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Burkina Faso. L’armée française encore une fois « congédiée » d’un pays africain

Le gouvernement français envisageait déjà une réduction de sa présence militaire au Burkina Faso, voire un retrait total, mais pas de cette façon. Nouvelle débâcle pour l’impérialisme français, confronté à un rejet toujours plus fort des populations qu’il prétend défendre.

Philippe Alcoy

25 janvier 2023

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Mardi 24 janvier, la junte burkinabè au pouvoir, depuis le Coup d’État de septembre 2022, a dénoncé l’accord de coopération militaire qui liait le Burkina Faso à la France, laissant ainsi un mois à la France pour évacuer ses troupes. Les forces spéciales de l’opération Sabre, installées à l’époque du pantin de l’impérialisme Blaise Compaoré, vont devoir plier bagage.

Depuis quelques semaines on parlait de la possibilité d’un départ français ou d’un ajustement de sa présence dans le pays. Or, le fait que ce soit le gouvernement burkinabè qui prenne les devants et dénonce l’accord militaire entre les deux pays obligeant les forces françaises à quitter le Burkina Faso d’ici un mois apparaît comme une « humiliation » pour Paris. Et cela d’autant plus que cette demande se produit dans un contexte d’une hostilité grandissante à l’égard de la France d’une grande partie de la population locale.

En 2017 Emmanuel Macron avait choisi le Burkina Faso pour faire le discours traditionnel des présidents français en Afrique de l’Ouest. Cet exercice de mépris et d’arrogance impérialiste n’est pas anodin, c’est une façon d’entretenir et d’exhiber la puissance française dans la région et en même temps de « conquérir quelques cœurs » parmi les élites locales. Un peu plus de cinq ans plus tard la situation entre Paris et Ouagadougou est totalement différente. Et même si les deux coups d’Etat qui ont eu lieu dans le pays en 2022 avaient conduit à des relations tendues entre les deux pays, la demande officielle du retrait des forces spéciales françaises de l’opération Sabre marque un saut dans la dégradation de ces relations.

Tout cela fait penser à la situation au Mali et la crise/échec de l’opération Barkhane. En effet, bien que l’on ne puisse pas affirmer qu’il y a une coordination entre les juntes maliennes et burkinabè, on ne peut pas comprendre la crise que cette situation représente pour l’impérialisme français sans le désastre de Barkhane. Comme l’explique Niagalé Bagayoko, présidente de l’African Security Sector Network, concernant le précédent malien et la situation actuelle au Burkina : « je ne pense pas qu’il y ait de lien direct ou de concertations entre les autorités des deux pays. Ce qui est certain, c’est que la popularité suscitée dans les opinions publiques par la posture d’intransigeance adoptée par les autorités militaires maliennes vis-à-vis de la France a fait des émules ».

En effet, même si l’impérialisme français a connu des reculs importants d’un point de vue militaire dans la région, là où les dégâts semblent les plus graves c’est auprès de la population locale, notamment parmi les secteurs populaires. En effet, depuis le lancement de la « guerre contre le terrorisme » à la française au Sahel en 2013, la situation sécuritaire des pays de l’Afrique de l’Ouest, à commencer par le Mali, le Burkina Faso et le Niger, n’a fait que se dégrader. Pour beaucoup d’habitants dans ces régions l’intervention française est la principale responsable. La France, qui était plus que plébiscitée au début de ces opérations, a échoué dans son objectif déclaré de mettre fin aux mouvements armés islamistes au Sahel. Et cet échec a fait revivre d’anciennes plaies coloniales et impérialistes au sein de la population locale. A cette situation sécuritaire détériorée il faudrait ajouter une conjoncture économique désastreuse à la suite des conséquences de la pandémie du Covid-19 et de la guerre en Ukraine. Tout cela rend la présence française encore plus insupportable.

Au Burkina le sentiment « antifrançais » (qui est une forme d’anti-impérialisme confus parmi de larges couches de la population), s’alimente d’une histoire récente et non seulement de la période coloniale. Comme nous pouvons le lire dans un édito du Monde, inquiet de la perte de vitesse de la France dans la région, « les Burkinabés n’oublient pas le rôle trouble de Paris dans l’assassinat, en 1987, de Thomas Sankara, jeune président révolutionnaire, ni le soutien sans faille de la France à Blaise Compaoré, complice de ce crime, qui occupa le pouvoir pendant vingt-sept ans ».

Cependant, le départ des forces françaises du Burkina Faso ne signifie pas une rupture sur tous les plans entre les deux pays (ni même une rupture totale et irréversible sur le plan militaire). Cela a été dit explicitement par le ministre burkinabè de la Communication, porte-parole du gouvernement, Jean-Emmanuel Ouédraogo lors de son annonce officielle : « il ne s’agit pas de fin des relations diplomatiques entre la France et le Burkina Faso ; cette dénonciation concerne l’accord de coopération militaire. A notre avis, il n’y a pas autre chose qui devrait changer ». En effet, les critiques des militaires africains de cette région à l’égard de la France se sont largement focalisées sur les questions sécuritaires. Les classes dominantes locales n’entendent nullement mener une lutte de libération nationale vis-à-vis des puissances impérialistes, à commencer par la France. Elles font cependant de la démagogie face à une population qui, elle, se montre de plus en plus hostile sur tous les aspects à l’impérialisme français, malgré beaucoup de confusions.

Parmi ces « confusions » on retrouve un certain sentiment favorable à la Russie, perçue par beaucoup comme un « partenaire » face aux impérialistes occidentaux. C’est une vision fausse bien évidemment de la Russie. Le régime de Poutine non seulement n’a pas la capacité de contribuer à la libération des peuples africains, mais il n’a non plus l’intention de le faire. L’action du gouvernement russe en Afrique vise principalement à enrichir ses capitalistes et à renforcer des liens internationaux qui lui permettent de peser face à son opposition vis-à-vis des puissances occidentales. Mais l’influence russe est possible justement grâce à l’histoire de spoliation, d’arrogance et de crimes des impérialistes occidentaux, à commencer par la France.

Dans ce contexte, beaucoup de dirigeants politiques et de journalistes exagèrent l’influence et la puissance russe en Afrique pour tenter d’expliquer les reculs de l’impérialisme français. C’est une façon de présenter une « explication » simpliste et pratique, spécialement pour l’opinion publique française. Sur ce point nous pouvons citer à nouveau Niagalé Bagayoko, pour qui « il est évident que la Russie cherche à étendre son influence en Afrique de l’Ouest et au Sahel, mais de là à considérer qu’elle manipule les autorités du Burkina Faso : c’est excessif. Mais la Russie apparaît comme un allié très probable à l’avenir. Pour moi, on est dans une phase où un nombre croissant d’État africains refusent de se limiter à un tête-à-tête avec leurs alliés traditionnels, à commencer par la France et donc élargissent leurs partenariats, notamment vers des pays qui n’appartiennent pas au bloc occidental ».

Ainsi, les autorités burkinabè cherchent non seulement à se lier à la Russie mais aussi à la Turquie, à la Chine, à l’Iran mais aussi à Israël, aux États-Unis et à d’autres puissances occidentales. Comme on peut le voir, la politique de la junte au pouvoir n’a rien d’anti-impérialiste. Les travailleurs et les classes populaires burkinabè ne peuvent et ne devraient avoir aucune illusion à l’égard de ce gouvernement militaire. Il représente en fin de comptes les intérêts de l’ensemble des capitalistes locaux et la soumission aux puissances étrangères. Et cela malgré les luttes et oppositions à l’intérieur des classes dominantes. Ces classes dominantes nationales sont elles aussi responsables de la situation sécuritaire détériorée. Elles ont appuyé et appuient toujours une stratégie guerrière face aux révoltes islamistes dans la région. Or, il est impossible de mettre fin à l’influence et à la progression de forces islamistes réactionnaires sans une politique sociale et économique favorable aux classes exploitées et aux opprimés du pays. Cela impliquerait évidemment de remettre en cause, réellement, les intérêts des impérialistes au Burkina Faso et dans la région, mais aussi des bourgeois locaux et leurs alliés.

Il est difficile de dire comment va évoluer précisément la situation au Burkina. Il est possible même que la situation sécuritaire se détériore. Or, contrairement aux analystes bourgeois, nous ne considérons pas que la France constitue une « garantie » pour les populations locales et les travailleurs face à l’avancée des forces réactionnaires islamistes dans la région. Au contraire, la présence militaire française s’est non seulement montée impuissante face aux groupes armées djihadistes, mais elle a contribué à la militarisation de l’ensemble de la région et donc à renforcer les ennemis du prolétariat.


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