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Élections au Brésil

Du coup d’Etat institutionnel à Bolsonaro : interview d’une militante révolutionnaire brésilienne

Dans le contexte de la montée de l’extrême droite dans ces élections brésiliennes, le quotidien argentin La Izquierda Diario a interviewé Leticia Parks, éditrice de la Esquerda Diario Brasil (faisant partie du même réseau de quotidien que la Izquierda Diario et Révolution Permanente) et militante du MRT, parti frère du Courant Communiste Révolutionnaire en France. Depuis Sao Paulo elle commente la situation au Brésil. Nous reproduisons ici son interview.

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Trad. Dam Morrison

Pateando el Tablero : Bien que ces dernières semaines les sondages annonçaient déjà que Bolsonaro allait triompher, comment voyez-vous le résultat des élections de dimanche dernier ?

Leticia Parks : Cette avancée d’une aile droite avec ces caractéristiques représente un sujet très important, pour l’ensemble de l’Amérique latine. Comme nous l’avons vu dans les discours de Bolsonaro, c’est un homme qui promeut la haine contre les femmes, les noirs et les peuples autochtones du Brésil. Ce résultat fait partie d’un processus électoral caractérisé par beaucoup de manipulation médiatiques et doit être considéré dans la continuité du coup d’État institutionnel que nous avons subi au Brésil en 2016 et qui a retiré Dilma Rousseff de la présidence. Déjà cette année-là, le MRT [Mouvement Révolutionnaire des Travailleurs, parti frère du Courant Communiste Révolutionnaire en France, qui anime Révolution Permanente, NDLR] avait déclaré que le coup d’État était une tentative pour attaquer plus ouvertement les travailleurs et pour imposer la crise que nous commençons à subir très fortement ici au Brésil.

Ces élections ont été très marquées par ces manipulations. Lula était le candidat préféré de la population. Il avait 40 % des intentions de vote, et le pouvoir judiciaire a usé de méthodes très autoritaires pour imposer que Lula ne puisse pas participer, allant jusqu’à son emprisonnement arbitraire. Les gens ne pouvaient pas voter pour leur candidat préféré, c’est un premier élément à prendre en compte pour expliquer pourquoi Bolsonaro a obtenu autant de votes. Car après qu’il soit devenu officiel que Lula ne pourrait pas se porter candidat, le PT a présenté Fernando Haddad qui est maintenant contre Bolsonaro au deuxième tour et il y a une tentative du PT pour transférer ses votes à Haddad. Mais cela n’a pas fonctionné jusqu’au bout car une partie de ceux qui allaient voter pour Lula a décidé de voter pour Bolsonaro qui a obtenu 46 % des votes.

Les élections ont été brutalement manipulées par le pouvoir judiciaire, avec la participation croissante des forces armées alliées de Bolsonaro. Il faut aussi prendre en compte le fait que Geraldo Alckmin, qui était le favori de la bourgeoisie, dans la continuité du coup d’État en tant que candidat du régime, a connu un échec brutal, parce qu’il a commencé avec une intention de vote atteignant les 18 % et n’a finalement obtenu que 4 % des voix. C’est-à-dire qu’une partie de la population qui allait voter pour Alckmin a décidé de voter pour Bolsonaro avec l’idée qu’il était le meilleur candidat pour gérer le pays et lutter contre la corruption.

Il est important de voir que même si Bolsonaro a ce discours fasciste contre les femmes, les noirs et particulièrement contre la gauche, la population vote pour lui parce qu’elle est très en colère contre la corruption et la très forte violence qui va croissante dans le pays à cause de la crise. Il y a comme une volonté de changement qui est malheureusement récupérée par l’extrême droite.

Pateando el Tablero : Si l’on suit les différents médias du monde, il est étrange de constater que la plupart d’entre eux ce processus qui vient de 2016. Car comme vous le dites, un coup d’État a eu lieu, bien que ce ne soit pas de la manière habituelle – avec un recours aux militaires – mais par une destitution. Quelle lecture faites-vous de la façon dont les médias traitent les élections au Brésil sans prendre en compte le contexte post-putsch institutionnel dans lequel elles ont lieu ?

LP : Bien sûr que c’est une opération médiatique. Les médias officiels ne reconnaissent pas qu’il y a eu un coup d’État et il y a un différend narratif sur ce qui s’est passé en 2016. Les médias de la bourgeoisie ne vont pas dire que c’est la continuation de l’attaque brutale que la classe ouvrière a subie en 2016, avec la destitution d’une présidente élue avec 54 % des voix. C’est une usurpation du vote de la majorité.

Les médias donnent un autre récit ; ils disent que le problème est la corruption et que c’est elle qui plombe l’économie. Ils présentent ainsi les élections actuelles comme un processus normal, tandis que le pouvoir judiciaire décide par ailleurs de qui peut ou ne peut pas se présenter, comme si c’était un élément normal du système démocratique. Nous savons évidemment qu’il n’en est rien.

Cette manœuvre des médias fait partie d’une tactique qui vise à normaliser un récit selon lequel 2016 n’était pas un coup d’État et que la démocratie est intacte. Au contraire, la population sent bien que rien n’est normal. Il n’est pas normal que les gens décident de voter pour un homme qui n’a pas participé aux débats parce qu’il a été poignardé. La grande majorité d’entre eux ne connaît pas son programme politique ou économique, mais certains le savent et sont une avant-garde réactionnaire. Il faut dire que la grande majorité de la population vote contre la corruption et c’est le discours qui a été renforcé avec l’opération Lava Jato (ou scandale Petrobras) et le fonctionnement des médias pour justifier le problème économique qui existe au Brésil. Cela fait partie d’un récit qui cherche à assurer la continuité de ce coup d’État et approfondir l’austérité.

La bourgeoisie fait d’énormes efforts pour imposer l’austérité parce qu’avec le coup d’État de 2016 elle n’a pas pu aller jusqu’au bout de ses plans. Son président, Temer, a atteint 95 % de désapprobation et n’a même pas pu faire la réforme des pensions, qui était la plus importante pour la bourgeoisie brésilienne : il s’agit pour elle de tout privatiser pour laisser le champ libre à l’austérité.

Pateando el Tablero : Vous avez commenté ce différend de récit au sujet du coup d’État institutionnel au Brésil. Il y a une autre idée qui a été abordée dans certains médias et même dans les réseaux sociaux, l’idée qu’avec le résultat de ce candidat de droite émerge la figure de « l’homme fort contre la corruption ». Beaucoup comparent Bolsonaro à un Donald Trump des tropiques, comment définiriez-vous le personnage de Jair Bolsonaro ?

LP : Bien sûr, Bolsonaro fait partie de ce phénomène international d’émergence d’une extrême droite xénophobe et raciste qui n’apparaît pas seulement dans la figure de Trump, mais aussi à travers d’autres personnalités politiques qui ont été largement citées par Benicio Himes et d’autres médias.

Ce qu’il est important de dire, c’est qu’en plus de ce discours de haine contre les minorités et des attaques contre les immigrés et les femmes, Jair Bolsonaro a un discours très particulier au Brésil, un discours très fort contre la gauche et c’est pourquoi nous disons aussi qu’il a des traits fascistes. Dans une émission de télévision, il a dit que le PT avait vocation a devenir une expérience communiste au Brésil et que les communistes et les rouges devaient être vaincus. Il y a un discours très fort propre à Bolsonaro et qui ne fait pas partie de ce type de figures politiques, qu’on ne retrouve même pas chez Trump. Bolsonaro joue le rôle très important d’enlever de la conscience du peuple son respect pour le PT et la façon dont il se sentait jusqu’alors représenté par cette formation politique. Une identification forte, liée à la manière dont le PT est né ici au Brésil. Je veux dire qu’il y a un discours anti-gauche très marqué au Brésil.

Par ailleurs, pour devenir une figure d’extrême droite au Brésil, Bolsonaro distille dans son discours la haine contre la population noire et rurale. Car le Brésil est un pays qui a connu 300 ans d’esclavage et où subsiste une différence énorme de salaire et de conditions de vie entre travailleurs noirs et blancs, les femmes noires recevant 60 % de salaire en moins que les travailleurs blancs. En d’autres termes, pour être une figure de la bourgeoisie nationale, il doit mettre en mouvement une très forte haine raciale, qui s’est exprimée par les attaques et les meurtres qui se sont produits ces dernières semaines.

Il est important de noter que ces personnalités de droite qui émergent font partie d’un phénomène international, mais qu’elles portent des caractéristiques très particulières du Brésil. Bolsonaro représente une tendance encore plus réactionnaire. Cela a un sens pour l’ensemble de l’Amérique latine, car c’est un essai que la bourgeoisie est en train de faire ici, et si cela réussit il peut s’agir d’un changement du rapport de forces pour l’ensemble de la classe ouvrière en Amérique latine.

Pateando el Tablero : Leticia, vous avez expliqué comment s’était constituée cette figure de Bolsonaro, avec ce discours contre la gauche et par la haine raciale, à l’égard des femmes et des personnes LGBT, des mouvements de paysans et ouvriers. Vous avez également parlé de cette situation au Brésil comme d’un essai régional. En réponse aux attaques fascistes, nous avons assisté à certaines réactions et actions. Comment le MRT et les différentes organisations comptent-elles faire face à l’extrême droite ?

LP : C’est tout un problème. Ce profil de Bolsonaro est fascisant, mais il est important de dire que la bourgeoisie se fiche qu’il ait un discours d’État contre les femmes, les paysans ou les noirs. Ce qui est vraiment important pour la bourgeoisie, c’est qu’il soit contre la gauche et c’est pourquoi Bolsoaro insiste sur ce plan-là.

Les fascistes ont assassiné le maître Moa Capoerista qui combattait le racisme. La bourgeoisie et Bolsonaro lui-même ont dû se dissocier de ce fait en affirmant que ça ne faisait pas partie de leur politique. Ils ont déclaré ne pas être en faveur de personnes battues ou torturées. C’est de la démagogie, car Bolsonara tient des discours qui encouragent ces attaques brutales, mais d’un autre côté une polarisation aussi profonde de la population n’est pas dans l’intérêt de l’État. Il s’est passé ici quelque chose que la bourgeoisie ne veut pas : après le meurtre de Moa, le peuple a commencé à se mobiliser et à appeler des marches contre cet assassinat.

Au MRT nous accompagnons les personnes qui veulent vaincre Bolsonaro à ces élections, mais nous disons que ces attaques fascistes et le renforcement du discours même de l’extrême droite comme discours officiel doivent être combattus dans la rue et sur les lieux de travail et d’étude. Pour cette raison, nous demandons aux centrales syndicales de déclencher une grève.

Que nous formions des milliers de comités pour organiser la révolte qu’il y a dans le peuple, car après chaque attaque, après chaque meurtre, le peuple veut se lever et réagir pour protester et prendre la rue. Mais pour cela il faut s’organiser. Et même si Bolsonaro perd les élections, ce qui est improbable, la droite dure en sortira renforcée et il faudra la vaincre avec nos méthodes : la mobilisation de la classe ouvrière organisée sur ses lieux de travail.

La gauche convoque massivement ses électeurs à voter Haddad. Nous votons Haddad de façon critique, et critiquons par là même les secteurs de la gauche qui ont une stratégie électoraliste en appelant à voter Haddad pour vaincre la droite. Nous affirmons que les élections de ce 28 octobre ne mettront pas fin au renforcement de la droite et qu’elle continuera à imposer des attaques à notre classe au travers de mesures d’austérité. Ce qui compte réellement, c’est comment la classe ouvrière va s’organiser pour résister à ces attaques.


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