnaire et conservateur, en multipliant les références à De Gaulle et même à d’autres figures encore plus conservatrices, en reprenant à son compte le combat de Nicolas Sarkozy pour « l’intégration » et « l’identité nationale » et en renforçant la répression aux frontières et dans les quartiers populaires. 

Mais c’est aussi sur la crise sanitaire que l’exécutif, largement sous pression, cherche à développer un discours de victoire autour de la gestion de la seconde vague. « A ce titre, le deuxième confinement est un exemple d’efficacité car nous avons pris la décision au bon moment  », a-t-il lancé. Un contre-discours qu’il cherche à opposer aux « complotistes » qu’il assimile à tous ceux qui critiquent la gestion sanitaire catastrophique du gouvernement. Une manière habile, sous couvert de légitimité de la « science », de construire un récit officiel qui vise à accepter la parole gouvernementale ou a contrario d’être assimilé à l’obscurantisme. Macron le sait, la présidentielle de 2022 pourrait se jouer sur la crise sanitaire.


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