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Tribune du groupe de Grenelle

En pleine cacophonie des reprises d’école, Blanquer lâché par les siens

Le moment tombe mal pour Blanquer. Alors que le ministre de l’Education Nationale enchaîne les plateaux télé pour accompagner la reprise à marche forcée des écoles, un groupe d’une quinzaine de haut-fonctionnaires du ministère (Inspecteurs Généraux, Dasen, cadres du ministère) se décident pour sortir une tribune qui dénonce les réformes réactionnaires et les méthodes autoritaires du ministre. Pas trop tôt….

Yano Lesage

18 mai 2020

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L’information est restée assez confidentielle. « Confinée » sur un site très prisé par les membres de la communauté de l’Education Nationale, le café pédagogique, la tribune signée par un groupe de haut-fonctionnaires du ministère de l’Education Nationale – anonymement - n’a pas attiré l’attention des grands médias.

Pourtant, elle aurait de quoi : toutes les critiques adressées sans relâche par les enseignants et les organisations syndicales de l’éducation depuis maintenant près de trois ans à l’encontre de Jean-Michel Blanquer et de sa politique de mise à mal de l’éducation publique y sont condensées en quelques pages.
Le « groupe de Grenelle » démonte les réformes éducatives de Jean-Michel Blanquer
Le « groupe de Grenelle » n’épargne rien : ni la mesure de dédoublement des CP et CE1 allant de pair avec un détricotage de l’éducation prioritaire et la « relégation d’autres mesures parmi les plus efficaces (comme « plus de maîtres que de classes) » dénoncée par les enseignants dès la rentrée de septembre 2017 ; ni l’« école de la confiance » et l’obligation de la scolarité à 3 ans qui ouvre une manne pour les maternelle privée face à un secteur public sous-doté.

Les réformes menées au lycée sont démontées une à une. Celle du lycée professionnel est réduite à « dilution de la voie professionnelle publique sous statut scolaire en vue d’une disparition progressive du lycée professionnel » ; « en voie générale des lycées, [l’impréparation de] la réforme du Bac » et aussi « le fait que les élèves les mieux dotés socialement seraient, là encore, les plus à l’aise ».
Cette tribune, aux allures des tracts syndicaux qui ont fleuri dans les salles des profs et les manifs contre Blanquer, tire à boulet rouge sur le ministre en une phrase qui résume l’état d’esprit du corps enseignant : « En prétendant construire une école de la Confiance, le ministre et son Cabinet instaure un authentique climat de défiance ». Tout est dit.

Idéologie néolibérale et gestion autoritaire

Ces critiques surprennent d’autant plus qu’elles sont adressées de l’intérieur par ces mêmes technocrates qui ont mis en place les réformes. Visiblement le management autoritaire du ministre – visible sur des cas de répression de militants syndicaux, comme au collège République de Bobigny- n’épargne pas non plus la haute administration : « Ce n’est pas seulement la liberté pédagogique des enseignants qui est mise à mal, mais aussi la liberté de pensée d’une Institution toute entière mise au pas » dénonce le « groupe de Grenelle ».

En cause, l’absence totale de pluralisme au sein des instances conceptrices des programmes et des réformes. On y trouve « des mesures idéologiques marquées […] du sceau d’une pensée conservatrice et néolibérale » qui font la part belle aux neurosciences et évince toutes les études de sciences de l’éducation et sociales sensible aux inégalités sociales et scolaires. Le secteur privé – des maternelles aux éditeurs numériques, en passant par le marché de l’échec scolaire – y est largement valorisé.

Une « instrumentalisation de la laïcité » et une « hystérisation autour de l’islam »

Comble de la surprise, les technocrates de Grenelle affiche leur défiance sur la position de Blanquer au sujet de la laïcité. En effet, à plusieurs reprises de son mandat, généralement au moment clef de présentation d’une réforme contestée, Jean-Michel Blanquer n’a pas hésité à alimenter la déferlante islamophobe : des « petites filles interdites d’aller à l’école » à sa volonté de passer une loi interdisant l’accompagnement scolaire pour les mamans voilées, le ministère, à plusieurs reprises, s’est distingué par des appels du pied à l’extrême-droite contribuant à une « instrumentalisation de la laïcité » et à « une irresponsable hystérisation du débat médiatique sur l’islam ».
C’est dans ce contexte de l’automne 2019, qu’une tribune de « Profs contre l’islamophobie » donnant lieu à un cortège d’enseignants lors de la marche contre l’islamophobie du 10 novembre avait vu le jour.

L’effet Covid ou l’imminence d’un remaniement ?

Sans nul doute, la « gestion chaotique » de l’éducation depuis la crise du Covid-19 a participé au syndrome du « Nous ne pouvons plus nous taire » à l’origine de cette tribune. Les propos du ministre, « contradictoires, évasifs ou immédiatement infirmés par le Premier Ministre », ont vraisemblablement semé la zizanie parmi ses rangs : hésitation dans la fermeture des écoles, impréparation et échec non assumé de la pédagogie à distance, instrumentalisation de la lutte contre les inégalités pour forcer la reprise des cours, absence de garanties sanitaires concrètes au-delà du vœu pieu annoncé sur les plateaux télé… la liste des fautes de Blanquer est à rallonge.

Il est clair, que pour le ministre de l’Education Nationale, le vent a tourné. De la place de premier élève du gouvernement, prétendant favori au poste de premier ministre, Jean-Michel Blanquer est très vite passé au poste de ministre honni de l’opinion publique. Une méfiance qui excède désormais largement le corps enseignant mais embrase toute la communauté des parents d’élèves plongée dans l’incertitude pour la santé et la scolarité de leurs enfants. Une méfiance qui se rajoute à celle déjà bien enkystée parmi les corps enseignants qui connaît, depuis 2019 un véritable réveil de conscience : mobilisation contre l’école de la confiance, les réformes des lycées, grève du bac et réforme des retraites. Contre Blanquer, cela fait beaucoup de monde…

En cas de remaniement, l’entourage du ministre pourrait lui aussi être sur la sellette. Se taire, comme ils le défendent, ne serait pas seulement « une faute éthique et politique » mais aussi un très mauvais calcul en termes de carrière. D’ailleurs, si la figure de Jean-Michel Blanquer concentre toutes ces critiques, rien n’est dit de la politique générale dans laquelle s’est inséré ce ministre d’Etat. Son « instrumentalisation de la laïcité à des fins politiques » aurait été « heureusement contrôlée par les acteurs de terrains » ainsi que le groupe de Grenelle se décrit et par « le Premier ministre lui-même au sujet des mamans accompagnatrices ». Le gouvernement Philippe trouve donc grâce aux yeux des technocrates de Grenelle.

Très clairement opportuniste, cette tribune n’en est pas moins un point d’appui pour tous les militants et militantes de terrain qui se sont battus et se battent encore contre les réformes Blanquer et pour exiger sa démission. Elle serait une première victoire pour celles et ceux qui se battent contre le projet réactionnaire et néolibéral du gouvernement Macron et une première pierre à l’édifice d’une reconstruction de l’école sur des bases émancipatrices.


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