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L'école de l'exclusion

En île de France, des milliers de collégiens sont exclus chaque jour de leur établissement

« L'exclusion est la plus mauvaise des sanctions », affirmait Jean-Michel Blanquer. Pourtant, une étude récente réalisée par un enseignant-chercheur met en avant le recours systématisé aux mesures d'exclusions, les estimations chiffrées à l'appui montrent effectivement une réalité édifiante : en moyenne, chaque jour, seulement pour l'Ile de France, près de 2500 collégiens seraient interdits de venir en classe.

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Crédits Photo : RTL

Une récente enquête menée par Benjamin Moignard, maître de conférence en science de l’éducation - qui interroge notamment dans ses travaux la place et le rôle de l’école dans la construction des inégalités sociales et scolaires - a mis en avant le recours massif et de plus en plus systématique à l’exclusion des collégiens, pour diverses raisons : « insolence », retard, absences, violence... Ce dernier a cantonné son enquête à la région Ile-de-France. Avec un échantillon établi sur 76 collèges publics, 51 de Seine-Saint-Denis, 15 d’Essonne, 10 de Seine-et-Marne, dont 28 appartiennent à un réseau d’éducation prioritaire – pour rappel ce sont dans ces mêmes collèges d’Ile-de-France que les inégalités sont les plus profondes entre les établissements des zones défavorisées, notamment dans les banlieues et zones d’éducation prioritaires, et les zones privilégiées.

Sur la base de son enquête et par méthode d’extrapolation, il a mis en avant le résultat suivant : en moyenne, dans les collèges d’Ile-de-France, chaque jour, 2536 collégiens sont exclus de leur établissement. Soit la fermeture de 8 collèges de 300 élèves par jours. D’après ses recherches, cette réalité s’avère probablement légèrement moindre sur le reste du territoire mais reste importante et massive.

Malgré les déclarations de notre cher ministre de l’éducation affirmant que l’exclusion est la pire des sanctions, à l’heure où ce dernier adopte une ligne de plus en plus répressive (en témoigne sa volonté de sanctionner financièrement les parents d’élèves commettant des violences) ces mécanismes d’exclusion, s’ils sont invisibilisés et banalisés, constituent la norme aujourd’hui dans le système scolaire. Les chiffres nationaux ne reflètent pas l’ensemble des ce phénomène puisqu’ils recensent uniquement les exclusions prononcées à l’issue de conseils de disciplines, soit 1800 l’an dernier. Or ce sont les exclusions temporaires, de moins de 8 jours, décidées par les chefs d’établissement seuls, qui sont les plus fréquentes.

Parmi les motifs de ces exclusions : des cas de violence, d’ « insolence », des retards, des absences... Selon Benjamin Moignard, l’insolence est le principal motif évoqué d’exclusion. En effet : « Pour 7 élèves sur 10 de ces exclusions, le motif de la sentence est l’insolence ». « Dans près de 74% des cas, ces exclusions correspondent à des formes d’insolence relativement mineurs, des retards ». Un recours de plus en plus massif aux exclusions qui témoigne des mesures de plus en plus répressives et policières – au détriment des mesures éducatives et pédagogiques – adoptées pour faire rentrer les élèves en difficultés ou dans un rapport conflictuel avec l’institution scolaire, dans le rang, quitte à ce que ça passe par des mesures de relégations.

Et il est par ailleurs clair – de nombreuses études le démontrent – que ces mesures répressives et excluantes ne permettent pas de régler les problèmes, bien réels, évoqués précédemment : violences, décrochage scolaire.. Au contraire, ces mises à la porte définitives ou temporaires, qui sont devenus la norme, ont pour effet d’accroître les difficultés que rencontrent ces élèves l’institution scolaire, le décrochage scolaire etc.. : « Dans l’immense majorité des cas, les exclusions prononcées correspondent à un éloignement de l’élève sans mesure éducative particulière : il est renvoyé chez lui,pendant la durée de son exclusion (..) Plusieurs travaux ont démontré, toujours selon lui, que ces mesures d’exclusions aggravent le « décrochage scolaire » pour les élèves les plus fragiles ».

Ces élèves, bien souvent issus des classes les plus défavorisées, sont dès lors de plus en plus relégués socialement par l’institution scolaire, et ce dans l’indifférence généralisée du ministère de l’éducation, de Blanquer et compagnie, qui répondent au malaise qui s’exprime aujourd’hui au sein de l’école, que ce soit au niveau des élèves ou des enseignants, par la répression, comme on le voit, par l’accentuation des politiques d’exclusion et la dégradation du service public de l’enseignement – à coup de cures d’austérités et de contre-réformes antisociales visant à approfondir la sélection sociale à l’école. Autrement dit en approfondissant les causes à l’origine du malaise de nombreux élèves à l’égard de l’institution scolaire.

Car, la violence, ou bien ce qu’ils appellent « l’insolence », ainsi que le décrochage scolaire, existent effectivement. Mais de quoi est-ce que cela témoigne et quelles en sont les causes ? Celles-ci sont sociales. Elles sont à chercher du côté de la dégradation de l’enseignement public orchestrée ces dernières années par les différents gouvernements, et plus généralement du côté de la misère et de la violence grandissante de notre société toujours plus injuste et inégalitaire, qui condamne de plus en plus tôt une partie de la jeunesse à la misère, à la violence sociale et à des perspectives d’avenir peu attrayantes, entre précarité, exploitation à outrance et chômage de masse. Cette violence sociale entérinée est renforcée par les institutions d’Etat elles-mêmes et en premier lieu l’école - qui représente un puissant outil de domination sociale - entre mépris social et discriminations : la loi de 2004 d’interdiction du voile à l’école est un exemple, parmi d’autres, représentatif de ça.

L’école est une institution de reproduction sociale. Très tôt les enfants y intériorisent, en fonction de leur classe sociale d’origine, ce qui leur est possible d’envisager pour leur futur. Et le renforcement de la nature inégalitaire du système scolaire sous Blanquer et Macron ne va faire qu’aggraver les difficultés – décrochage, échec scolaire, rapport conflictuel à l’institution - de ces nombreux élèves. Quand dans une classe de terminale technologique de Bondy, aucun élève ne reçoit de réponse favorable de la part de ParcourSup, les perspectives d’avenir offertes par la société sont limpides.

Il ne s’agit dés lors aucunement d’un problème de discipline, contrairement à ce que les médias mettent en avant, comme RTL dans ses colonnes qui parle « de chiffre édifiant sur l’indiscipline des collégiens français  » , mais d’un problème social, de classe. Les bourgeois ont leurs écoles, privés dans tous les sens du terme puisqu’inaccessibles par leur prix et par la formation qu’elle demande, qui est inculquée à un public trié sur le volet tout au long du parcours scolaire. Pour les autres, pour les enfants de la classe ouvrière, l’école est un moyen de former de manière pratique à un emploi mais aussi de manière idéologique. Plus ou moins qualifié, un emploi demandera divers niveaux d’études mais la finalité est toujours la même. Les capitalistes n’ont pas cédé l’école par pur humanisme mais pour former une main-d’oeuvre.
Ainsi, l’école des capitalistes évolue au gré de l’évolution du marché du travail. Dans une société, où règne le chômage de masse (20,8 % chez les 15-24 ans en France), les conditions de travail empirent et la concurrence entre les travailleurs augmente, le système scolaire doit s’en faire le reflet. A travailleur jetable, élève jetable.

Celui qui ne rentrera pas dans les clous, pourra être remplacé le lendemain. L’ « insolence », exacerbée par l’autoritarisme de l’institution scolaire en France, n’est que le reflet de la violence de la classe dominante qui s’exerce par le chômage, par la précarité, par la répression policière quotidienne dans les quartiers populaires, envers une jeunesse à qui l’on ne propose aucun avenir souhaitable, un avenir coincé quelque part entre le chômage de masse, la montée des forces réactionnaires et la catastrophe écologique.

Le retour de l’école-caserne de Blanquer, les réformes de la formation professionnelle, la sélection à l’université l’instauration d’un service de nationalisme universel sont le marqueur d’une classe dominante qui cherche à dresser, le doigt sur la couture, une jeunesse qui l’effraie. La tranche d’âge parmi les classes populaires qui va vivre sous le régime de toutes les contre-réformes néo-libérales, qui est déjà la plus précarisée mais qui est aussi la plus apte à se rebeller contre cet état de fait.

Le problème n’est dès lors pas, «  l’indiscipline des collégiens  », ou bien l’insolence des élèves, mais bien cette société injuste, les contre-réformes menées actuellement, qui ne font qu’aggraver les inégalités au sein de la société et de l’institution scolaire ainsi que l’exclusion sociale. Face à cette réalité, ce n’est pas vers des mesures toujours plus excluantes qu’il faut tendre, mais vers un combat commun entre élèves et personnels de l’éducation, pour mettre un coup d’arrêt à l’école made in Blanquer, toujours plus répressive et élitiste..

La mobilisation des profs dépasse le cadre purement économique, les revendications vont dans le sens de meilleures conditions d’enseignement (moins d’élèves par classe) mais le ras-le-bol vient aussi d’un refus de brader l’enseignement sur l’autel de la propagande gouvernementale. Pour changer l’école en profondeur, il faudra s’affronter à un changement radical de société. Une école réellement émancipatrice ne pourra être qu’anti-autoritaire, une école où profs et élèves auraient leur mot à dire et les affaires d’éducation entre leurs mains. Ce programme est profondément incompatible avec l’école de Macron, le tenant d’un Nouveau Monde déjà bien ridé.


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