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EHPAD dans le 93 : "le Samu a refusé de prendre des résidents en réanimation"

Anissa travaille en tant qu’aide-soignante à l’Ehpad Emile Gérard à Livry-Gargan dans le 93. Élue syndicale sud et membre CHSCT, elle fait partie de ces soignants qui ont alerté très tôt sur le retard, les manquements et les erreurs dans la gestion de la crise sanitaire. « Nous avons été les grands oubliés » dit-elle au sujet des Ehpad qui aujourd’hui sortent à peine la tête de l’eau.

Cécile Manchette

29 avril 2020

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RP : Dans un article du Parisien sorti le 19 avril dernier, vous et vos collègues alertaient sur les mauvaises conditions de travail, le manque de matériel, les mesures sanitaires prises tardivement selon le ressenti des soignants par l’établissement. Une situation qui n’est pas cantonnée à votre Ehpad puisque de nombreux témoignages de soignants ont dénoncé la situation dans les Ehpad, il n’y a qu’à se rappeler ces Ehpad où les soignants ont été conduits à se barricader avec les résidents à l’intérieur, ou encore le manque de transparence sur le nombre de décès. Quels éléments de bilan tires-tu de la gestion de la crise dans ton établissement après plus d’un mois ?

Anissa : Le gouvernement a laissé les Ehpad sur le côté. On devait être un des premiers maillons étant donné que les personnes âgées sont les plus vulnérables mais en réalité on a été le dernier maillon de la chaîne. Ça s’en est ressenti à tous les niveaux.

Au niveau des masques par exemple la direction avait fait des commandes qui ont été réquisitionnées par l’Etat. L’Ehpad avait quantifié 7000 masques chirurgicaux et l’ARS en as donné 1200. Ça a été une bataille pour en avoir et on en a manqué. Les surblouses on en n’a jamais vraiment eu ou alors deux à se partager pour toute l’équipe si suspicion. On n’a pas eu de masques chirurgicaux avant le 17 mars, et les masques FFP2 ce sont juste pour les soignants qui sont dans le service dédié au CoVid. Cette unité CoVid qu’ils ont ouvert le 27 mars avec de l’oxygène, des perfusions mais pas de respirateurs, et où il y a seulement 13 lits.

On pense que le confinement des résidents, les mesures sanitaires, ont été prises trop tardivement alors qu’on a alerté depuis le 14 mars sur le fait qu’il fallait se préparer, on a envoyé des courriers et on ne nous répondait pas.

Ils ont arrêté de déplacer le personnel seulement le 9 avril, c’est-à-dire qu’avant ça dès qu’il manquait quelqu’un dans un service ils faisaient venir des agents d’autres services sauf qu’on n’avait pas de protection encore et du coup nous pensons que le virus a continué de se propager. Les résidents eux n’ont pas été confinés avant le 25 mars.

De la même manière, un cabinet médical indépendant à l’intérieur de l’Ehpad qui reçoit des patients extérieurs a continué à fonctionner jusqu’au 20 mars. Les familles étaient en colère à cause de ça : on nous interdit de voir nos familles mais ce médecin accueille du public extérieur. Cela, ça a été une grosse erreur de départ.

RP : Quelles en ont été les conséquences sur vous, vos conditions de travail et les résidents ?

Beaucoup de choses auraient pu être évitées. Au niveau de l’Ehpad y a eu de la panique au départ du côté des agents. Il n’y avait aucune communication, aucune présence de la direction sur le terrain. On a rapidement manqué de personnels avec rapidement beaucoup de personnels en arrêts pour diverses raisons : huit arrêts pour Covid notamment, des agents arrêtés à cause de maladies chroniques, d’autres par peur de tomber malade. A un moment on a été deux soignantes pour 20 résidents et pour eux tout va bien tant que tu n’es pas toute seule. Deux pour vingt toilettes de résidents mais on n’avait pas le temps de tout faire. Le manque de leur famille on ne pouvait pas se substituer à ça alors on leur disait qu’on allait revenir mais on ne pouvait pas revenir tout de suite. C’était surtout ça qui était dur. On n’avait pas une minute à nous, peu de temps de pauses.

Avec tous ces problèmes de gestion, de manques de matériels, de retard dans la mise en place des mesures sanitaires, il y a eu des cas de contamination, du côté des patients et des soignants. On n’a toujours pas les chiffres exacts. On s’est battu pour avoir un CHSCT exceptionnel qu’on a réussi à avoir que le 17 avril et ils nous ont donné des premiers chiffres à ce moment-là. Ils parlent de 7 décès parmi les résidents, et de 7 agents diagnostiqués CoVid parmi les agents. Je leur ai dit que parmi les soignants il y a dû en avoir plus, parce qu’il y a eu des soignants qui avaient des symptômes, il fallait aller se faire dépister par ses propres moyens, jusqu’à récemment ils nous disaient qu’ils ne pouvaient pas nous tester, qu’il n’y avait pas assez de tests, qu’on n’était pas prioritaire dans la liste ds Ehpad. Sans compter que certains avaient peur de dire qu’ils ont le CoVid, peur qu’on les accuse d’être ceux qui ont contaminé les autres. On a encore des cas de CoVid pris en charge par le service CoVid, mais aussi de nouveaux cas positifs parmi les résidents. Ce n’est pas fini.

RP : Dans son édition du 22 avril, le « Canard Enchaîné » a eu accès à une circulaire du ministère de la santé qui aurait appelé le 19 mars les hôpitaux à limiter l’accès des personnes « fragiles » à la réanimation. Le titre de l’article est « Les vieux ont-ils été privés de réa ? », je vous pose la question…

Je pense que c’est vrai ça nous est arrivé pour deux ou trois résidents, les infirmières disent que le Samu n’a pas voulu se déplacer. Quand un résident est en détresse respiratoire, on ne peut pas gérer parce qu’on a peu de matériel, on ne peut pas prodiguer les mêmes soins. Les infirmières ont appelé le Samu et on leur a dit qu’ils ne se déplaçaient pas pour des personnes âgées de plus de 90 ans. Ils ont refusé de prendre nos résidents en service de réanimation. Tout ça est basé sur des coups de fils entre les infirmières, le Samu et les hôpitaux. Dernièrement cela a changé, depuis je pense que les services sont moins engorgés, ils prennent nos résidents. Un résident a été transféré dernièrement.

RP : Vous dites que cette dernière semaine les choses ont changé notamment suite à l’article publié dans le Parisien. Qu’est-ce qui a changé ?

Suite aux articles, tout a changé. Même des personnes de l’Ehpad, me disent qu’on n’a jamais vu ça. Ils font tout ça pour pas voir leur image ternie, pour se rattraper. Ils ont placardé partout leur communiqué de presse et la plainte qu’ils ont porté contre le Parisien pour faire peur aux agents.

Du coup dernièrement on a réussi à rétablir la visite des familles avec la mise en place d’un protocole sanitaire strict. On a du personnel qui est venu en soutien d’autres établissements, des infirmières libérales. On a désormais deux psychologues alors qu’on avait qu’une psychologue à mi-temps pendant des semaines. Jeudi et vendredi dernier ils ont testé tout le monde alors que jusque là on nous expliquait qu’on ne pouvait pas. Désormais ils communiquent, ils viennent voir les agents.

On avait reçu des dons (alimentaires…) qui étaient stockés dans une réserve, et les agents se demandaient pourquoi ils gardaient tout. On a leur demandé plusieurs fois et ils ne voulaient pas les donner. Tout à coup, ils ont distribué tous les dons aux agents.

Les agents se sentaient comme les grands oubliés. Ils ont vu qu’il a fallu médiatiser, dénoncer ce qu’il se passe pour être visibilisés, entendus et voir des changements. C’est une bataille.

RP : Il y a de nouveaux cas testés positifs parmi les résidents, le gouvernement parle lui de déconfiner à partir du 11 mai qu’en pensez-vous ?

On a des cas de CoVid encore aujourd’hui et des collègues qui s’arrêtent. Le déconfinement ça fait peur sur comment ça va se passer. On commençait à recevoir des familles avec des protocoles de sécurité. De là à ce qu’il y ait le public qui revienne, que la vie reprenne, les collègues ne sont pas rassurés. Vu la manière dont la crise a été gérée jusque-là, le retard pris dans tout, il est très probable qu’il y ait une deuxième vague qui arrive. C’est déjà beaucoup de travail pour organiser les rencontres avec le protocole alors si on déconfine totalement ce n’est pas possible. Il y a encore des cas qui se déclenchent on ne peut pas déconfiner.

RP : Le gouvernement a fait des promesses aux hospitaliers, aux personnels de santé, des promesses de primes, d’un plan d’investissement dans la santé, vous y croyez ?

Je n’y crois pas parce que je sais que derrière tout ça ils sont en train d’organiser leur projet de fermeture de lits, de fusions entre les hôpitaux et les Ehpad etc. Je pense que c’est pour apaiser et pour calmer les soignants, et le peuple. Ils savent qu’il y aura un après. On le dit on est là aujourd’hui, il n’y a pas de soucis, on est là pour ça, c’est notre métier mais par contre quand ce sera fini on sera là aussi. Tout ce que le gouvernement est entrain de promettre on va le réclamer. On n’était pas énormément à se battre avant. Là le combat sera vraiment plus fort. La prime d’attractivité ils l’ont promis aux soignants mais y a plein de clauses et plein de soignants ne l’auront pas, on est plus de 200 soignants dans l’Ehpad et seulement 60 salariés y ont eu droit parce qu’ils se basent sur l’année 2019, les 12 mois de salaires, et si tu dépasses un certain montant tu ne bénéficies pas de cette prime. Je ne l’ai pas eu par exemple. Il y a aussi la prime grand âge qui est de 118 par mois pour les aides-soignantes et les infirmières mais pas les ASH du coup. Elles font le même boulot que nous et elles n’ont pas eu la prime elles, c’est scandaleux ! Les ASH c’est vraiment le pire elles n’ont rien du tout. Avec les syndicats on avait demandé une augmentation de 400 euros par mois pour tous les soignants mais on n’a pas eu. Pour ce qui est de la prime CoVid elle n’a pas encore été fixée pour les personnels en Ehpad.

Nous on a de fortes suspicions sur le fait que notre Ehpad va être fusionné avec un hôpital du département prochainement. Récemment on nous a annoncé que l’Ehpad était mutualisé avec cinq autres. On sait que ça va finir en fusion. Ils veulent fusionner les Ehpad et les hôpitaux notamment parce que les directeurs et directrices d’Ehpad apparemment coûtent trop chers. On n’a pas encore de déclaration, réponse claire de la direction. Ce qui nous fait peur c’est les fermetures de lits comme ça s’est passé déjà ailleurs. A l’hôpital de Sevran ils ont fermé une centaine de lit en soins de suite. On voit très bien avec la crise qu’on n’a pas assez de places, qu’on en a besoin parce qu’il y a de plus en plus de besoins, et eux ils ont encore ce projet là en tête. C’est ça qui nous inquiète.


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