Des grèves du textile jusqu’à aujourd’hui

Aux origines du 8 mars

Petra Lou

Aux origines du 8 mars

Petra Lou

De nos jours, on commémore le 8 mars la Journée Internationale pour les Droits des Femmes. Cependant, entre les campagnes publicitaires vantant les promotions pour les soutifs ou les fleurs, nombreux et nombreuses sont celles et ceux qui ignorent l’origine de cette date internationale.

Les origines du 8 mars ont fait couler beaucoup d’encre. Le début d’une journée historique peut rarement être daté avec précision. L’histoire du 8 mars est sillonnée de situations et d’événements marqués par la Première Guerre mondiale, la révolution russe, la lutte pour le vote des femmes, les luttes entre socialistes et suffragettes, et l’essor croissant du syndicalisme féminin au cours des premières décennies du XXe siècle. Elle traversera des changements, même lexicaux, perdant le terme « travailleuse » de son appellation originale qui était apparu intrinsèquement liée à un esprit et une conception syndicalistes.

Le mythe du 8 mars 1857 à New York

En guise d’origine du 8 mars on donne souvent l’exemple de l’action organisée par des femmes ouvrières au XIXe siècle pour revendiquer leurs droits : le 8 mars 1857, jour où les ouvrières du textile de New York se sont mises en grève contre les journées de travail exténuantes de douze heures et leur salaire de misère. Les manifestantes ont alors été réprimées par la police. Mais cette version de l’origine du 8 mars a été remise en cause par Liliane Kandel et Françoise Picq lorsqu’elles ont mené des recherches en 1977 et qu’elles ne trouvèrent aucune trace de cette journée de 1857 dans les journaux et documents historiques de l’époque.

Un demi-siècle plus tard, au mois de mars 1909, 140 jeunes femmes meurent calcinées dans l’usine textile où elles travaillent, enfermées dans des conditions inhumaines. Cette même année, 30 000 ouvrières du textile new-yorkaises entrent en grève, et sont elles aussi réprimées par la police. Elles obtiennent le soutien des étudiant•e•s, des suffragettes, des socialistes et de plusieurs autres secteurs de la société.

La grève pour le Pain et pour les Roses

Quelques années plus tard, en 1912, dans la ville de Lawrence, dans le Massachusetts (États-Unis), se déroule la grève connue sous le nom de « Bread and Roses » (« Du Pain et des Roses »), slogan par lequel les ouvrières du textile synthétisent leurs revendications : des augmentations de salaire (le pain) mais aussi de meilleures conditions de vie (les roses). Pendant cette lutte, des crèches et cantines collectives pour les enfants sont mises en place par le comité de grève pour faciliter la participation des travailleuses au conflit. Mais l’organisation de la grève va encore au-delà : les enfants sont organisés dans des réunions par l’IWW (organisation Industrial Workers of the World) pour leur expliquer les raisons de la grève, et sont envoyés dans d’autres villes, dans des familles solidaires des grévistes. Mais la répression sévit, et la police lance l’assaut sur l’un des trains qui emmène les enfants. Mais cet épisode ne va que renforcer la solidarité avec les grévistes.

Journée de mars en mémoire des femmes travailleuses organisées contre l’exploitation capitaliste

Après cet épisode, au cours de la seconde Conférence Internationale des Femmes Socialistes qui se tient à Copenhague, la délégation allemande dont fait partie la révolutionnaire Clara Zetkin, propose d’établir en mars la Journée Internationale des Femmes, en hommage à toutes celles qui ont pris la tête des premières actions organisées par des femmes travailleuses contre l’exploitation capitaliste. Elle propose une motion concernant la Journée Internationale des Femmes, qui est adoptée à l’unanimité et va entrer dans l’Histoire : « À travers les organisations politiques et syndicales du prolétariat, les femmes socialistes de toutes les nationalités organiseront dans leur pays respectif une journée spéciale des femmes, qui aura pour principal objectif de promouvoir le droit de vote des femmes. Il sera nécessaire de débattre de cette proposition concernant les femmes à partir d’une perspective socialiste. Cette commémoration devra avoir un caractère international et il faudra la préparer avec soin. »

Au cours des années suivantes, la Journée Internationale des Femmes est célébrée dans différents pays, mais à des dates distinctes. Ce n’est qu’en 1914 que les socialistes allemandes, russes et suédoises la fêtent le même jour, le 8 mars. Cette date sera finalement celle qui restera dans l’Histoire comme la Journée Internationale pour les Droits des Femmes, en souvenir du 8 mars 1917. Ce jour-là les ouvrières textiles de Petrograd prennent la rue pour réclamer du « pain, la paix et la liberté », marquant ainsi le début de la plus grande révolution du XXe siècle qui débouche, en octobre 1917, sur la prise du pouvoir par la classe ouvrière.

Les acquis des femmes dans la Révolution russe

Sous le gouvernement provisoire de Kerensky, constitué après la Révolution de février qui mit à bas le régime tsariste, et l’apparition d’un double pouvoir en Russie avec l’émergence des soviets, les femmes russes accédèrent aux droits de vote et d’éligibilité, des droits qui n’ont été obtenus que bien plus tard dans les pays centraux, et étaient légalement reconnues comme les égales des hommes sur le terrain légal et politique.

Mais ce n’est qu’après la prise du pouvoir par les travailleurs et les travailleuses qu’a été établie une législation avant-gardiste, très avancée pour l’époque, en ce qui concerne les droits des femmes. Alexandra Kollontaï, l’une des principales dirigeantes bolchéviques, a joué un rôle prépondérant dans l’élaboration de ces mesures.

Après la révolution, toute la législation, de même que l’État ouvrier en place, était pensée comme transitionnelle, vouée à devenir obsolète à mesure que les bases matérielles auraient réellement permis de remettre en cause la famille, et en particulier la question des tâches ménagères. : elle devait garantir des droits et des libertés inexistants auparavant, ouvrir l’horizon des possibles mais était vouée à disparaître lorsque le socialisme serait effectif. Le divorce par consentement mutuel, le mariage civil remplaçant le mariage religieux, la reconnaissance du concubinage, la reconnaissance des enfants nés hors-mariage, ce qui permettait de demander des aides et que les femmes n’assument pas seules l’éducation ; le mariage n’était plus reconnu comme une communauté de bien (ce qui impliquait que le salaire de la femme n’était plus la propriété du mari…). En parallèle, des mesures pour protéger les femmes sont mises en place : la légalisation de l’avortement rendu gratuit, des aides pour les enfants, des droits pour les femmes enceintes (congés maternité payés, etc.).

Afin de permettre aux femmes de s’émanciper du foyer où elles continuent à assurer les tâches domestiques, des laveries, des crèches et des cantines communes sont ouvertes. Ainsi le travail qui y est effectué est reconnu comme tel et rémunéré, les tâches domestiques sont socialisées (au lieu par exemple d’une « meilleure répartition » de ces tâches au sein du couple, ou de rémunérer les femmes au sein des foyers).

Des droits totalement très avancés sont également promulgués pour les personnes LGBTI : légalisation du mariage pour les couples homosexuels (même si très peu ont été prononcés), droit pour les personnes trans de changer de sexe sur leurs passeports.

Les droits acquis par la révolution remis en cause par le stalinisme

Sous le régime de Staline, toutes ces conquêtes ont été inversées. L’avortement a été interdit lorsque Staline a déclaré en 1936 que « l’avortement qui détruit la vie est inadmissible dans notre pays. La femme soviétique a les mêmes droits que l’homme, mais cela ne l’exempte pas du grand et noble devoir que la nature lui a assigné : elle est mère, elle donne la vie ». La prostitution a également été condamnée et l’homosexualité a été criminalisée. Tout cela, accompagné de la reproduction des stéréotypes traditionnels de la femme en tant que mère dévouée au foyer et à l’intronisation de la famille, par la propagande de l’État.

C’est la racine des énormes préjugés actuels contre le marxisme. Le stalinisme a sali ces grandes idées et, dans la pratique, a signifié une véritable rupture avec la stratégie émancipatrice du marxisme. Rien n’est plus éloigné de la pensée révolutionnaire qui, depuis l’époque de Marx et Engels, a posé les véritables origines et fonctions de la famille, dénonçant l’oppression des femmes et proposant son abolition en même temps que la propriété privée.

Les opposants à Staline ont défendu le marxisme contre pratiques réactionnaires qui ont trahi la révolution bolchevique. C’est pourquoi il a massacré, emprisonné et persécuté des centaines de milliers de ses opposants.

Institutionnalisation du 8 mars dans la deuxième moitié du XXème siècle

Régulièrement célébrée après la Seconde Guerre mondiale, la Journée internationale de la femme, le 8 mars, va se transformer sous la pression de la guerre froide. D’abord, c’était la « Journée des femmes pour les droits des femmes », qui est devenue plus tard la « Journée des mères pour la paix ».

En 1975, coïncidant avec l’Année internationale de la femme, les Nations unies ont célébré pour la première fois la Journée internationale de la femme le 8 mars.

Des utopies à la démobilisation du changement

Dans les années 1980 et 1990, les théories du genre, mieux connues sous le nom d’études de genre, ont fait irruption dans tous les pays. Au cours de ces années, le mouvement féministe s’est académisé et institutionnalisé, et le temps est venu de mettre en place des politiques sociales d’équité entre les sexes, des rencontres et des projets de femmes financés par l’ONU et des programmes de microcrédit de la Banque mondiale pour les femmes pauvres, des programmes officiels qui coexistent avec les diverses initiatives des groupes de femmes qui luttent pour l’autonomie.

Si la solidarité des femmes entre elles, la conscience de leur oppression commune, sont des aspects qui constituent la force du mouvement, les autres sont certainement l’orientation politique, leur capacité à mener des combats qui s’attaquent aux fondements mêmes de l’oppression et lient leur lutte à celle de l’ensemble des classes dépossédées. Une partie du mouvement féministe ne traite pas de ces questions et utilise une nouvelle terminologie, c’est pourquoi le projet politique est appelé « agenda ». Au lieu de parler des divergences politiques fondamentales au sein du mouvement féministe et de les confronter dans une discussion stratégique, nous parlons « d’unité dans la diversité » dans une tentative d’effacer les différences de classe chez les femmes. La nouvelle terminologie est vide de contenu politique et devient démobilisante. Les mouvements de femmes ont abandonné la lutte dans les rues et le 8 mars a été commémoré lors de manifestations officielles.

Revendiquer cette tradition historique du 8 mars de lutte des femmes travailleuses

Quelle est la valeur du 8 mars aujourd’hui ? Entre mythes et réalités, les mouvements de femmes reconnaissent l’utilité de cette célébration dans le monde entier comme une journée de lutte pour les femmes pour leurs revendications et leur libération. Lorsqu’il y a une forte mobilisation des femmes, la société prend conscience de certains problèmes. Les années de lutte montrent que la persévérance porte ses fruits. Mais sans mobilisation, sans un mouvement de femmes fort et visible, nos revendications retombent sur la liste des priorités et les quelques acquis sont remis en cause ou réduits. Afin de résister à une régression de la situation et d’améliorer l’état des choses, les femmes doivent maintenir leur engagement avec espoir et détermination.

Les femmes socialistes féministes de Pain et Roses défendent cette tradition. Les débats sont multiples et refuser de les actualiser de façon créative à la lumière de la réalité actuelle serait d’un dogmatisme réductionniste, contraire aux idées libératrices des grandes femmes marxistes. Mais nier ces grandes expériences, comme celle de la Révolution russe et de ses acquis, serait nous condamner à repartir de zéro.

Du Pain et Des Roses est un collectif internationaliste qui existe dans de plusieurs pays, sous le nom de Brot and Rosen - Il Pane e le Rose - Pan y Rosas - Pão e Rosas, emprunté à la grève de 1912 Bread and Roses. C’est un féminisme issu de la tradition marxiste qui propose la construction d’un collectif féministe socialiste révolutionnaire né en France au cours de l’irruption des Gilets Jaunes, mouvement où les femmes ont eu un rôle prépondérant.

Aujourd’hui le 8 mars s’ancre dans un contexte de retour de la lutte des classes, en France et dans le monde. Depuis la crise de 2008, les attaques par des plans d’austérité comme celui d’ajustement du FMI touchent en première ligne les femmes. Après une séquence de grève historique en France cet hiver, le 8 mars doit être une date pour préparer le second round contre Macron et son monde, et ce sont les femmes, travailleuses et étudiantes qui seront aux avant-postes.

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