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A 7 ans de la chute de Ben Ali

Crise en Tunisie. S’agit-il simplement de « renforcer la démocratie » ?

La Tunisie a été le berceau du « printemps arabe » qui a fait tomber des dictateurs en place depuis des décennies au Maghreb et au Moyen-Orient. Même si depuis la réaction a pris les devants, les classes dominantes et l’impérialisme craignent qu’à tout moment cela puisse repartir, et que la Tunisie soit à nouveau l’étincelle.

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Depuis 2011 et le renversement de Ben Ali par un soulèvement populaire, la Tunisie est devenue un lieu central de la lutte de classes au Maghreb mais aussi pour le Moyen-Orient et l’ensemble du « monde arabe ». Et cela parce que depuis 2011, malgré le fait que les impérialistes et leurs clients locaux, les capitalistes tunisiens, ont repris les rênes du pouvoir étatique, la situation reste socialement explosive.

En effet, malgré la chute de Ben Ali les conditions de vie des travailleurs et des classes populaires restent très dures, dans certaines régions pires que sous Ben Ali. Les explosions sociales au cours de ces dernières années n’ont pas manqué à l’appel. Les grèves non plus, notamment dans les régions minières où la production s’est retrouvée plusieurs fois à l’arrêt à cause des grèves ouvrières.

L’explosion sociale en cours, contre le budget austéritaire pour 2018, réveil à nouveau les hantises des capitalistes. Craintes soit d’un retour à un régime proche de celui de Ben Ali, qui pourrait exacerber les tensions sociales ; soit d’un retour en force d’un soulèvement populaire ; soit d’une combinaison des deux.

Cela s’exprimait clairement dans une tribune publiée dans Le Monde par deux chercheurs sur le Maghreb, Issandr El Amrani et Michael Ayari. Ceux-ci y affirment : « le pays semble prisonnier d’une transition sans fin qui affaiblit l’Etat et le fait dériver vers l’autoritarisme. Les fondamentaux économiques se dégradent, les pouvoirs publics rompent progressivement avec leur politique d’achat de la paix sociale – près de la moitié du budget de l’Etat est, en effet, consacré au paiement des salaires dans la fonction publique »

Pour ces deux chercheurs « la classe politique estime devoir trouver rapidement des solutions de court terme, quitte à recourir à celles déjà mises en œuvre sous l’ancien régime ». Cela représenterait pour eux un « danger pour la démocratie » tunisienne et un vrai risque de « restauration » : « ce terme réapparaît en effet pour décrire la banalisation des discours qui assimilent la démocratie à la faillite de l’Etat, à la montée de la corruption et de la paupérisation ainsi qu’au retour de plusieurs figures de l’ancien régime à des postes de décision politiques et administratifs » et que cela rend les masses « davantage susceptibles de se soulever contre l’Etat ».

Au vu des évènements actuels ils considèrent que « pour ne pas avoir à osciller brutalement entre austérité et achat de la paix sociale, des réformes ambitieuses devraient viser à rendre l’économie plus inclusive, ce qui favoriserait la création de richesses dans les régions déshéritées et non le partage, le plus souvent injuste, des ressources clientélistes ». Cela serait fondamental pour éviter une « rupture brutale » que les « nostalgiques de la révolution du 14 janvier 2011 ou de l’ancien régime appellent de leurs vœux »

L’objectif est clair : renforcer les institutions du régime post-Ben Ali pour légitimer le statu quo de spoliation capitaliste en Tunisie, tout en évitant avant tout un retour sur le devant de la scène de la classe ouvrière, de la jeunesse et des classes populaires et que cela modifie le rapport de force entre les classes et entre les fractions à l’intérieur des classes dominantes.

En effet, à la différence des autres pays touchés par les processus révolutionnaires arabes, la Tunisie a connu un processus de « contre-révolution pactisée » entre les différentes factions capitalistes locales et l’impérialisme. Comme il est dit dans un article de Foreign Affairs sur le bilan de la « transition » en Tunisie : « Le gouvernement post-soulèvement a décidé de ne pas exclure les membres du parti de Ben Ali du système politique émergent. C’était une décision politiquement risquée et psychologiquement lourde, mais elle a épargné le pays le genre de violence vue en Libye et ailleurs ».

Ainsi, le fait que les différentes factions des classes dominantes aient choisi la voie d’une « réaction pactisée » plutôt que l’affrontement armé, a effectivement préservé la Tunisie de l’effondrement total de l’économie, de décomposition sociale et les catastrophes humanitaires engendrées par les guerres comme en Syrie, en Libye, au Yémen et, dans une moindre mesure, en Egypte.

Cependant, la contradiction pour les factions capitalistes c’est que, malgré la défaite du processus révolutionnaire, la classe ouvrière et la jeunesse sont moins « traumatisées », démoralisées et désintégrées que dans les pays mentionnés plus haut et ont un meilleur terrain pour développer leurs forces face à d’éventuelles nouvelles explosions sociales et assauts révolutionnaires contre le régime. C’est en ce sens que la Tunisie reste un pays central pour la lutte des travailleurs et des classes populaires au Maghreb et au Moyen-Orient.

Et cette menace que représentent la classe ouvrière et la jeunesse est une hantise permanente pour les classes dominantes locales et en même temps représente un obstacle pour faire avancer plus rapidement l’agenda réactionnaire. L’article déjà cité de Foreign Affairs pointe à ce propos : « les parlementaires, méfiants d’un public en colère, s’abstiennent de délibérer sur le bien-fondé des lois lors des plénières ouvertes et envoient les projets de loi aux réunions à huis clos […] où les représentants des partis décident des amendements sans surveillance ni transparence. En effet, la peur de voir basculer le bateau a empêché le bateau d’avancer ».

En ce sens, au contraire de ce qu’affirment les signataires de la tribune du Monde, pour les travailleurs il ne s’agit pas de renforcer les institutions d’un régime pseudo démocratique, expression en réalité de la forme qu’a prise la réaction en Tunisie après la chute de Ben Ali. Les capitalistes à travers ces institutions et cette fausse démocratie sont en train d’attaquer leurs conditions de vie et si le rapport de force le leur permet et s’ils en ont le besoin, ils n’hésiteront pas en restaurer un régime dictatorial comme celui de Ben Ali, voire pire.

Ce qui jette les masses dans les rues régulièrement en Tunisie, mais aussi dans le reste de la région, ce n’est pas seulement le manque de droits démocratiques mais les conditions de vie insupportables, le chômage, la pauvreté, l’exploitation, la corruption des classes dominantes. Ce qui les jette dans les rues ce sont les tâches non achevées de la révolution ; les revendications sociales, politiques et économiques non satisfaites et bloquées par la réaction.

Aujourd’hui les travailleurs, la jeunesse et les masses tunisiennes doivent faire face aux capitalistes locaux, à l’impérialisme et leurs alliés dans la bureaucratie syndicale de l’UGTT. Cependant, leur domination est traversée de beaucoup de contradictions prêtes à éclater. En ce sens, les travailleurs tunisiens peuvent encore jouer un rôle central dans la lutte de classes dans tout le Maghreb et le monde arabe.

Crédit photo : FAOUZI DRIDI / AFP


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