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Elections dans l’Etat Espagnol. Trois points clefs sur une campagne marquée par le « regénérationisme »

Nous arrivons au dernier jour d’une campagne électorale présentée comme historique. Deux semaines pendant lesquelles se sont concentrés les éléments qui marqueront l’agenda politique des prochains mois : les élections du 20 décembre et le processus de restauration du régime de 78.

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Le régime de 78 fut ébranlé, mais non vaincu, par l’émergence du mouvement des indignés et le processus catalan un an plus tard. En 2012, l’apparition de la classe travailleuse sur la scène politique avec les grèves générales et des conflits comme celui des mineurs ou celui des fonctionnaires, marqua le point culminant de sa crise.

Depuis et jusqu’à aujourd’hui, plusieurs acteurs ont tenté de désamorcer cette crise. Le premier, la bureaucratie syndicale, fit en sorte que l’incendie n’atteigne pas les lieux de travail. Ils réussirent à étouffer la menace d’extension de la conflictualité ouvrière. D’autre part, le parti de la bourgeoisie catalane se positionna à la tête du mouvement pour le droit de décider, déplaçant ce mouvement de la rue pour bloquer tout développement indépendant par la mobilisation sociale. Enfin, s’asseyant sur ce reflux du mouvement social, les nouveaux phénomènes politiques réformistes – Podemos et plus tard les candidatures citoyennes- qui renforcèrent le scepticisme envers la lutte comme moyen de changer les choses, ont installé le discours sur la « centralité politique » et ouvert la porte à une « seconde transition » dont la modération n’a pas de limite.

« Merci 1978, Bienvenu 2016 »

C’est par cette phrase accablante que Pablo Iglesias célébra le Jour de la Constitution, à mi-chemin de la campagne. Une revendication du pacte de Transition, celui-là même qui était remis en question sur les places du 15M (mouvement des indignés). Avec ce salut, il prétendait marquer les limites à gauche jusqu’auxquelles pouvait aller le processus de réforme constitutionnelle avec lequel se présentent aux élections son parti, ainsi que le PSOE et le Cs. Le PP ne les suit pas et critique leur volonté d’entrer en « terre inconnue », mais tout pousse à croire qu’il finira par se ranger à leur position.

La revendication du régime de 78 est une déclaration d’intention. A l’époque, et comme le fait aujourd’hui Podemos, les revendications démocratiques comme la République ou le droit à l’autodétermination étaient restées dans les cartons depuis la première minute des dirigeants du "nouveau", l’opposition antifranquiste. Les aspirations à en finir avec la dictature et le système social qu’elle avait servie se « transformèrent » en une démocratie fondée sur le bipartisme, les conflits d’intérêts et la continuité de l’appareil d’Etat hérité du Franquisme. Aujourd’hui, le projet d’approfondissement démocratique de Podemos se limite à en finir avec les conflits d’intérêts et d’autres mesures cosmétiques, accompagnées de quelques réformes économiques néokeynésiennes qui ne prétendent même pas remettre en question la tutelle de la Troika, dans le pur style de Tsipras.

S’il y a bien une chose que les principaux candidats à la présidence ont mis en évidence, du moins Iglesias, Sanchez (PSOE) et Rivera (Ciudadanos ou "Cs"), c’est leur intention d’engager une réforme par le haut et limitée de la Constitution de 78. Une sorte de « tout changer pour que rien ne change », à la différence près par rapport à 78 que même « tout changer » paraît une trop grande tâche.

« Du bipartisme ou quadripartisme »

Un des éléments les plus critiques de la crise du régime de 78 fut justement la crise de la représentation politique, qui se résumait par le slogan « ils ne nous représentent pas ». Sa déviation vers les élections et la bataille pour le centre réussissent à l’endiguer, non sans une profonde reconfiguration du système des partis.

Le premier lieu de cette restauration fut la Catalogne. En 2011, des milliers de jeunes encerclaient le parlement et la coalition historique de la bourgeoisie catalane, CiU (Convergence et Union), était dans les cordes. Les manœuvres de Mas pour se placer à la tête du processus, avec la « permission » du reste du bloc souverainiste, y compris la gauche indépendantiste, ont restauré le prestige des institutions autonomes –aujourd’hui perçues comme l’unique voie pour conquérir le droit de choisir ou imposer un plan de « choc social »- et permis à Convergence de sauver les meubles (bien qu’en se détachant d’Union et allant vers une refondation sous un angle indépendantiste. La campagne qui arrive à son terme montre ce même processus de restauration-reconfiguration du système de partis pour le reste de l’Etat. Bien que le bipartisme tend à disparaître, il le fait pour laisser la place à un nouveau quadripartisme dans lequel toutes ses composantes (deux anciennes et deux nouvelles) sont pleinement déterminées à garantir la stabilité du système politique, le réformer pour qu’il regagne la légitimité perdue et ne pas remettre en cause les « affaires d’Etat », comme la politique en faveur des multinationales espagnoles à l’étranger, l’appartenance à l’OTAN, l’unité territoriale, la politique aux frontières ou la forme monarchique de l’Etat.

La difficile issue de la question catalane

L’autre « patate chaude » du régime de 78 est le processus catalan. La campagne a aussi montré comment les différents acteurs vont tenter de se repositionner.

Parmi les quatre principaux partis, il y a un consensus pour l’unité territoriale. Le PP et Cs n’ajoutent pas de grandes nouveautés à leur traditionnel immobilisme. Bien que Rivera ait émis la possibilité d’un certain accord fiscal pour débloquer la situation. Le PSOE ajoute à cette offre une réforme nébuleuse du modèle territorial qui n’est toujours pas concrétisée, excepté le maintien de la négation du droit à décider. Podemos semble avoir réagi à sa débâcle en Catalogne en soulignant plus la défense d’un référendum pour la Catalogne. Néanmoins, ce revirement est plus électoral que réel, puisqu’il maintient sa position de l’obtenir avec la permission du Parlement et dans le cadre de cette même légalité constitutionnelle qui nie cette possibilité.

D’un autre côté nous avons la campagne menée par les composantes de Junts pel Sí ("Ensemble pour le Oui" en catalan. Référence au "oui" au référendum), ERC et Convergences (qui se présente dans la coalition Démocratie et Liberté). Ils se proposent de parvenir jusqu’au Congrès pour être en position de négocier la « déconnexion » de l’Etat, reprenant ainsi la même résolution du référendum du 9 novembre qu’ils approuvèrent, tout comme la CUP. Un euphémisme, la « négociation », derrière laquelle se cache l’intention du parti de la bourgeoisie catalane de se joindre aux nouveaux espaces de régénération politique pour qu’ils servent de déviation et achèvent le mouvement démocratique né en 2012.

Le cocktail de concessions fiscales, réforme constitutionnelle, modèle fédéral et « négociations avec l’Etat », cherche à clore artificiellement la question catalane. Mais c’est sans aucun doute un terrain de plus grandes incertitudes, et en dernière instance l’une des épreuves du feu de tout projet régénérationiste du régime.

Une seconde transition ?

C’est ainsi que Alberto Rivera définit ce qui, pour Cs, se passera après les élections du 20D. Pablo Iglesias coïncide sur ce point avec cette nouvelle droite "moderne". Sans aucun doute, reconstruire un consensus entre "l’ancien" et le "neuf" sera l’objectif du prochain gouvernement. Le fait que personne ne va obtenir de majorité absolue et que les partis seront forcés de faire des pactes d’investiture et de stabilité, rend ce fait plus probable, si seulement on n’opte pas pour la « voie allemande » d’une "grande coalition" PP-PSOE.

Aujourd’hui imposer une issue conservatrice à la crise du régime de 78 peut sembler plus simple que ce qu’il en a été pour la Couronne dans son pilotage du processus de la dictature à la démocratie. Le reflux du social dégage le chemin à un pacte entre les élites du bipartisme et les formations émergentes. Mais cela n’est pas définitif, loin de là.

Une reconstruction de régime de 78 ne peut évincer son caractère sénile et sera fondé sur des bases beaucoup plus fragiles. D’une part parce qu’il s’appuie sur une économie dévastée, qui se débat entre la stagnation et des taux de croissance minimes, sans espoir de résoudre les grands problèmes sociaux, et avec toujours plus d’injonctions aux coupes budgétaires et aux ajustements de la part de la Troika à laquelle le nouveau quadripartisme n’opposera pas de résistance. D’autre part, parce qu’il fera face à des revendications démocratiques, comme la question catalane, qui a atteint un stade qui ne sera pas facile "d’échanger" contre un peu plus d’autonomie ou des accords fiscaux, et d’autres comme le rejet de la Couronne ou de la « caste », qui continuent d’être latents et peuvent ré-émerger à n’importe quel moment. Enfin, parce que le contexte international dans lequel se joue cette régénération est celui d’une crise qui paraît entrer dans une nouvelle phase –dont l’épicentre se situe dans les pays émergents-, avec des tendances réactionnaires et guerrières en Europe et le projet même de l’Union Européenne remis en cause.

D’autre part, les points forts des nouvelles formations n’ont rien à voir avec ceux de leurs homologues des années 70. Si la « régénération » n’est pas crédible et qu’il émerge un nouveau cycle de mouvements sociaux, Podemos pourrait-il jouer le rôle de « pompier » que jouait le PCE ? Avec certitude, nous pouvons affirmer que non. Le parti d’Iglesias est avant tout un phénomène électoral sans base organique dans le mouvement ouvrier et les secteurs populaires, tandis que celui de Carillo était un parti avec de profondes attaches dans les usines, les syndicats, les associations de voisinage et le mouvement étudiant. Les seuls qui ont joué un rôle similaire furent les dirigeants bureaucratiques de CCOO ("Commissions Ouvrières") et UGT ("Union Générale du Travail"), mais avec beaucoup moins de capacités de manœuvre que le prestigieux parti de Carillo durant la transition, et s’appuyant beaucoup plus sur les années de recul du mouvement ouvrier avant la crise que sur son « prestige » en tant que direction syndicale.

Pour toutes ces raisons, le processus de restauration qui peut s’ouvrir après dimanche n’est ni définitif, ni stable. Cela ouvre la voie à l’opportunité et la nécessité urgente que depuis la gauche anticapitaliste et les secteurs combatifs du mouvement ouvrier, en passant par la jeunesse, nous puissions impulser une alternative politique. Un chemin vers lequel il y a plusieurs points d’appui, comme la rencontre récente à Malaga entre plusieurs organisations anticapitalistes, militants critiques de Podemos et activistes, et celle qui se tiendra en février à Madrid.

Il est nécessaire de mettre sur pied une alternative qui se propose de réenclencher la mobilisation sociale, particulièrement celle de la classe travailleuse et le combat contre la bureaucratie syndicale. Une alternative qui lutte contre cette sénile transition « 2.0 », défendant un programme anticapitaliste et prenant en compte toute les revendications démocratiques que l’on prétend laisser à nouveau dans les cartons, dans la perspective d’imposer à travers la mobilisation un processus constituant sur les ruines du Régime de 78, qui ouvre la voie à notre gouvernement, celui des travailleurs.


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