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Crise de la dette : les Etats-Unis face à la menace du défaut de paiement

Les États-Unis pourraient entrer en défaut de paiement à partir du 1er juin si Démocrates et Républicains ne parviennent pas à s'accorder sur le relèvement du plafond de la dette. Si la possibilité d'un accord grandit au fur et à mesure que la date butoir se rapproche, la situation exacerbée par la crise politique américaine reste risquée et annonce une nouvelle cure austéritaire.

Antoine Weil

26 mai 2023

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Crise de la dette : les Etats-Unis face à la menace du défaut de paiement

Crédits photo : GetArchive / Collections

Les États-Unis, première puissance économique mondiale, pourraient-ils faire un défaut de paiement et ne pas être en mesure de rembourser leurs emprunts ? C’est le scénario qui agite les marchés financiers, et provoque une nervosité qui s’approfondit au fur et à mesure que l’échéance connue sous le nom de la « date X » approche.

Les États-Unis bientôt en défaut de paiement ?

Depuis janvier, les États-Unis ont dépassé le plafond de leur dette, fixé à 31,4 milles milliards de dollars. Dans le système américain, le Congrès fixe en effet un plafond de la dette en plus du vote du budget réalisé chaque année, et doit s’accorder pour le relever s’il est dépassé.

Depuis plusieurs mois, la secrétaire au Trésor Janet Yellen, membre de l’équipe gouvernementale de Joe Biden, alerte sur le risque d’arriver à un défaut de paiement à partir de juin. Sauf que les Républicains, majoritaires à la Chambre des Représentants depuis janvier, et les Démocrates, qui ont la main sur le Sénat, ne parviennent pas à s’entendre. En effet, les Républicains exigent une nouvelle organisation du budget américain pour contrer l’endettement sans passer par des hausses d’impôt, ce que proposent les Démocrates.

Après des semaines de blocage, le président Joe Biden et le chef des Républicains à la Chambre se sont rencontrés lundi. Une rencontre aux avancées limitées à quelques jours de l’échéance fatidique, pendant que Janet Yellen rappelait en début de semaine qu’il était « très probable » que les États-Unis se retrouvent à court d’argent public après le 1er juin.

Un défaut de paiement de la première puissance mondiale serait un évènement inédit dans l’histoire du capitalisme. Il est donc difficile d’en prévoir les conséquences - elles toucheront bien entendu en premier lieu les travailleurs - mais les marchés prédisent d’ores et déjà un cataclysme économique et politique majeur dont l’ampleur est impossible à mesurer. « Un défaut sur la dette du Trésor, l’actif le plus sûr du monde, secouerait la planète financière », spécule David Wessel, directeur du centre Hutchins sur la politique monétaire et fiscale à la Brookings Institution. Pour Gregory Daco, « on parle d’un choc plus significatif que la contraction du PIB pendant la crise financière. On parle d’un choc énorme ». Des prédictions au ton catastrophiste qu’il est difficile de réfuter au vu du contexte géopolitique, politique et économique, comme en témoigne les craintes pour le système financier international suite à la crise bancaire de mars dernier.

Démocrates et Républicains incapables de s’entendre, un symptôme de la crise politique

La difficulté liée à l’endettement record est exacerbée par la polarisation politique aux États-Unis. A l’issue des élections de mi-mandat de novembre 2022, les Républicains disposent d’une courte majorité au Congrès, à même de contrer les plans de Joe Biden. Pour autant, le bloc Républicain est loin d’être homogène, avec une importante minorité ultra pro-Trump regroupée dans le « House Freedom Caucus », qui a humilié dès le début de la législature Kevin McCarthy, le chef des Républicains à la Chambre, lequel n’a pu être élu « House Speaker » qu’après 15 tours du scrutin.

La frange la plus fidèle à Trump dans le parti républicain, les membres du « House Freedom Caucus », exerce une forte pression pour empêcher un accord avec les démocrates. Si, comme le souligne le Financial Times le leader des Républicains à la Chambre arrive pour l’instant à maintenir son parti uni dans le conflit avec Biden, il reste soumis à cette pression. Alors que la réunion de lundi avec le président laissait entendre une amélioration en vue d’un accord, le membre du congrès ultra-conservateur Chip Roy a insisté mercredi sur l’importance de « tenir la ligne » face à Biden.

Les Républicains n’accepteraient de relever le plafond de la dette étasunienne qu’en échange de fortes réductions de dépenses publiques, sans couper dans le budget de la défense, et surtout sans procéder à des nouveaux impôts pour obtenir des recettes supplémentaires. En fin de journée ce jeudi, les deux parties seraient en train de se rapprocher d’un accord sans pour l’instant beaucoup de précision sur son contenu.

Ce qui est sûr, c’est que Joe Biden a beaucoup à perdre dans cet accord, lui qui s’est fait élire sur un programme prévoyant d’importants investissements pour endiguer la crise politique sociale consécutive à la pandémie, et qui souffre d’une forte impopularité face à son incapacité à endiguer l’inflation. L’aile gauche du camp démocrate veut pousser Biden à refuser le compromis, et à contester devant la Cour Suprême le défaut de paiement, au titre du 14e amendement qui stipule que l’État américain doit rembourser ses obligations. La polarisation politique aux États-Unis et les difficultés de Joe Biden pour gouverner font donc peser des risques importants pour l’économie mondiale.

 

La crise de la dette ne s’arrêtera pas là, l’austérité budgétaire attend les travailleurs

En cas d’accord in extremis, qui est pour l’heure l’hypothèse la plus probable, la crise de la dette ne s’arrêtera pas là. Déjà, parce que les marchés financiers vont continuer de maintenir la pression sur les États-Unis. A cet égard, l’agence de notation Fitch a placé la note de la dette des États-Unis sous surveillance « négative » en attente d’un accord final sur de la dette. C’était déjà le cas en 2011, lorsqu’un accord sur le relèvement de la dette avait été conclu au dernier moment, sans convaincre les agences de notation, qui avaient pointé le « risque politique » aux USA causé par l’impossibilité pour les Républicains et les Démocrates de s’entendre.

Surtout, la crise va toucher durement les travailleurs américains. D’après les dernières indiscrétions sur l’avancée des négociations, se profile un accord pour relever le plafond de la dette pour deux ans, avec un plafond strict pour toutes les dépenses non liés à l’armée et aux anciens combattants. Républicains et Démocrates comptent donc s’accorder pour continuer à investir massivement dans le budget militaire, en réduisant les programmes sociaux et notamment les systèmes d’assistances sociale payés par l’État, qui touchent avant tout les plus pauvres en l’absence de sécurité sociale dans le système étatsunien.

Davantage encore, d’après le « New York Times » les Républicains pourraient à la faveur de cet accord parvenir à imposer aux bénéficiaires d’allocations sociales de travailler en échange de leurs aides. Quel que soit le contenu final de l’accord, la tendance est claire : la dette, largement creusée par les aides aux entreprises accumulées pendant la pandémie, sera payée par les travailleurs et les plus précaires, à l’aide de nouvelles attaques contre les droits sociaux.

Alors que Joe Biden s’est fait élire sur un programme redistributif, en se présentant comme un défenseur des syndicats et des droits des travailleurs dans le but de coopter la gauche américaine dans la foulée du mouvement Black Lives Matter, la fin de son mandat s’annonce plutôt comme une nouvelle période austéritaire. Après de nombreuses trahisons, la crise du relèvement du plafond de la dette aura montré que sa priorité va au remboursement de ses créanciers et au maintien des dépenses militaires au service de l’impérialisme états-unien, quitte à faire payer aux travailleurs l’endettement record de la première puissance mondiale.


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