×

NUPES

« Campings gratuits » pour des jobs d’été : la réponse pro-patronale de Ruffin à la précarité des jeunes

Pour répondre à la pénurie de recrutement dans l’hôtellerie restauration et à la précarité des jeunes, François Ruffin propose de « payer des campings » aux jeunes pour des jobs de saisonniers l’été. Une proposition pro-patronale qui rappelle les préconisations du Medef en matière d’emploi.

Antoine Weil

1er juin 2023

Facebook Twitter
Audio
« Campings gratuits » pour des jobs d'été : la réponse pro-patronale de Ruffin à la précarité des jeunes

Crédit photo : France Info (capture d’écran)

Depuis plusieurs mois, le problème des métiers en tension agite la bourgeoisie et le gouvernement. Ces jobs précaires, mal payés, exercés dans des conditions de travail difficiles qui ne trouvent pas preneur, notamment dans la restauration, sont au cœur de leur discours sur le travail. Ce jeudi, un intervenant inattendu est venu apporter sa solution pour répondre à ce problème qui tracasse le patronat, en la personne de François Ruffin, député Insoumis de la Somme.

Sur France Info ce matin, ce dernier a en effet proposé que l’État paye le logement de jeunes avec des « campings gratuits » pour qu’ils puissent travailler comme saisonniers dans l’hôtellerie et la restauration dans les régions touristiques.

Pour résoudre la crise du secteur, François Ruffin ne manque pas de créativité. Le « Plan Océane » qu’il appelle de ses vœux propose de loger les jeunes au plus près de leur lieu de travail pour faciliter leur exploitation pour des emplois particulièrement pénibles, aux frais de l’État. Il finit par appeler à un « engagement des hôteliers » pour augmenter en échange la rémunération de leurs saisonniers, avec des jeunes qui seraient désormais payés 2000 euros par mois.

Face à la précarité et à la dépression dans la jeunesse, Ruffin recommande le travail saisonnier

Pour le député de la Somme, à qui l’on prête des ambitions présidentielles et que Jean-Luc Mélenchon a jugé « prêt » pour être candidat de la gauche il y a peu, cette solution, présentée comme pleine de bon sens, aurait une autre vertu : elle permettrait aux jeunes précaires d’accéder à des emplois (mal payés et pénibles) tout en partant en vacances pour qu’ils puissent soigner leur dépression. Il fallait vraiment y penser !

Sur le plateau de France Info, Ruffin commence par faire part de la précarité de la jeunesse et des étudiants « je rencontre des tas de jeunes, des étudiants qui me disent “on nous propose rien, on cherche des tas de jobs chez McDo, dans l’intérim, chez Carrefour, on a rien“ […] ils ne trouvent pas d’emplois ! » et propose ensuite de les envoyer l’été pour bosser sur les campings « pourtant sur la côte il paraît qu’il y en a des emplois […]. Donc je réunis les syndicats hôteliers et étudiants et je paye des bouts de camping sur la côte, les étudiants feront serveurs dans les campings ».

Il enchaîne ensuite au sujet du mal-être qui s’exprime dans la jeunesse face à l’absence de perspectives d’un système capitaliste qui exploite et détruit la planète : « l’autre problème c’est la dépression dans la jeunesse, qui a doublée, de 10 à 20% des jeunes ». Face au problème de santé mentale dans la jeunesse, qui a explosé suite à la pandémie, et se nourrit de la précarité étudiante et de la sélection à l’université, François Ruffin a donc trouvé la solution : à la fin d’une journée de stress et de fatigue des services dans la restauration, à enchainer les commandes sous la pression, les étudiants auront un « petit endroit où ils pourront jouer à la guitare tard le soir et avoir des amourettes » au camping.

Les macronistes aiment dire qu’il n’y pas de pénibilité au travail, mais qu’au contraire il émancipe. Ruffin fait mieux : pour lui, le travail saisonnier permettrait de répondre à la précarité étudiante et de soigner la dépression !

Une déclaration totalement hors-sol quand on connait la réalité du secteur, qui est fui par ses salariés, avec 237 000 d’entre eux qui ont quitté les métiers de l’hébergement-restauration entre février 2020 et février 2021 selon la Dares sans être renfloué depuis, à cause de conditions de travail insupportables.

Ruffin veut réconcilier la gauche avec le travail et finit par défendre le programme du Medef

Si cette déclaration de François Ruffin choque à gauche et sur les réseaux sociaux, il ne s’agit pas d’un exemple isolé, mais traduit le tournant politique qu’est en train d’opérer le député de la Somme. En effet, dans son interview à France Info il se dit soucieux de répondre à la fois aux « besoins des hôteliers avec le besoin des étudiants ».

Ruffin veut donc réconcilier le besoin des patrons d’exploiter le moins cher possible et dans n’importe quelle conditions, et celui des jeunes de vivre et d’étudier sans emplois précaires. Une logique totalement pro-patronale et néolibérale, que prétend pourtant pourfendre le député, et qui rappelle les discours du Medef en défense de la « mobilité du travail » comme solution au chômage et à la précarité.

En effet la solution proposée par Ruffin ressemble directement à ce que défend le patronat du secteur de l’hôtellerie restauration qui « mise tout sur le logement pour attirer des saisonniers » ou encore le président du Medef Paris, Charles Znaty, qui préconisait de substituer les logements sociaux à « une offre de location de faveur des saisonniers, des intérimaires et de personnels de l’hôtellerie-restauration » pour répondre à la crise de recrutement du secteur.

Ce discours qui peut surprendre de la part de François Ruffin répond à la volonté de ce dernier d’apparaitre toujours plus modéré, ce qu’il exprimait déjà en novembre dernier, déclarant « je suis social-démocrate ». A cette occasion, il estimait qu’il fallait se concentrer sur la défense de la « valeur travail », quitte à abandonner certaines revendications historiques du mouvement ouvrier : « Nous n’aurons pas à la fois la semaine de 32 heures, la retraite à 60 ans, une sixième semaine de congés payés, un congé parental plus long... Et la gauche ne doit pas se battre que sur le temps de travail » avait-il clamé.

Une logique de défense du travail qui le conduit dans les faits à prôner la conciliation entre patrons et travailleurs, et à encourager l’embauche d’étudiants dans des emplois difficiles et précaires, mais également à refuser de se prononcer sur les questions « sociétales ».

Interrogé dans la même interview ce matin sur la défaite de la gauche en Espagne, qui s’expliquerait selon le journaliste de France Info par des propositions de lois « clivantes » sur le droit des personnes trans, François Ruffin a estimé qu’il ne fallait pas mettre ces sujets au premier plan, mais au contraire prôner l’« apaisement et la stabilité » car « on devra pas faire tout ce qui nous pousse par la tête », si la Nupes arrive au pouvoir. Pour ne pas s’attirer la colère de la droite et des réactionnaires, Ruffin est décidément prêt à multiplier les concessions.

Pourtant, à l’heure où Macron, pour sortir de la crise des retraites, attaque les migrants, promeut la défense des « classes moyennes » et mène une offensive néolibérale sur la travail avec la réforme du RSA et de l’enseignement professionnel pour diviser les travailleurs, le projet de « défense du travail » de François Ruffin apparait plus que jamais comme une impasse.

A l’inverse, il y a urgence à défendre un programme qui prenne véritablement le problème de la précarité et de l’emploi de la jeunesse à la racine. Un programme qui défende résolument le partage du temps de travail entre toutes et tous, l’augmentation des salaires et leur indexation sur l’inflation et la mise en place dans un revenu étudiant financé par un impôt fortement progressif sur les grandes fortunes.


Facebook Twitter
Anasse Kazib convoqué par la police : « une procédure politique contre des dizaines de soutiens de Gaza »

Anasse Kazib convoqué par la police : « une procédure politique contre des dizaines de soutiens de Gaza »

Un an de prison avec sursis pour avoir soutenu la Palestine : exigeons la relaxe pour Jean-Paul Delescaut !

Un an de prison avec sursis pour avoir soutenu la Palestine : exigeons la relaxe pour Jean-Paul Delescaut !

Conférence de LFI interdite par l'Etat : une censure politique en pleine campagne des européennes

Conférence de LFI interdite par l’Etat : une censure politique en pleine campagne des européennes

Jeux Olympiques : le budget explose pendant que le gouvernement prépare l'austérité

Jeux Olympiques : le budget explose pendant que le gouvernement prépare l’austérité

TIG pour les parents, comparution immédiate : le nouveau projet d'Attal pour mettre au pas la jeunesse

TIG pour les parents, comparution immédiate : le nouveau projet d’Attal pour mettre au pas la jeunesse

Salariés réservistes de l'armée : Lecornu appelle au « patriotisme du capitalisme français »

Salariés réservistes de l’armée : Lecornu appelle au « patriotisme du capitalisme français »

Répression coloniale. A Pointe-à-Pitre, Darmanin instaure un couvre-feu pour les mineurs

Répression coloniale. A Pointe-à-Pitre, Darmanin instaure un couvre-feu pour les mineurs

100 jours d'Attal : la dette et les européennes réactivent le spectre de la crise politique

100 jours d’Attal : la dette et les européennes réactivent le spectre de la crise politique