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Crise sanitaire

Covid19. La stratégie de l’immunité collective, un mirage dangereux

En l’absence de vaccin, la majorité des gouvernements ont parié sur l’immunité collective pour éteindre le virus. Une stratégie qui visait l’infection de 60% à 70% de la population pour que le virus cesse de se propager. Problème : de récentes études mettent à mal cette hypothèse et montrent une nouvelle fois la gestion catastrophique voire criminelle des grands Etats capitalistes.

Antoine Bordas

22 avril 2020

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La politique de l’immunité dite « collective », « de groupe » ou encore « populationnelle » est discutée depuis le début de la crise sanitaire mondiale, la logique est d’atteindre un certain taux de la population ayant déjà contracté le virus et possédant donc des anticorps. Le taux est différent pour chaque maladie, on estime pour le covid-19 entre 60 et 70 % de contamination nécessaire pour arriver à une extinction "naturelle" de la pandémie.

Si des pays comme la Grande-Bretagne assumaient ouvertement cette stratégie, très rapidement, face à la propagation exponentielle du virus, ce discours a été mis en sourdine tandis que le confinement autoritaire a été mis en place. Pourtant, sur le fond, la stratégie sanitaire des gouvernements reste toujours la même : en l’absence de vaccin, il faut qu’une fraction suffisamment importante de la population soit infectée pour que le virus s’éteigne. C’est en ce sens qu’en France, notamment, la nouvelle du nombre d’infecté a fait l’effet d’une douche froide : seulement 6% de la population aurait été infectée. En ce sens, le gouvernement compte bien rouvrir au plus vite « les vannes » en s’appuyant sur la baisse de cas en réanimation qu’ils mettent en avant.

Comme l’explique simplement Gérald Kierzek, médecin urgentiste, lors d’une intervention sur LCI : « Le 11 mai on ouvre et on laisse circuler le virus, c’est ce qu’on appelle l’immunité collective ». Sous couvert d’une baisse de la contagion (avec l’indicateur R0) le gouvernement souhaiterait-il ré-ouvrir les vannes, pour augmenter le pourcentage de la population infectée et tendre vers une immunité collective ? Pour le professeur Jean-François Delfraissy, président du conseil scientifique Covid-19, on va probablement : « jouer pendant une longue période à libérer un peu, resserrer, libérer et resserrer en attendant qu’on ait un certain nombre de médicaments possibles à notre disposition ». Une stratégie visant donc à réguler l’augmentation du nombre de cas, dans laquelle il faut également prendre en compte le nombre restreint de place dans les hôpitaux, une variable que le gouvernement a assumé dès le début du confinement, l’enjeu étant d’étaler les contagions dans le temps.

Mais le problème est le suivant : jusqu’à présent on estime que seulement 15 % de la population a contracté le Covid-19, certaines études parlent même de 6 %, bien loin des 60 % « espérés », puisque de fait, faire reposer la stratégie sanitaire sur l’immunité collective consiste en définitive à ce que, petit à petit, une fraction suffisamment importante de la population soit infectée.Une orientation d’autant plus risquée que le Covid-19 est une maladie particulièrement meurtrière, et qu’on ne peut pas se permettre de parier sur la capacité d’absorption des hôpitaux et « épuiser » le virus en contaminant tout le monde.

« Cela signifie qu’on doit en revenir à la stratégie de l’immunité collective et accepter les morts qui vont avec. »

Pourtant, le débat est bien présent, et la raison est simplement résumée par les [éditorialistes bourgeois, avec notamment Eric Le Boucher qui a affirmé à propos d’un déconfinement qu’il s’agit « d’accepter les morts qui vont avec. ». Des propos odieux qui s’inscrivent dans l’offensive de ces dernières semaines du gouvernement et du patronat pour la reprise du travail. Car le cœur du problème est bien là, l’économie capitaliste est au plus mal et ils comptent bien faire payer cette crise à ceux qui subissent déjà ce système : les travailleurs et les secteurs populaires.

Porter des illusions sur l’immunité collective arrange bien les patrons et le gouvernement qui les accompagnent. En même temps qu’apporter une fausse solution à la crise sanitaire, ils cherchent surtout à réduire leur crise économique en renvoyant au travail des millions de personnes pour des tâches inutiles dans la situation.

Pour déconfiner, il faut une stratégie sanitaire qui cherche à combattre coûte que coûte le virus : cela passe par le dépistage massif

En ce sens, les quelques détails du déconfinement annoncés par le gouvernement s’annoncent plus que dangereux pour notre classe. Nous sommes de fait loin de l’immunité collective, ce qui laisse entrevoir un potentiel sursaut d’infection, que beaucoup de spécialistes annoncent si l’on poursuit la logique actuelle.

Dans ces conditions, c’est notamment la réouverture des établissements scolaires qui est dénoncée par de nombreux enseignants, lycéens et médecins. Sous couvert de lutte contre les inégalités, on ose espérer que le gouvernement n’a pas choisi cette option en pensant augmenter le taux d’infections des enfants et ceux alors qu’aucun traitement n’est encore certifié. En ce sens, il est nécessaire, à minima, de refuser une reprise des enseignements sans masque ni dépistage pour tous. Comme ailleurs, la question des dépistages pour l’ensemble de la population doit être la principale condition d’un déconfinement, loin de la combinaison actuellement proposée par le gouvernement : dépistage sélectif et tracking généralisé.

Nouvelles découvertes, nouveaux doutes : les certitudes criminelles de la bourgeoisie remises en causes ?

Aujourd’hui les difficultés s’accumulent pour ceux qui cherchent à gérer cette crise par en haut, car les avancées en termes de recherche scientifique pourraient définitivement enterrer une possible immunité collective, remettant en cause l’ensemble des plans gouvernementaux cherchant avant tout à relancer l’économie.

En effet, des hypothèses se sont ouvertes concernant les possibles récidives du CoVid-19, le président du Conseil scientifique Jean-François Delfraissy posait lui-même le problème : « On est en train de se poser la question pour savoir si quelqu’un qui a fait un Covid (...) est si protégé que ça ». Et pour cause, vendredi dernier en Corée du Sud, la haute autorité de santé, a rapporté 91 nouveaux malades du covid-19 testés positifs alors qu’ils avaient été déclarés guéris en sortie de quarantaine. La question est donc au cœur des discussions scientifiques, d’autant plus que Nicolas Martin, producteur de la Méthode Scientifique confie sur France Culture que : « ces cas ne se limiteraient pas à une petite centaine en Corée, plus quelques autres signalés en Chine et au Japon : ils seraient massifs. ».

La résistance post-infection est donc remise en cause. Deux raisons semblent être mise en avant : la durée de l’immunité octroyée par une première infection n’est pas connue, Samuel Alizon, chercheur du CNRS au laboratoire Maladies infectieuses et vecteurs précise que cette question est « encore en débat en raison de l’absence de recul nécessaire pour la mesurer dans le temps  ». Et si « de manière générale », il faut quelques semaines pour le corps humain afin de développer des anticorps protégeant d’une seconde infection, le virus est nouveau, on le découvre ne cessent de répéter les spécialistes. Il pourrait aussi s’agir d’une réactivation virale, on parle alors de « réservoirs viraux » qui se déclenche après la première infection. Nicolas Martin précisait toujours pour France Culture, que «  C’est un mécanisme qu’on connaît bien. C’est ce qu’il se passe avec l’herpès notamment  », avant d’ajouter que les deux virus sont très différents tout en pouvant agir de manière similaire sur ce point.

Malgré le ton hypothétique employé, c’est une importante remise en cause qui s’ouvre. Elle dévoile surtout que les certitudes sur lesquels les stratégies gouvernementales s’appuyaient pourraient s’avérer caduques. Et ce alors que l’ensemble des spécialistes qui s’expriment sur le sujet mentionnent à travers différentes comparaisons que les possibilités de réinfection ou de réactivation sont connus pour d’autres maladies, comme l’herpès ou même le SRAS (autre forme de coronavirus).

En dépit de toutes les recherches en cours et des doutes qui s’ouvrent, les gouvernements et les patrons continuent de faire prendre des risques à des millions de travailleurs dans des secteurs non-essentiels et s’avance vers des déconfinements visant à poursuivre la remise en marchent de l’économie. Il s’agit de ne pas attendre ou laisser faire le gouvernement dans sa gestion d’ores et déjà catastrophique. Les refus de reprise du travail là où c’est possible doivent s’organiser collectivement, car pour l’instant, ni les équipements de protections évidemment nécessaires ni la généralisation des dépistages pour toute la population sont à l’ordre du jour.

Cette situation renvoie à l’urgence de renverser un certain nombre de logique actuelle car nous n’avons aucune confiance dans le gouvernement dans sa gestion de la crise. Il est urgent d’organiser un véritable plan de bataille contre le virus. Une bataille qui ne peut être menée que par la mise en œuvre d’un dépistage massif, qui ne vise pas seulement les personnes symptomatiques, et qui s’appuie sur des commissions de recherches indépendantes et des comités des travailleurs en premières lignes. Loin de la recherche de profit, c’est une véritable mise en commun de toutes les capacités de recherche à l’internationale avec l’objectif de garantir la santé des populations qu’il faut mettre en œuvre au plus tôt et ceux en toutes indépendances des gouvernements et des institutions qui les accompagnent, qui ne cessent de démontrer leur attitude criminelle dans cette crise mondiale.


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