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Interview

Élections à Berlin. « Une défaite historique pour le parti de Merkel et pour la social-démocratie »

Interview de Stefan Schneider. Propos recueillis par Josefina L. Martínez pour La Izquierda Diario de l'État Espagnol. Initialement publié sur : http://www.izquierdadiario.es/Elecciones-en-Berlin-Hay-una-caida-historica-del-partido-de-Merkel-y-la-socialdemocracia?id_rubrique=2653

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Les élections régionales qui viennent de se tenir à Berlin sont d’une grande importance, à la fois car il s’agit d’une des régions les plus centrales pour le capitalisme allemand, mais aussi parce qu’elle donne bien souvent une idée de comment peuvent se dérouler les élections générales qui vont avoir lieu dans l’année et au cours desquelles la place du parti de Angela Merkel (le CDU) dans le gouvernement est en jeu. Et il va sans dire que les perspectives ne sont pas bonnes pour la chancelière allemande.

Berlin est une ville-État de 3,4 millions d’habitants, faisant partie des 16 Länder (États fédérés) allemands. Il y a deux semaines se tenaient les élections régionales de l’État de Mecklembourg-Poméranie-Occidentale, au cours desquelles le CDU avait déjà subi un défaite, se positionnant derrière l’Alternative pour l’Allemagne (AfD), force d’extrême-droite émergente. Les résultats à Berlin attestent d’une nouvelle défaite pour le parti de Merkel, qui recule à 17,6% des voix.

« Ce résultat a deux significations profondes. La première, c’est que les partis institutionnels sont en déroute. Dans toutes les élections récentes, le SPD (parti social-démocrate) et le CDU (parti chrétien-démocrate) ont perdu de nombreuses voix, au profit de l’AfD », explique Stefan Schneider, membre de la rédaction du site Klasse Gegen Klasse.

« Les sociaux-démocrates ont obtenu à peine 21,6% : ils deviennent le parti « vainqueur » de l’élection avec les résultats les plus faibles de l’histoire des élections régionales en Allemagne. Le reste des partis a eu des scores inférieurs à 20%. Il était déjà très difficile de forger des coalitions de partis pour gouverner, aujourd’hui c’est devenu impossible. Pourtant, la coalition la plus probable est une coalition tripartite entre les sociaux-démocrates, les Verts et Die Linke (« La gauche »). »

Die Linke (15,6%) et les Verts (15,3%) sont quasiment à égalité, avec des scores assez proches de celui du parti de Merkel, et presque le même nombre de postes au Parlement. L’AfD quant à elle, qui se présentait pour la première fois aux élections régionales de Berlin, fait son entrée au Parlement.

« Le résultat actuel de l’AfD est très significatif, car Berlin est vu comme la ville la plus libérale d’Allemagne, avec traditionnellement un fort pourcentage de partis de gauche ou libéraux. En Mecklembourg-Poméranie-Occidentale, l’AfD a obtenu plus de voix, mais ses résultats à Berlin sont plus marquants, du fait de ce que cela signifie dans cette ville. »

Crise des partis traditionnels et polarisation politique

La « crise de représentation » des partis du « centre politique » est un phénomène que l’on peut observer dans tous les pays d’Europe depuis le début de la crise économique mondiale de 2008. L’Allemagne avait réussi à maintenir une certaine stabilité mais cela est désormais révolu.

« Ce que l’on peut voir, c’est que les partis traditionnels traversent une crise importante, une crise de représentation très forte, que l’on peut observer clairement dans cette élection. Le seul parti qui a dépassé les 20% est le SPD, mais il obtient lui aussi des scores plus faibles qu’avant. Cela veut dire que la grande coalition, qui rassemblait le SPD et la CDU, s’effondre dans la capitale de l’Allemagne et la politique à Berlin est toujours représentative de la politique de l’ensemble de l’Allemagne », ajoute Stefan Schneider. Il reste un an avant les élections fédérales en Allemagne, mais le temps semble manquer à Merkel.

« Un troisième élément soulevé par ces résultats, c’est que le SPD gouverne Berlin depuis 25 ans, et depuis ce temps il a toujours perdu des voix ; aujourd’hui sa chute est historique. La différence avec la dernière élection régionale, il y a 5 ans, c’est qu’à l’époque la social-démocratie gouvernait par une coalition avec Die Linke (de 2001 à 2011) et qu’en 2011, Die Linke avait perdu trop de voix pour pouvoir rester au gouvernement ».

La gauche Die Linke se recompose

Le parti Die Linke est le parti héritier du vieux Parti Socialiste Unifié d’Allemagne de l’Est, le parti stalinien de l’ex-RDA. Dans les dernières décennies, il a fait parti de gouvernements régionaux, en coalition avec la social-démocratie.

« Dans la partie Est de Berlin, une grande partie des votants de Die Linke sont sa base sociale historique, du temps où il était le parti unique en Allemagne de l’Est. Dans ces quartiers, il est le parti le plus fort, avec 21%. Mais ce qui est à noter, c’est qu’à Berlin Ouest il y a 5 ans, il n’obtenait que 4% de voix, alors qu’il en obtient entre 10 et 11% aujourd’hui. »

Pour Stefan Schneider, cette recomposition de Die Linke s’explique par le sentiment de certains secteurs de gauche de la nécessité de freiner l’ascension de l’AfD. « C’est un facteur important, beaucoup de gens disait « il faut voter contre l’AfD ».

Paradoxalement, la peur face à « la croissance de l’AfD va conduire à ce que les Verts et Die Linke permettent à la social-démocratie de continuer à gouverner ».

« L’AfD tient le discours suivant : « nous sommes les seuls contre l’establishment ». Et les autres partis semblent leur donne raison. Aujourd’hui, Die Linke va rendre possible le maintien au gouvernement de la social-démocratie, pilier de l’establishment. »

Les votants de Die Linke ne voient-ils pas une contradiction dans le fait qu’à Berlin se réalise une coalition entre la gauche et la social-démocratie, alors qu’au niveau national la grande coalition se maintient ? « Si, mais Die Linke propose que sa coalition avec la social-démocratie se réalise aussi au niveau national. Et à l’intérieur de la social-démocratie, certains appellent à un tel gouvernement ».

« Le résultat de Die Linke est lié à une volonté d’opposition à l’AfD, et de nombreuses personnes ont oublié ce qu’a fait Die Linke il y a 5 ans. Aujourd’hui Die Linke se propose comme une autre variante de gouvernement. Un autre fait important à prendre en compte est que la liste de Die Linke pour ces élections était formée uniquement par la droite du parti. Ceux qui refusent d’intégrer le gouvernement, ou ceux qui sont plus à gauche, sont restés en dehors de la liste. Au dernier congrès, la droite du parti est sortie très forte. Normalement, il y a un accord de consensus sur la composition des listes, mais cette fois la droite a imposé sa liste à 100% et n’a offert aucun poste à la gauche du parti. Ceux qui se proposent pour gouverner avec la social-démocratie aujourd’hui sont les mêmes qui pendant 10 ans, entre 2001 et 2011, ont mené une politique favorable aux privatisations, à l’austérité, etc... »

Berlin, la ville des inégalités

L’un des thèmes qui a traversé la campagne électorale à Berlin a été la question des loyers et de l’augmentation des inégalités sociales, dans une ville où la précarisation du travail et des conditions de vie s’est beaucoup fait sentir ces dernières années.

« Berlin est une ville qui historiquement est plutôt bon marché en comparaison des autres villes d’Allemagne, moins chère que Munich ou Hambourg, ou encore Paris et Londres. Historiquement cela a été ainsi parce que Berlin était une ville frontière, et personne ne souhaitait vivre ici... Mais dans les derniers 10 ou 15 ans, c’est la ville qui a subi la plus grande augmentation des loyers de toute l’Allemagne et une des plus grandes d’Europe. De nombreuses personnes ont dû abandonner leur appartement dans le centre ville et déménager en banlieue : des immigrés, des femmes avec enfants, des gens avec peu de ressources, avec des bas salaires... »

La social-démocratie a mis en place une politique sur cette questions des loyers, mais sans résoudre le problème de fond.

« Il y a deux ans, une loi a été votée qui devait soit-disant réguler les prix des loyers, pour qu’ils n’augmentent pas plus de 10% par an. La social-démocratie a célébré ça comme une grande victoire mais il y a de nombreuses exceptions à la loi, et elle n’a quasiment pas été appliquée. Par exemple, les propriétaires évitaient la réglementation en effectuant des rénovations qui justifiaient la hausse du prix de la location. Cette question des loyers a été au cœur de la campagne, notamment celle de Die Linke. »

L’augmentation des inégalités sociales à Berlin a aussi été marquée par la logique de privatisation des services publics et les attaques contre le droit du travail.

« Cela est aussi un héritage du gouvernement de la coalition social-démocratie-Die Linke, que la « grande coalition » n’a fait que poursuivre. Pour donner un exemple, on peur prendre celui d’une des luttes ouvrières que nous avons suivi : celle du jardin botanique. C’est une entreprise qui a été fondée il y a 10 ans par le gouvernement de la ville pour faire sortir ses travailleurs du régime d’employés de l’État. C’est une nouvelle entreprise, auprès de laquelle le gouvernement de la ville sous-traitent, mais qui n’est plus sous la convention collective des services publics. Une entreprise qui appartient à la région, mais sous une forme légale similaire à celle d’une entreprise privée. »

« Ils ont fait la même chose avec l’hôpital universitaire de Berlin, l’hôpital universitaire le plus grand d’Europe. Il y a 10 ans, ils ont fondé une entreprise de service, qui appartient en partie à l’hôpital, en partie à deux grandes entreprises privées. Celles-ci s’occupent de toute l’assistance non-médicale : la cantine, le ménage, etc. Et cette entreprise n’est pas régie par la convention collective des service publics. Il y a de nombreux exemples d’entreprises fondées par le gouvernement pour baisser les salaires, et éviter la convention collective. Ces dernières années, il y a eu de nombreuses luttes ouvrières qui exigeaient le retour à l’ancienne convention collective. »

« Aucun de ces partis ne représentent les intérêts des travailleurs et de la jeunesse »

Stefan explique que pour ces élections, le site Klasse Gegen Klasse et le groupe RIO ont fait campagne pour le vote blanc.

« Si la coalition rouge-rose-verte se confirme, nous pensons que ces partis vont continuer à avancer dans le processus de privatisations et de remise en cause des droits. Nous ne croyons pas que les travailleurs puissent avoir confiance en ce nouveau gouvernement ».

« Nous pensons que ces partis n’expriment d’aucune façon les intérêts de la jeunesse, des travailleurs, des migrants, des femmes... Si beaucoup de gens disaient qu’il fallait que éviter un trop grand succès pour l’AfD et ont pour cela voté pour les partis du régime, nous pensons que cela ne va servir à rien, car ce sont ces mêmes partis, avec leur politique de privatisation, de répression contre les réfugiés, contre la jeunesse, qui ont préparé le terrain pour qu’émerge une force d’extrême-droite comme l’AfD. »

« Par exemple, dans la campagne, l’un des thèmes était celui de la « sécurité ». La loi de sécurité rend aujourd’hui possible pour la police de définir certaines zones de « « zones de danger » et s’attribuer ainsi de plus grands pouvoirs. Cette loi a également été votée par Die Linke, au sein du gouvernement, à travers la Loi générale d’ordre et de sécurité de Berlin, votée en 2006. »

Stefan conclue : « Si nous voulons faire face à cette nouvelle extrême-droite ainsi qu’aux politiques du gouvernement et des partis traditionnels, on ne peut pas donner notre voix à ces partis. C’est pour cela que nous avons appelé à voter blanc. Dans le même temps, nous pensons qu’il faut forger un courant combatif, de lutte des travailleurs, de la jeunesse, des luttes anti-racistes, pour exprimer notre voix politique par ce moyen, dans la perspective de construire un front de gauche anticapitaliste pour affronter ces partis. »


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