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Répression

"Attaque" de Champigny : La France Insoumise met-elle le doigt dans l’engrenage sécuritaire ?

Le gouvernement, les médias et une importante partie de la classe politique se sont bousculés dans une surenchère d’indignation pour dénoncer une "attaque" aux feux d’artifices contre un commissariat de Champigny-sur-Marne. A gauche, le député LFI Ugo Bernalicis n’a pas hésité à parler de « guerre civile ».

Gabriel Ichen

13 octobre 2020

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Crédits photos : Compte Twitter du député LFI Ugo Bernalicis

Une "attaque" montée en épingle sur fond de climat sécuritaire

Depuis plusieurs mois, le gouvernement cherche à imposer les thèmes sécuritaires à l’agenda médiatique et politique sur fond d’offensives racistes et islamophobes. Le récent cheval de bataille du gouvernement est ainsi la lutte contre les « séparatismes » et « l’ensauvagement de la société » qui prend la forme d’un projet de loi mené par le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin et sa déléguée Marlène Schiappa. Des thèmes chers à l’extrême-droite donc. Récemment, Marine Le Pen a d’ailleurs loué les « intuitions » d’Emmanuel Macron autour de ces sujets, en attendant qu’elles se concrétisent.

Dans ce contexte, le gouvernement et ses représentants ont décidé d’opter pour une stratégie médiatique consistant à instrumentaliser n’importe quel fait divers, même les plus anecdotiques, pouvant servir de justification à leur offensive sécuritaire et islamophobe. Le dernier en date a été l’"attaque" aux feux d’artifices du commissariat de Champigny-sur-Marne. Dans la nuit du samedi 10 au dimanche 11 octobre, une dizaine de personne ont envoyé des feux d’artifices contre la façade du commissariat. Le bilan de cette "attaque" : aucun blessé, la porte du commissariat et quelques véhicules de police dégradés et aucune personne interpellée.

Pourtant le gouvernement, les médias mainstream et des représentants politiques se sont saisis de cet évènement mineur et ont tenté d’en faire une affaire en réagissant en disproportion complète avec la réalité de l"’attaque" et jouant une fois de plus la surenchère sécuritaire.

Pour une porte d’entrée et quelques véhicules endommagés, Gérald Darmanin s’est rendu rapidement sur place, et a joué les gros bras. Pour le ministre, ce fait divers serait le signe « d’une guerre de territoire sur le sol de la République ». Dans un tweet il a même fait un lien complètement imaginé entre cette "attaque" et le trafic de drogue en disant que « Les petits caïds n’impressionnent personne et ne décourageront pas notre travail contre les stupéfiants ». Hier, le premier ministre Jean Castex s’est même emparé du fait divers pour jouer la chanson sécuritaire en disant que « dans ce qui se passe à Champigny ou ailleurs, il y a le fait qu’on dérange tous ces trafics, par les moyens que nous employons. Cela ne leur plaît pas, ils réagissent, mais ils auront affaire à nous, on ne se laissera pas faire ».

Une réaction de révolte à une énième violence policière

Mais, en réalité, il est probable que cet événement soit lié à un autre événement survenu quelques jours plus tôt et qui a pu faire exploser la colère des habitants de Champigny-sur-Marne. En effet, comme le rapporte la journaliste Sihame Assbague sur son compte Twitter, un jeune homme de 22 ans, surnommé Abou, habitant du quartier de Champigny a été gravement blessé probablement lors d’une intervention de la police. Alors qu’il circulait à moto, une voiture de police l’aurait pris en chasse sur plusieurs mètres puis tamponné ce qui lui aurait brisé le fémur. Après avoir été emmené 40 minutes au commissariat Abou sera conduit à l’hôpital, il sortira quelques jours plus tard en fauteuil roulant et ne pourra plus le quitter pendant 7 semaines. Pour lui les évènements de samedi soir ne sont pas forcément liés à la violence qu’il a subie, mais il pense qu’il est « peut-être la goutte d’eau qui a fait débordé le vase ».

Quoiqu’il en soit, il est indéniable que le bilan d’une porte de commissariat et quelques voitures dégradées pèsent bien peu lourdement face aux nombreuses victimes de violences policières dans les quartiers populaires qui finissent mutilées voire peuvent perdre la vie suite à un contrôle de police. On compte environ une quinzaine de morts par an des mains de la police, sans compter les blessés ou les humiliations et le harcèlement policier quotidien dans les quartiers populaires. Rien que pendant la période de confinement où la répression s’était gravement accentuée, une dizaine de personnes décédaient suite à une interpellation.

De son côté, Emmanuel Macron va même recevoir, ce jeudi, les syndicats de policiers pour entendre leurs revendications qui consistent en réalité à demander toujours plus de moyens pour réprimer dans les quartiers populaires ou les mouvements sociaux. Ces derniers avaient organisé des manifestations pour revendiquer leur droit à réprimer, en réaction aux déclarations de Christophe Castaner poussé à réagir face au mouvement historique contre les violences policières et le racisme de cet été.

Sans surprise, à droite et à l’extrême-droite, de Valérie Pécresse à Xavier Bertrand en passant par Marine Le Pen, les condamnations de « l’attaque » ont été prompt et ont donné lieu à une compétition à l’indignation.

"guerre civile","effroyables images" : un député LFI qui participe à la surenchère ?

Une réaction plus étonnante cependant a été celle du député de la France Insoumise Ugo Bernalicis. Dans un tweet le député de gauche a semblé emboiter le pas de l’indignation démesurée de la droite et du gouvernement et a même été jusqu’à utiliser une rhétorique propre à la logique du « séparatisme » chère au gouvernement et à la droite en parlant de « guerre civile » :

Afin de se positionner dans le débat politique et médiatique ouvert par l’imposition du thème de l’insécurité et du séparatisme, la France Insoumise avait organisé en septembre dernier un colloque intitulé : "Sécurité, violences, délinquance : retour à la raison". A cette occasion, la formation politique de gauche avait dévoilé sa nouvelle stratégie autour de ces questions. Le parti mené par Jean-Luc Mélenchon entendait à la fois reconnaître le racisme systémique subit par les communautés racisées tout en opposant sur le terrain sécuritaire une réponse qui reste dans le cadre du système en appelant à une forme de bon fonctionnement de la police.

Interrogé par France Info, Ugo Bernalicis avait d’ailleurs affirmé : « Je n’ai pas peur d’aller sur le terrain du gouvernement pour lui dire que y compris sur leur propre terrain, ils sont mauvais et nuls ». Se basant sur son expérience d’élu, il avait même repris le fameux argument des rodéos urbains pour justifier sa position : « quand je fais du porte-à-porte dans les quartiers populaires on me dit : ’Il y en a marre quand même, ça fait des rodéos le week-end avec la moto...’ ». Un argument là aussi largement mobilisé par la droite pour déployer l’agenda sécuritaire dans les quartiers populaires.

Au programme donc, une évocation plutôt floue du concept de « créolisation » pour parler du brassage des cultures propre à la société française, mais surtout plus de moyens pour la police, un retour à la police de proximité ainsi qu’une embauche massive d’officiers de police judiciaire mais aussi un service militaire 2.0 avec la création d’une garde nationale composée de volontaires jeunes. En ce sens, le député LFI Éric Coquerel mène actuellement une proposition de loi reprenant ces différents points de programmes défendus par la France Insoumise sur le thème de la sécurité.

La France Insoumise présente ainsi l’institution policière comme un service public comme un autre, qui comme l’hôpital ou l’éducation nationale manquerait de moyens et auquel il faudrait donc allouer plus de moyens nécessaires à son bon fonctionnement. Le problème c’est que si l’hôpital et l’école sont composés de travailleurs dont le rôle est de soigner ou de permettre l’accès à l’alphabétisation par exemple, l’institution policière n’a pas un rôle qui sert le bien commun mais à un rôle principalement répressif. Or les différents représentants de la France Insoumise semblent se refuser à mettre en cause l’institution policière comme un appareil d’État essentiellement répressif, dont le rôle est de défendre non pas un prétendu ordre républicain, mais bien un ordre social profondément inégalitaire et raciste. Un rôle qui avait commencé à être mis lumière de manière très claire le mouvement contre les violences policières.

Au contraire, pour Jean-Luc Mélenchon, le problème ne serait pas l’institution policière en elle-même, garante des intérêts de la classe dominante, mais plutôt l’inefficacité actuelle des forces de répression qui serait mal utilisée. Le leader de la FI avait ainsi défendu lors de ce colloque : « la prévention, la répression proportionnée et la réparation, qui est très importante : c’est un tout. C’est à mon avis une politique de ’gardien de la paix’ civile, tranquille, raisonnée ».

La position des principales figures de la France Insoumise semble donc largement à rebours des revendications qui sont celles des militants contre les violences policières à échelle internationale, comme le désarmement de la police, le définancement de la police ou encore l’expulsion de la police des syndicats du mouvements ouvriers. Aux États-Unis notamment ces revendications avaient atteint une échelle de masse et avait fait trembler l’institution répressive de la principale puissance mondiale. En France, les mobilisations elles aussi massives menées par le Comité Adama qui avaient réunies plusieurs dizaines de milliers de personnes avait aussi largement mis à nu le rôle fondamentalement répressif de la police ainsi que le racisme endémique propre à l’institution policière et à son fonctionnement.


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