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Un nouveau front

Covid-19 et approvisionnement. Risque-t-on la pénurie d’aliments ?

Le confinement massif de la population mondial est déjà en train d’affecter la production agricole. La pénurie d’aliments est une perspective qui menace déjà les pays les plus pauvres mais aussi les nations plus riches.

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Dans un entretien on demandait à Maximo Torero Cullen, économiste en chef à la FAO (Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture), si, comme conséquence des mesures de lutte contre la pandémie de Covid-19, il y avait un risque de manquer de nourriture. Il a affirmé que « la réponse la plus courte serait oui et non. Ce risque existe mais il est possible, de diverses manières, de réduire cette probabilité et, le plus tôt nous agissons, le plus facile il sera d’éviter une exacerbation de la crise sanitaire mondiale. Pour le moment, les rayons des supermarchés sont toujours bien fournis mais nous pouvons déjà voir que des pressions, dues aux mesures de confinement, commencent à avoir un impact sur les chaînes d’approvisionnement, avec par exemple le ralentissement de l’industrie du transport ». Dans un communiqué commun de l’OMS, de la FAO et de l’OMC on met aussi en garde sur le fait que « les incertitudes liées à la disponibilité de nourriture [puissent] déclencher une vague de restrictions à l’exportation, provoquant une pénurie sur le marché mondial ».

Les avertissements de la part de ces organisations internationales multilatérales, qui n’ont pas pour habitude d’adopter un langage « catastrophiste », sont à prendre très au sérieux, notamment si l’on considère que depuis le début de la crise de Covid-19 les gouvernements ont toujours eu un temps de retard par rapport aux recommandations de l’OMS. Il est inévitable en effet qu’avec la moitié de la population mondiale confinée, énormément d’entreprises à l’arrêt et les mouvements des personnes fortement limités, la production mondiale soit affectée durement. Et cela sera le cas notamment de l’industrie agroalimentaire, ce qui pourrait avoir des conséquences désastreuses à court et à moyen terme.

En effet, les organisations internationales commencent à craindre que le nombre déjà très important de victimes du Covid-19 soit aggravé par des décès liés au manque d’aliments notamment dans les pays les plus vulnérables, mais aussi dans les pays impérialistes. Ainsi, dans un article récent le directeur général de la FAO, QU Dongyu, explique que « l’incertitude quant à la disponibilité des denrées alimentaires peut inciter les décideurs politiques à mettre en œuvre des mesures de restriction des exportations afin de préserver la sécurité alimentaire nationale (...) En 2007-2008, ces mesures se sont avérées extrêmement préjudiciables, en particulier pour les pays à faible revenu et à déficit alimentaire et pour les efforts des organisations humanitaires visant à approvisionner les personnes nécessiteuses et vulnérables (...) Les conséquences sanitaires de la pandémie de Covid-19 sur certains des pays les plus pauvres sont encore inconnues. Pourtant, nous pouvons affirmer avec certitude que toute crise alimentaire résultant de mauvaises décisions des politiques sera une catastrophe humanitaire que nous pouvons encore éviter ».

Tous ces avertissements sont en train de signaler que les chaines d’approvisionnement alimentaires sont sous une forte pression et qu’il y a un risque de disruption important, avec des conséquences terribles pour l’ensemble de la population planétaire. Mais il y a également une autre mise en garde : la réponse face à ce risque doit être coordonnée au niveau global, toute réponse exclusivement nationale pourrait au contraire aggraver la crise. Les entraves aux exportations et importations d’aliments pourraient provoquer des pénuries mais aussi une hausse vertigineuse de prix, ce qui affectera principalement les pays qui dépendent de l’importation des denrées alimentaires.

Cette remarque est d’autant plus importante que dans cette crise sanitaire, à la différence de la crise économique de 2008, nous voyons beaucoup plus de divisions parmi les principales puissances mondiales. Dans ce contexte, les décisions unilatérales deviennent la norme et elles pourraient mener le monde au désastre.

Mais les entraves aux importations et exportations de produits n’est pas le seul risque. La pénurie d’aliments et la hausse des prix pourraient être également la conséquence du manque de denrées alimentaires. En effet, les récoltes de produits frais commencent déjà à être touchées à cause du manque de main d’œuvre. C’est le cas notamment de l’Europe dont les mouvements transfrontaliers ont été limités très fortement rendant quasiment impossible pour les travailleurs saisonniers de se déplacer.

L’agriculture des pays centraux européens est effectivement très dépendante de la main d’œuvre étrangère venue d’Europe de l’Est mais aussi du nord de l’Afrique. Ainsi, en Italie chaque année 370 000 travailleurs saisonniers étrangers s’y rendent pour les récoltes ; en France, deux tiers des 800 000 salariés nécessaires pour la saison de la récolte viennent de l’étranger ; en Allemagne où l’on a interdit l’entrée des travailleurs saisonniers venus d’Europe de l’Est, le ministre de l’agriculture estime qu’il manque 300 000 bras pour la récolte des asperges. La situation est semblable en Espagne, en Belgique et en Grande-Bretagne.

Mais les mesures de restriction de voyages ne sont pas la seule raison qui explique le manque de main d’œuvre dans les fermes en Europe occidentale. Les travailleurs saisonniers eux-mêmes refusent souvent de se rendre dans des pays comme l’Italie ou l’Espagne, très durement touchées par l’épidémie de Covid-19, craignant d’être contaminés à leur tour.

C’est en ce sens que certains envisagent d’autres solutions pour répondre au manque de main d’œuvre rurale. En Italie par exemple des associations d’agriculteurs et l’ONG Oxfam proposent que l’on régularise les demandeurs d’asile dont la demande a été refusée afin qu’ils aillent travailler dans les champs. En France aussi, on a eu cette même « idée originale » d’embaucher les réfugiés pour remplacer la main d’œuvre immigrée et précaire. Une autre alternative évoquée est celle d’inciter les chômeurs d’aller travailler dans les récoltes. Mais, comme on peut le lire dans le Financial Times, « de nombreux travailleurs des pays riches ne sont pas habitués à un travail physique pénible, souvent effectué pour le salaire minimum ou à la pièce ». Autrement dit, les conditions de surexploitation dans ce secteur sont intolérables pour beaucoup de travailleurs, y compris pour ceux et celles qui sont parmi les plus précaires et en quelque sorte « habitués » à la pénibilité (contrairement à ce que dit le Financial Times).

Les récoltes des produits frais européens, qui doivent commencer dans les semaines qui viennent, risquent ainsi d’être très affectées, des tonnes d’aliments pourraient être perdues. Cela aura des conséquences financières pour les agriculteurs mais aussi des conséquences pour les semences de l’année suivante, en Europe et dans d’autres régions du monde. La baisse de la demande de certains produits, le gaspillage d’autres, l’endettement des producteurs, le plus difficile accès à des fertilisants, à des machines, entre autres, aura éventuellement un effet sur la production d’aliments pour les mois à venir.

A la suite de la crise économique de 2008-2009, les prix de certains produits de base avaient flambé et cette pénurie d’aliments avait déclenché ce que certains ont appelé des « émeutes de la faim », les populations des pays les plus pauvres s’attaquant aux gouvernements et aux marchands qui les affamaient. La crise du Covid-19 est en train de provoquer un grand mécontentement non seulement dans les pays de la périphérie capitaliste mais aussi dans les pays les plus riches où des systèmes de santé détruits par des années de néolibéralisme sont totalement vulnérables face à une telle urgence sanitaire. L’augmentation des prix des denrées alimentaires, voire une pénurie de certains produits, pourrait devenir une nouvelle source de mécontentement populaire et déclencher des révoltes dans plusieurs pays du monde. Et cela aussi bien dans la périphérie que dans les pays impérialistes où des secteurs entiers de la classe ouvrière sont en train d’être durement frappés par la crise sanitaire mais aussi par la crise économique, le chômage, la précarité. Sans aucun doute, les mises en garde des organisations internationales ne répondent pas seulement à la catastrophe humanitaire d’une éventuelle pénurie d’aliments mais aussi au risque pour les classes dominantes d’une vague de « révoltes de la faim ».

Les travailleurs doivent se battre pour mettre en place des commissions de contrôle de prix aux côtés des consommateurs et imposer l’interdiction d’augmentation des prix des produits élémentaires pour la survie au milieu des mesures de confinement. L’arrêt de la production non essentielle est fondamental également pour protéger la santé des salariés mais aussi pour réorganiser la production de façon à répondre aux besoins qu’impose la situation. Face aux catastrophes que les capitalistes préparent les travailleurs et les classes populaires ne peuvent pas rester passifs.


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