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Brexit. Un accord finalement trouvé mais d’autres crises restent à venir 

Après le vote des britanniques en faveur de la sortie de l’Union Européenne, suivi par quatre ans de négociations entre les deux parties avec comme toile de fond, la crainte d’un « no deal », un accord a finalement été trouvé in extremis. Alors que les enjeux économiques se sont situés au cœur du débat, les classes populaires sont elles reléguées au dernier rang des préoccupations des deux puissances.

Margot Vallère

28 décembre 2020

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Quelques heures à peine avant Noël, mais surtout une semaine avant la fin de la période de transition du Brexit, un accord historique a été conclu sur les futures relations commerciales et de sécurité du Royaume-Uni avec l’Union européenne. Cet accord a suscité un cri de soulagement à Downing Street ainsi que la fierté de Boris Johnson, qui n’a pas hésité à s’en féliciter publiquement. Après un énième délai, l’accord de libre-échange a finalement été trouvé après seulement un an de négociations, ce qui s’avère être extrêmement peu pour un texte d’une telle envergure. En effet, le traité compte près de 1500 pages et de nombreux détails vont émerger dans les prochaines semaines, menant à des amendements. 

Si l’objectif de l’accord signé hier était d’éviter un Brexit brutal à l’impact catastrophique sur les économies déjà mises à mal par le coronavirus, Bruxelles et Londres se sont réunis en urgence dans la nuit du 23 au 24 décembre pour finaliser cet accord, quelques jours seulement avant la date buttoir du 31 décembre, décidée dix mois plus tôt. 

Le Premier ministre Boris Johnson, qui a présenté l’accord aux britanniques comme un « cadeau de noël », a déclaré lors d’une conférence de presse que ce dernier, conclu après des mois de négociations tortueuses, sera "bon pour toute l’Europe". Il a également annoncé que le Royaume-Uni restera "un ami", "un allié" et le "premier marché" de l’UE malgré la sortie de l’UE. De l’autre côté de la Manche, la présidente de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen, a déclaré lors d’une conférence de presse à Bruxelles que le pacte commercial post-Brexit est "bon, équilibré et équitable" pour les deux parties. Dans l’impasse diplomatique et à moins d’une semaine d’un « no deal » tant redouté, il était nécessaire pour les deux parties de faire passer cet accord express pour une victoire pour son propre camp. 

Ces dernières semaines, les négociations étaient focalisées sur la question de la pêche. En effet, l’UE dispose avec le Royaume-Uni d’une politique de pêche commune, qui donne accès à tous les Etats membres, aux Zones Economiques Exclusives (ZEE), dont les eaux britanniques font partie. Très poissonneuses, elles ont constitué un enjeu de négociation particulièrement tendu. Alors que Johnson revendiquait le renoncement de 80% de la valeur de la pêche européenne dans ses eaux, un taux inacceptable pour les européens, il a finalement été conclu que l’Europe renoncerait 25% de sa valeur de pêche avec une période de transition de cinq ans et demi. Bien qu’il s’agisse d’un échec relatif pour le Royaume-Uni, Boris Johnson s’est largement félicité d’avoir « reconquis » la souveraineté du Royaume-Uni : « Pour la première fois depuis 1973, nous sommes une nation maritime indépendante ». 

Or il s’agit d’un argument nationaliste classique qui consiste à dire que les nations perdent de leur souveraineté en entrant dans l’espace européen et qui la reconquièrent en en sortant. De plus, le Royaume-Uni est une puissance impérialiste qui dispose d’un vaste domaine maritime et occupe la huitième place du classement des plus grandes ZEE mondiales. Le Royaume-Uni n’a de fait, pas eu besoin de sortir de l’UE pour redevenir « une puissance maritime indépendante ». 

Alors que les pêcheurs britanniques, qui subissaient les quotas fixés par l’UE, avaient massivement voté en faveur du Brexit, les pêcheurs bretons et des Hauts de France qui s’approvisionnent majoritairement dans les eaux britanniques redoutaient la sortie du Royaume-Uni et la possible réduction de leur espace de pêche dans les eaux britanniques. Après d’intenses négociations et le refus initial de Johnson qui jugeait l’offre insuffisante pour son pays, l’accord prévoit à l’égard des pêcheurs européens, une période transitoire de six ans pour renoncer progressivement à 25% de leurs prises. 

Ce nouveau deal est donc synonyme d’une baisse très symbolique des quotas de pêche européens, d’un nouvel encadrement des règles sur la concurrence entre l’UE et le Royaume-Uni qui pourrait donner lieu à des tensions entre les deux parties, comme l’a annoncé Boris Johnson en menaçant l’UE d’imposer des droits de douane sur certains produits si les divergences de normes devenaient trop élevées. En dépit des droits de douanes longuement négociés, ce nouveau deal est également synonyme du retour des douanes (supprimées avec la création du marché unique en 1993) et de la fin de la libre circulation à partir du 1er janvier 2021. Retour aussi du « permis de travail » accordé sous conditions d’un certain salaire, empêchant de fait, les jeunes européens de venir travailler dans les grandes métropoles britanniques. Boris Johnson a également décidé de suspendre le programme Erasmus, forçant tous les étrangers à payer des frais de scolarité exorbitants. 

La petite victoire dont se targue le Premier ministre n’est qu’un cache-misère devant l’incapacité de son gouvernement qui a tenu les britanniques en haleine pendant quatre ans mais surtout devant les conséquences de la crise sanitaire. Cette « année transitoire » a en effet été le théâtre d’une gestion catastrophique de la crise, causant la mort de plus de 70 000 personnes, souffrant de surcroît, d’un système de santé largement mis à mal par des années de politiques néo-libérales. Moqué par l’opposition ainsi que par de nombreux médias britanniques, Boris Johnson a vu sa popularité décliner et espère bien la voir remonter suite à cet accord trouvé à défaut d’un « no deal » imminent. 

Une autre question importante liée à cet accord et pointée par des analystes se réfère à l’unité même de l’Etat britannique. En effet, avec le vote du « leave » les divisions internes du royaume ont fait ressurgir le sentiment national écossais. Alors que l’Ecosse avait voté massivement pour rester dans l’UE, une rupture sans accord aurait pu accélérer le sentiment indépendantiste qui, selon différents sondages, a fortement progressé ces derniers mois. Bien que l’on doive encore voir comment se met en place l’accord et comment vont réagir les différentes classes et fractions de classes en Grande-Bretagne, il ne peut pas être exclu que les revendications indépendantistes continuent à progresser. 

 L’accord conclu permet d’éviter le pire, d’un point de vue des classes dominantes. Cependant, le départ de la Grande-Bretagne de l’UE n’est pas un évènement négligeable pour le continent européen. Et cela d’un point de vue économique comme géopolitique. Comme on peut le lire dans Bloomberg : « de nouveaux prélèvements agricoles pourraient frapper durement l’Irlande, étant donné que 40 % de ses exportations agroalimentaires sont destinées au Royaume-Uni, son principal partenaire commercial. Les droits de douane pourraient coûter à l’Allemagne 8,2 milliards d’euros (10 milliards de dollars) de ses exportations vers le Royaume-Uni, et à la France 3,6 milliards d’euros ». 

Le même journal pointe des conséquences géopolitiques du Brexit dans les termes suivants : « le Brexit redessine la carte de la puissance européenne, en réduisant de moitié le nombre de sièges permanents de l’UE au Conseil de sécurité des Nations unies et en diminuant de 40 % la capacité militaire du bloc. Il supprime 14 % du PIB de l’UE, la rendant plus petite en tant que marché unique, et la prive de plus de 100 milliards de dollars de ressources budgétaires. Dans le même temps, le départ de l’un des membres les moins enthousiastes de l’UE - un pays instinctivement opposé à une union plus profonde - est l’occasion de créer un bloc plus ambitieux et plus affirmé, qui mérite un siège à la table des superpuissances aux côtés des États-Unis et de la Chine ». 

Quoi qu’il en soit cet accord n’exclut aucunement des disputes et des frictions futures entre l’UE et la Grande-Bretagne. Il clôt peut-être ce long « mélodrame » mais les classes populaires et les travailleurs n’ont rien à attendre de positif de cette affaire. La dispute autour du Brexit est purement réactionnaire ; des alternatives capitalistes qui ont au moins un point commun : l’exploitation maximale des travailleurs et travailleuses.


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