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Mouvement ouvrier

Entretien. Les aiguilleurs de la CCR de Paris nord reviennent sur leur grève victorieuse

La grève des aiguilleurs de la Commande Centralisée du Réseau de Paris Nord pour leurs conditions de travail et leurs salaires, qui a duré deux mois, s’est soldé par une victoire le 19 mai dernier. Retour avec plusieurs agents sur les débuts, le déroulement et les bilans d’une grève victorieuse.

Adèle Chotsky

2 juin 2023

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Entretien. Les aiguilleurs de la CCR de Paris nord reviennent sur leur grève victorieuse

Crédits photo : Révolution Permanente

Les aiguilleurs de la Commande centralisée du réseau (CCR), le poste d’aiguillage le plus important de France ont fait une grève de deux mois pour leurs salaires et leurs conditions de travail. Après des débrayages de 59 minutes puis des journées noires, ils et elles ont fait une « semaine noire » de grève reconductible en mai. Une lutte qui a fini par arracher des revendications face à la direction et s’est terminée par une victoire le 19 mai dernier.

Le centre gère à la fois des lignes B et D du RER, de la ligne H du Transilien, jusqu’à Saint-Denis, des lignes de fret du Bourget et des trains travaux d’entretiens. Selon de nombreux agents, le conflit trouve ses racines bien avant, en 2019. Pour Marvin, qui y travaille depuis l’ouverture en 2017 « Cette grève fait suite à un premier mouvement qu’on avait fait en 2019 avec plusieurs revendications qu’on a réitérées cette année, parce que l’on n’avait pas été écoutés, sur la qualité de vie au travail et les rémunérations ».

Alim, qui travaille dans le centre depuis l’ouverture également, raconte : « C’était un nouveau poste et on s’est retrouvés du jour au lendemain à le gérer avec énormément de circulation. Pour la direction c’était un poste informatisé donc tout allait se faire tout seul, l’intervention des agents allait être réduite au minimum. Avec la densité de circulation (1 train toutes les trois minutes), la sono et les puits de lumières, c’est un environnement qui est très stressant, très bruyant ».

Or, malgré tout, rien n’est fait, et les conditions de travail s’aggravent, dans un centre qui gère jusqu’à 2000 trains par jour. Pour Alim « tout ce qu’on avait mis sur la table à l’époque ne s’était pas arrangé. Il y avait aussi des nouvelles choses qui apparaissaient, avec un mal être et des gens qui avaient l’impression d’être coincés là-bas, le fait que tout ce qu’on remontait à la direction n’était jamais entendu ».

Les lieux de travail sont délabrés, et les problèmes s’accumulent. « Il y avait de gros problèmes au niveau de la climatisation, il faisait trop chaud l’été, trop froid l’hiver, on a eu des problèmes au niveau du sol en moquette qui s’arrache et se déchire. On demandait plusieurs choses basiques : changer les chaises, un nettoyage régulier au niveau de la poussière. » décrit sa collègue Manon, qui arrive à la CCR en avril 2022.

Alim nous raconte aussi : « Au niveau de la formation, les agents étaient parfois formés par des nouveaux arrivés, on a dit que ce n’était pas normal. Les agents formés par des gens inexpérimentés étaient mal formés et pouvaient même être dangereux, ce qui n’est pas anodin car on gère des gens qui prennent les transports en commun tous les jours ».

Sous le vernis d’un poste moderne, dont la SNCF veut faire une véritable vitrine de l’entreprise, ce sont des conditions de travail éprouvantes pour des salaires qui stagnent, et un mépris de la direction. « En arrivant, j’ai ressenti cette impression de ne pas être vraiment considérés. Il y avait vraiment un besoin de reconnaissance et de respect pour les agents », nous explique Manon.

« Quand des gens arrivent au centre ils ont l’impression d’arriver à la NASA avec des ordinateurs, des écrans de partout, avec du bruit, ça n’arrête pas… détaille Alim. Toute cette pression, la responsabilité pénale des agents qui peut être engagée, tout ça en 3x8, pour 2000€ par mois en moyenne ? Aujourd’hui, on est en flux tendu en permanente par manque d’effectifs : la direction ne veut pas admettre que les salaires ne sont pas en adéquation avec ce qu’ils nous demandent ».

Des revendications balayées par la direction

Les agents décident donc de faire remonter tous les problèmes du poste à la direction, dans un courrier de 15 pages, un courrier signé par 74 des 75 agents. Guillaume l’un de ses collègues à l’origine du texte, qui travaille sur le poste depuis janvier 2017, explique : « Dans ce courrier on faisait remonter des problématiques basées sur le vécu et le ressenti des agents, et on proposait aussi des solutions ».

S’ensuit une première réunion avec la direction. Non syndiqués pour la plupart, les aiguilleurs s’organisent et désignent entre eux des représentants pour y participer. « On a essayé représenter un maximum de secteurs » raconte Guillaume. 4 représentants en tout ont été nommés, aux profils différents, dont deux non syndiqués.

Une réunion qui dure 5 heures et où les aiguilleurs exposent tout ce qui dysfonctionne. Manon, qui fait partie de cette première délégation, se souvient : « [On a fait le choix au départ de ne pas faire grève tout de suite, on voulait avoir une vraie discussion avec nos dirigeants. On a pensé de manière un peu utopique qu’une seule réunion, avec autant de signatures, suffirait. » «  J’ai beaucoup parlé du mal être au travail, continue-t-elle : il y a énormément d’agents qui ne se sentent pas bien, beaucoup voulaient partir, il y a eu beaucoup d’arrêts de travail. On est dans un poste qui est énorme, avec énormément de monde, donc les besoins sont démultipliés, et pourtant les moyens ne sont pas là. » Pourtant, toutes les revendications sont balayées d’un revers de la main par la direction. « La réponse qu’on a eu c’est “si vous voulez partir vous êtes libres". On s’est dit : on ne se déplace pas pour rien. »

Selon Alim, « ils nous traitaient comme des enfants gâtés. Le fait de travailler dans un poste comme ça, à forte charge mentale, ils ne le prenaient pas en compte du tout. » Face à une direction qui fait la sourde oreille et n’ouvre aucune porte, ils décident de prendre le chemin de la grève pour revendiquer leurs droits et leurs conditions de travail.

Démarrer la grève : l’importance des liens avec la grève du Bourget

Au sortir de la réunion, le vote est clair : personne n’est satisfait. Mais pour se lancer dans la grève, il faut une accumulation d’expérience qui manque encore à la CCR de Paris Nord, et que les aiguilleurs du Bourget, en grève depuis plus de 2 mois à ce moment-là, vont apporter. « Comme le Bourget avait déjà lancé un mouvement, on s’est rapprochés d’eux, on a discuté, on a échangé », résume Alim.

Des liens qui vont se tisser de différentes manières, par le biais d’Anasse Kazib, aiguilleur au Bourget et représentant syndical Sud Rail pour Paris Nord. « On a choisi d’être représentés par Sud Rail car on était quelques-uns à connaître Anasse via un précédent mouvement qui avait mobilisé les contractuels » raconte Guillaume.

Manon se souvient qu’« au départ on ne savait pas trop comment s’y prendre, mais on avait eu vent de ce qui se passait au Bourget depuis plus de 2 mois à ce moment-là, on s’est renseigné grâce à Anasse sur comment nous organiser, à quels horaires on pouvait avoir le plus d’impact possible, à comment choisir des journées noires. » Plusieurs agents du centre, comme Manon, ont aussi de par leur poste souvent des collègues du Bourget au téléphone, ce qui leur permet de poser des questions sur leur grève.

C’est le cas de Ouissam, qui travaille elle aussi depuis avril 2022 à la CCR. « Je travaille directement avec le Bourget, raconte-elle. Ils avaient pour procédure de m’appeler pour leurs grèves d’une ou deux heures pour prévenir qu’ils allaient cesser le service. Au début je prenais la dépêche de cessation de service et c’était tout. Et puis, au fil du temps je prenais des nouvelles sur leur mouvement, sur leurs revendications. Au fil du temps je voyais qu’ils s’accrochaient, ne lâchaient rien et qu’il y avait toujours autant de cessations de service. C’est comme ça qu’on a tissé un lien avec eux : c’est des personnes que j’avais uniquement au téléphone. On les voyait tous les jours continuer et on en parlait entre nous, on les encourageait. Quand notre mouvement est né on s’est dit qu’il fallait qu’on soit en lien avec le Bourget, que c’était donnant-donnant pour travailler au rapport de force. On n’avait pas le droit de les laisser tomber. »

C’est ainsi que née la première action commune entre le Bourget et la CCR, où les aiguilleurs des deux sites se retrouvent pour Assemblée générale et pour aller ensemble au siège de la SNCF Réseau interpeller la direction. « Cette action avait pour but de nous rendre visible et de nous faire connaître à notre direction » explique Guillaume.

Les grévistes se posent la question de comment mobiliser, avec les spécificités de leur lieu de travail. « Un PCD c’est très différent d’un petit poste, nous expose Manon. C’est immense, il y a tellement de personnes, de personnalités, de points de vue différents… Au départ on avait peur de ne pas réussir à rassembler tout le monde ». « Au début notre côté novice nous a trahi. On a cru que ne pas venir au travail suffisait simplement, or on était remplacés systématiquement par des encadrants, payés deux à trois fois nos payes, une véritable équipe anti-grévistes. C’est ce que nous a appris à la fois le Bourget, et la pratique » résume Guillaume. Face à une direction qui fait tout pour minimiser l’impact de la grève et invisibiliser le mouvement, une telle action permet aussi de mettre le mouvement en lumière.

Selon Alim, « pour nous, nos combats étaient liés, c’était pour l’amélioration des conditions de travail et les rémunérations. On s’est retrouvés là-dessus et on s’est enrichis les uns les autres, c’est vraiment grâce à eux qu’on a pu tenir aussi longtemps ». « Le Bourget nous a montré ses techniques, et la première de celle-ci était la caisse de grève », complète Guillaume.

Les techniques du Bourget : la caisse de grève

« Ils nous ont partagé une partie de la caisse qui était au Bourget et on a pu commencer notre mouvement, se souvient Ouissam. Pour ceux qui étaient intéressés et qui en auraient besoin ils pourraient être remboursés de leurs journées de grève. Pour moi c’était quelque chose d’inconnu, je ne savais pas du tout comment ça se passait ». Une caisse est donc mise en place, la gestion de celle-ci est décidée collectivement et devient aussi un outil pour la mobilisation. Manon revient sur le fonctionnement : « C’est deux collègues qui la géraient. L’argent était récupéré, compté et redistribué directement aux agents qui le souhaitaient et qui le demandaient, pour les grosses journées de grève en priorité ».

La caisse de grève va jouer un rôle clef dans le mouvement. Selon Marvin, « Avec la perte de salaire, la caisse de grève a été très importante pour le maintien du mouvement. C’était peut-être l’une des premières vraie grève que tout le monde faisait ». Les grévistes vont aussi sur le terrain pour renflouer la caisse, pendant les manifestations nationales contre la réforme des retraites, mais aussi en partageant un lien sur les réseaux sociaux pour récolter un maximum. « On s’organisait en petit groupes avec ceux qui étaient disponibles, qui avaient le temps et l’énergie de venir en manifestation. On a fait toutes les caisses nous-même » raconte Marvin.

Les manifestations sont l’occasion de récolter de l’argent, mais aussi du soutien, de faire connaître la grève auprès des autres travailleurs usagers des lignes SNCF. « On a récolté plus de 12 000€ en seulement 4-5 manifestations, témoigne Manon. On ne s’attendait pas du tout à ça. On était toujours entre 5 et 8 ce qui nous permettait de récolter pas mal d’argent. C’était la première fois que je faisais ça et j’ai été très étonnée, des personnes qui donnaient autant, de la générosité des gens ». Alim abonde dans ce sens : « quand tu vois les médias, les sondages, twitter etc, le discours que tu entends au quotidien c’est que tout le monde déteste la SNCF parce qu’ils bloquent les gens pour aller travailler. Au contraire, dans les manifestations, on a vu du soutien, des gens qui disaient “surtout ne lâchez pas, il faut tout bloquer, c’est votre visibilité qui peut permettre de faire bouger les choses” ».

Des manifestations contre la réforme des retraites font aussi bouger les consciences du côté des aiguilleurs. C’est ce que raconte Guillaume : « J’ai fait toutes les manifs. Elles ont permis à beaucoup d’entre nous, peu ou pas habitués aux manifestations, de s’éveiller à ce niveau. Les manifestations avaient une mauvaise image et beaucoup de ceux qui ont participé y ont découvert une solidarité, un amour de son prochain, une bienveillance, une dignité, une empathie et une force peu commune. Ils ont vu aussi la misère, la tristesse, la rage et l’abandon. Mais aussi la violence gouvernementale en retour, et dans les médias la violence des chroniqueurs et des politiques contre les manifestants ; la différence entre la réalité qu’ils venaient de vivre et ce qu’en faisaient les politiques et les médias traditionnels. Ce n’est pas la même chose une fois que tu l’as vécu ».

Au fur et à mesure des échéances, la caisse de grève évolue et les grévistes trouvent de nouveaux moyens de l’utiliser. « On a aussi fait un petit stand pour pouvoir parler avec les gens, parler de notre métier. On a fait des panneaux d’accroches, ça permettait de revendiquer à la fois sur les retraites et sur notre grève locale. Certaines personnes qu’on rencontraient en manif prenaient la ligne B, se souvient Alim. Quand on leur disait qu’on la gérait ils nous témoignaient leur soutien face à l’état catastrophique de la ligne. On a eu des échanges qui étaient assez enrichissants avec des gens très variés, ça nous a beaucoup motivés. »

Collectif, assemblées générales et auto-organisation

Dans un premier temps, les grévistes commencent par créer un groupe whatsapp. « C’était le plus simple selon Alim, avec 74 personnes en 3x8 sur trois secteurs circulation différents, avec des gens qui viennent de l’Oise, du 77, du 95. On échangeait, on mettait les choses à plat, ça permettait à tout le monde de dire ce qu’il voulait ».

Les décisions communes se votent en Assemblée générales : « Tout ce qui est vote de poursuite de la grève il fallait le faire entre grévistes et être présents physiquement ». Les représentants pour les réunions face à la direction sont aussi désignés de cette manière.

Ouissam revient avec nous sur le rôle des AG et sur leur utilité pour les grévistes.

« Comme nous sommes en 3x8 on ne fait que se croiser, et faire une AG permettait de communiquer entre nous et que chacun puisse donner son point de vue sur le mouvement et l’évolution à lui donner. L’AG permet de voter pour ou contre la reconduction du conflit. On voyait à la majorité : si la majorité décidait d’arrêter, on arrêtait et si la majorité qu’il fallait continuer, on continuait. Et tout le monde respectait ça. Les AG nous permettaient aussi de nous voir dans un contexte hors travail et de pouvoir discuter de tout, des conséquences du mouvement financièrement et psychologiquement, de l’ambiance au poste, de ce qu’on pouvait faire pour se donner la force, se motiver entre nous ».

Le mouvement permet, en un sens, de dépasser certaines disparités au sein du centre et de former un collectif. La communication entre les grévistes avant et pendant les AG est centrale. « Au début, avec toutes les différences entre les agents, entre les secteurs, on avait peur qu’il n’y ait pas un mouvement assez fort pour nous faire entendre. Au final, comme à chaque réunion qu’il y a eu on faisait de vrais retours, dans le mouvement ça s’est très bien passé, raconte Manon. Quand on voyait que quelqu’un flanchait un peu, on allait les voir pour essayer de comprendre ce qui n’allait pas, si c’était un problème financier on essayait d’aider, remonter un peu le moral. Il fallait aller parler avec les collègues, mettre des messages dans le groupe whatsapp ». Pour Guillaume, une leçon importante de la grève est qu’il a fallu « rester unis et compact, sinon la direction utilise n’importe quelle fissure contre nous ».

« On se révèle en temps de guerre »

Les victoires de la grève, elles sont d’abord financières, et non négligeables (l’équivalent d’un 13ème mois). Guillaume revient avec nous sur les autres acquis du conflit : « Au niveau des conditions de vie au travail, des réunions ergonomies ont été mis en place, la climatisation est sur le point d’être réparée et les filtres à particules ont été changés pour la première fois depuis l’origine, les bureaux ont été réparés, des audits vont être fait sur les problèmes oculaires liés aux écrans (entre 10 et 12 par tables) et les problèmes sonores.

Il y a aussi ce que la direction nous a répondu officiellement sur les 11 des 15 demandes rejetées d’un revers demain. La direction ne pourra pas revenir ou faire pression sur des points sur lesquelles elle-même a fait l’impasse. Si un incident devait avoir lieu, la direction devra justifier ses choix et ses écrits. C’est une victoire majeure ».

Aussi, pour beaucoup d’agents, cette grève est une première. Une expérience qui les marque et change leur perspective. Alim raconte : « on ne partait de rien, les syndicats, le combat, la grève c’était quelque chose de nouveau pour beaucoup de gens. C’était beaucoup de jeunes agents, de nouveaux arrivés dans la SNCF. Ce n’est pas une culture qu’on avait, et les grèves étaient peu suivies chez nous. » C’est le cas de Ouissam et Manon, pour qui il s’agit de leur première grève. « J’appréhendais, car on donne aux grévistes une étiquette et je ne savais pas trop où je mettais les pieds. Mais j’ai suivi le mouvement parce que les revendications étaient justes et parce que sans cela rien n’allait changer » explique Ouissam.

La grève a profondément transformé le rapport à la direction : pendant le conflit, il faut faire face à celle-ci, qui va très loin pour mettre la pression aux grévistes, démoraliser et casser la grève. Ouissam revient sur comment la grève lui a beaucoup appris sur la hiérarchie, « le fait qu’au final les décisions ne sont pas du tout prises au niveau de notre hiérarchie directe mais bien plus haut. Et ces personnes bien plus haut ne nous prennent absolument pas au sérieux. Je pensais qu’on allait se tourner vers nous et voir ce qui n’allait pas pour essayer d’arranger les choses. Or, pour eux on a "pris en otage les postes”, “pris en otage notre métier”. C’est assez décevant mais on ne s’est pas démonté, on a continué et on n’a pas lâché ».

Selon Alim, « pendant deux mois et demi notre mouvement a été quasiment invisible car on était systématiquement remplacés pour casser notre grève. L’entreprise est capable de beaucoup payer une petite fraction de gens pour éviter d’augmenter globalement les salaires. Mais ces équipes étaient à la limite d’être dangereuses, et c’est arrivé plusieurs fois qu’il y ait des risques pour les gens qui travaillaient sur les voies ou qu’il y ait des ratés sur la circulation des trains. Beaucoup ont ouvert les yeux sur cette violence et ce jusque-boutisme de la direction ».

De l’autre côté, la grève ce sont des gens qui se révèlent, des personnalités que l’on découvre, des collègues qu’on rencontre. « Ce qui a changé c’est aussi la vision par rapport au travail, entre les collègues » analyse Guillaume. Pour Marvin, « ce conflit m’a appris à ne pas se contenter de suivre mais d’être vraiment un acteur de ce mouvement. Je n’avais jamais participé à une manifestation avant. J’ai appris l’effort et la solidarité que ça demande d’affronter sa direction pour des choses que l’on juge légitime. Et ça m’a également permis d’apprendre un peu plus sur certains collègues, découvrir d’autres facettes d’eux ».

Ouissam raconte ainsi comment elle a appris à faire connaissance avec des collègues qu’elle croisait seulement. « On a aussi pu rencontrer en face à face des personnes du Bourget, on a pu échanger et discuter. Ça nous a ouvert les yeux sur beaucoup de choses. J’ai appris aussi sur ma personnalité, je ne me pensais pas capable d’intervenir auprès de la direction, d’aller aux réunions de conciliation, de me retrouver face à la direction d’établissement pour parler aux noms de mes collègues. Je n’aurais jamais pensé être capable de faire tout ça et pourtant je l’ai fait. C’est un mouvement qui restera gravé dans ma tête ».

« On se révèle en temps de guerre », glisse Guillaume, qui revient sur cette « équipe de femmes » qui « ont nourri le mouvement, qui ne se démontaient jamais face à la direction. Ça a beaucoup aidé à redonner du souffle, elles étaient un exemple, ça a fait du bien démocratiquement. Ça nous a renforcés face à la direction. Dans les débats on a eu plein de désaccords, mais c’est ce qui nous a permis d’arriver plus forts. »

C’est un vrai noyau dur qui ressort du mouvement, éprouvé par plusieurs semaines de lutte. Manon explique ainsi : « On partait de zéro, et on a réussi à rassembler énormément de collègues, ce qui est une fierté ». Et la plus grosse victoire, c’est celle du rapport de force, avec une direction qui « a compris qu’elle ne pouvait plus être hautaine, selon Alim. Ce n’est pas parce qu’on a repris le travail qu’on va y aller en baissant la tête. Le rapport de force qu’on a établi fait qu’aujourd’hui, les yeux dans les yeux on peut leur dire non. Ils savent qu’on a su se fédérer, qu’on a su se battre, qu’on a su aller jusqu’au bout de nos revendications. »

Tous les aiguilleurs nous le répètent : après le mouvement, reste la certitude que s’il y a une prochaine grève, « on saura comment s’organiser », avec tout l’apprentissage qu’a permis cette grève-là. Manon ajoute : « aujourd’hui on voit que ça commence aussi à prendre à la CCR de Dijon. Notre mouvement, c’est aussi d’autres collègues dans d’autres endroits qui sont en train de se rendre compte qu’on mérite plus, qu’on peut avoir plus. Qu’ils sachent qu’une grève sert à se faire entendre et se faire reconnaitre. Qu’ils n’hésitent pas à lancer un mouvement, même si c’est dur au début, c’est possible, même dans un grand poste ».

L’idée que leur lutte pourrait en inspirer d’autres est elle aussi bien présente, et l’un des bilans tirés du mouvement est la conscience que certaines revendications, et en particulier des augmentations de salaires pérennes, ne pourront s’arracher qu’à une échelle nationale. « Nous ce qu’on voulait, c’est la contagion, explique Alim. Je pense qu’il faut qu’on construise pour demander quelque chose à l’échelle de tous les agents en circulation, de tous les aiguilleurs de France ». Qu’enfin, pour réussir à gagner du terrain sur des revendications locales, il est nécessaire de s’inscrire dans un combat beaucoup plus offensif et à une échelle plus vaste. Guillaume conclue : « Si j’avais un mot à dire aux gens c’est que si une situation est injuste, fédérez, cogitez, prenez vos responsabilités. On n’est pas là pour baisser la tête ! »


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