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Du Pain et des Roses

Argentine : 35e rencontre des femmes et minorités de genre en pleine crise politique et sociale

Après deux ans de suspension en raison de la pandémie, les Rencontres des femmes se sont à nouveau tenues en Argentine dans la ville de San Luis. Elles ont inscrit dans leur nouvelle appellation leur caractère plurinational avec la participation des peuples autochtones, ainsi que la visibilité de la grande diversité des identités de genre. Un premier bilan de ces Rencontres dressé par Andrea d'Atri, dirigeante de Pan y Rosas, organisation sœur de Du Pain et Des Roses en Argentine.

Andrea D’Atri

13 octobre 2022

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Cet article est une traduction de l’article « San Luis. Un 35º Encuentro atravesado por una profunda crisis social y política » par Andrea D’Atri, paru dans La Izquierda Diario, journal frère de Révolution Permanente en Argentine.

Des dizaines de milliers de personnes se sont rendues à San Luis, où ont eu lieu les 35e Rencontres. Trois jours seulement avant la proclamation de leur caractère « plurinational », le gouvernement national a ordonné une répression féroce contre le peuple mapuche à Villa Mascardi, dans la province de Río Negro, qui s’est soldée par l’arrestation de sept femmes dont une enceinte. Le choc provoqué par les actions du « commandement unifié » [commando créé pour l’occasion et regroupant des agents de la police fédérale, la gendarmerie nationale, la préfecture et la police de sécurité aéroportuaire - ndt] envoyé par le ministre Aníbal Fernández a donné lieu à la démission de la ministre de la Femme, du Genre et de la Diversité, Elizabeth Gómez Alcorta, qui a dénoncé que « de graves violations des droits de l’homme » avaient été commises dans le cadre de cette procédure. Quelque heures plus tard, le sinistre Sergio Berni [ministre de la Sécurité de la province de Buenos Aires - ndt] a déployé un énorme arsenal répressif dans un stade de football de la ville de La Plata, qui s’est soldé par un mort et des dizaines d’hommes, de femmes, de filles et de garçons gazés, avec des bleus et des blessures. Malgré cela, il a été une nouvelle fois approuvé à son poste par le gouverneur kirchneriste Axel Kicillof.

C’est pourquoi, malgré l’hégémonie des groupes affiliés au Frente de Todos [coalition de centre-gauche au gouvernement - ndt] au sein du comité organisateur des 35è Rencontres, cette crise a fait son chemin jusqu’à la cérémonie d’ouverture elle-même. Dans un document lu sur scène, qui énumère tous les systèmes structurels d’oppression - du patriarcat au capitalisme néolibéral, du colonialisme à l’hétéronormativisme - mais sans pointer de responsabilité politique claire dans la situation que nous vivons, le comité organisateur a été contraint d’intégrer un paragraphe qui « répudie fermement la répression menée contre les sœurs mapuches par le gouvernement national à travers les forces fédérales ».

La dénonciation du gouvernement qui a ordonné cette opération brutale, transformée en slogans par la voix de milliers de camarades de Pan y Rosas et d’autres collectifs du Frente de Izquierda y de los Trabajadores [coalition d’extrême-gauche dont fait partie le PTS, parti frère de Révolution Permanente - ndt], a été reprise par beaucoup de personnes présentes lors de la cérémonie d’ouverture.

La tentative du gouvernement de mettre l’affaire sous le tapis

Dans les ateliers, avec plus d’une centaine de thèmes différents, les débats ont été nombreux. Cependant, personne n’a pu empêcher que la dénonciation de la répression des femmes mapuches par le gouvernement national ne s’insinue dans chacun des ateliers. Il en a été de même en ce qui concerne les conséquences des mesures d’austérité subies par de vastes secteurs de la population. Que les discussions abordent l’éducation sexuelle, les usines sous gestion ouvrière, la déprédation des zones humides, le handicap, les syndicats ou l’écoféminisme ... partout émergeaient les responsabilités du gouvernement, l’ajustement fiscal dicté par le FMI, la spéculation et l’extorsion des entreprises, le silence et le quiétisme des bureaucraties syndicales, les difficultés vécues par la grande majorité de la population.

Face à cela, les groupes qui soutiennent le Frente de Todos n’ont montré que de la résignation, comme si l’on ne pouvait rien faire face à l’avancée de la droite, illustrée par la tentative de meurtre de la vice-présidente Cristina Kirchner il y a un mois. Vanina Mancuso, travailleuse de l’usine sous gestion ouvrière Madygraf, dans le Nord de Buenos Aires, a répondu avec beaucoup de vigueur aux militants kirchneristes : « Pour les camarades qui ne lisent pas les journaux, je leur dis qu’en tant que travailleuse de Madygraf nous avons publié une déclaration dénonçant l’attaque contre Cristina, parce que nous pensons que la droite que vous avez laissée avancer est en train de progresser. Si le discours de la haine avance contre les pauvres, c’est parce que vous avez mis Berni (ministre de la sécurité de la province de Buenos Aires) au gouvernement, vous avez mis Scioli, vous avez mis Massa (péroniste de droite), comment voulez-vous que la droite n’avance pas, camarades ? »

Pan y Rosas a insisté sur le fait qu’il fallait remettre sur pied le mouvement des femmes qui a su gagner le droit à l’avortement dans la rue, pour affronter le gouvernement d’ajustement, dicté par le FMI et soutenu par la droite. Les kirchneristes ont répondu - comme ils et elles l’ont fait lorsque Macri était au pouvoir - par la proposition d’attendre « Cristina [Kirchner] 2023 ». Elles ont eu l’audace de lancer un événement lors des Rencontres autour de ce slogan, qui n’a pas rassembler plus qu’une minorité de leurs propres délégations présentes à San Luis. Une solution électorale pour dans un an, alors que les femmes des familles de travailleurs et les pauvres endurent l’inflation, les tarifs douaniers, les bas salaires et la précarité.

À peine étions-nous rentré·es chez nous avec la nouvelle que la démission d’Elizabeth Gómez Alcorta avait été suivie de celles des ministres du Travail et du Développement social que le président nommait déjà trois femmes pour les remplacer. Et il y a même un fonctionnaire qui a insinué que des milliers d’entre nous, réuni·es à San Luis pour les Rencontres, soutenions la nouvelle ministre des Femmes, du Genre et de la Diversité. Une véritable crise politique pour le gouvernement qui s’approfondit rapidement, alors que Kristalina Georgieva, la directrice du FMI, lui demande de nous pressurer toujours plus.

Les convictions, la solidarité et le militantisme de Pan y Rosas

Pendant que les ateliers se déroulaient, d’autres femmes parcouraient les rues du centre-ville de San Luis, où avaient lieu des dizaines d’activités culturelles et récréatives, des rondes de maté improvisées, des foires artisanales et d’autres activités commerciales. D’autres ont profité des beautés naturelles de la province pour les loisirs et le tourisme.

La présence de Pan y Rosas n’est passée inaperçue pour personne. Grâce à l’effort économique de centaines de familles de travailleurs pour que tous ceux qui le souhaitaient puissent voyager, mais aussi grâce à la contribution de beaucoup d’autres qui ne pouvaient pas y aller et de centaines de camarades qui ont également versé une partie de leur salaire, nous sommes arrivé·es à San Luis depuis différentes régions du pays. Sans aide de l’État, ni d’aucun gouvernement, avec une infinité d’activités antérieures pour récolter de l’argent, au milieu d’un plan d’ajustement du FMI phénoménal, avec une conviction pure, un militantisme et une solidarité, les bus de Pan y Rosas ont pris les routes pour atteindre la capitale de San Luis.

Des centaines d’enseignant·es, d’infirmièr·es, de travailleur·ses de la téléphonie, d’employé·es de l’État, de graphistes, de céramistes, de travailleur·ses du textile, de l’industrie alimentaire, de la viticulture, de lycéen·nes, de collégien·nes et d’étudiant·es, de celles et ceux qui luttent pour la terre et le logement à Guernica, à Rafael Castillo, dans la Villa 31 et à Magaldi, de femmes des peuples Qom et Mapuche, de conseiller·es et de législateur·rices du PTS/Frente Izquierda-Unidad, de femmes et d’hommes trans, qui luttent contre l’extractivisme et la pollution, qui ont été les protagonistes de la marée verte pour le droit à l’avortement, qui luttent contre les violences sexistes et sexuelles, qui affrontent le gouvernement d’ajustement et la droite, qui luttent contre l’exploitation et toutes les formes d’oppression. Des centaines qui luttent consciemment pour vaincre le capitalisme et construire une société socialiste.

À distance, nous avons reçu des encouragements de nos camarades de Pan y Rosas d’autres pays, en particulier de Bread and Roses, le plus jeune des groupes qui composent notre réseau international, qui a pris l’exemple de la lutte pour le droit à l’avortement en Argentine pour brandir les foulards verts dans les rues de New York et d’autres villes des États-Unis, alors qu’il y a quelques mois, la Cour suprême a interdit ce droit.

Les milliers de tracts de Pan y Rosas qui nous ont été arrachés des mains ; les interventions qui ont suscité des applaudissements dans les ateliers ; les expériences dures mais courageuses des camarades les plus touchés par la pandémie, par la précarité et la répression du gouvernement ; le débat politique frontal avec les courants du Frente de Todos et le cortège combatif et coloré qui a participé à la marche du dimanche soir ont fait de notre collectif féministe socialiste un protagoniste indiscutable des Rencontres.

Un final anti-démocratique et minoritaire

À la fin de la marche qui s’est étirée sur vingt blocs et a parcouru quatre kilomètres, sans les groupes pro-gouvernementaux, qui ont décidé de partir dès le début de la marche, la grande majorité des délégations qui avaient fait le déplacement de tout le pays sont rentrées dans leurs villes.

Comme toujours, ou peut-être plus qu’à d’autres moments, la cérémonie de clôture a été une routine terne devant pas plus de mille participants, après des Rencontres qui avaient réussi à réunir tant de femmes et de camarades issu·es des minorités de genre.

Un scénario idéal pour que, comme toujours, la décision de quelques-uns s’impose sur le choix du prochain lieu des Rencontres. Et que le comité d’organisation continue de refuser d’écouter la proposition que nous faisons, année après année, à gauche : que dans tous les ateliers où participent des dizaines de milliers de personnes, les propositions du lieu des Rencontres soient votées démocratiquement, à main levée, comme nous savons le faire, nous qui avons lutté et gagné notre droit de décider.

Retourner dans la rue pour vaincre les mesures d’ajustement

Nous qui avons lutté pour que cette 35ème réunion soit différente jusqu’à son nom, nous qui savons que « ce qui n’est pas nommé n’existe pas », nous devons veiller à ce que la participation des femmes des peuples autochtones et de la communauté LGBTI ne soit pas attaquée par la droite rance, anti-travailleur, misogyne et transphobe. Mais nous devons également éviter que l’agenda pour les droits LGBTI ne soit utilisé pour masquer une réalité sociale de plus grande pauvreté et de précarité qui nous touche toutes et tous.

S’il y a bien une chose qui nous unit dans notre riche diversité, c’est que la grande majorité d’entre nous, malgré nos différents parcours, nos différentes identités, nos différents corps et nos différents désirs, vivons de notre travail, de nos petits boulots et des miettes de précarité. La grande majorité d’entre nous voyons nos vies et celles de nos familles et communautés sombrer dans la pauvreté et le dénuement, tandis que les grands patrons nationaux et étrangers s’enrichissent aux dépens de notre exploitation, de l’extractivisme qui pollue nos terres et nos rivières. L’immense majorité d’entre nous menons des vies que ni la caste politique, ni les patrons ni les hommes d’affaires parasites qui leur donnent des ordres, ne supporteraient ne serait-ce qu’une minute.

Si nous voulons être de plus en plus présent·es dans les réunions plurinationales, il faut que cet « agenda » dont nous souffrons tous soit nommé. Aujourd’hui, c’est l’ajustement du gouvernement de Fernández, Kirchner et Massa, qui obéit aveuglément aux organisations financières impérialistes. Un ajustement qui, nous ne nous lasserons pas de le répéter, touche de toute évidence particulièrement les femmes qui travaillent, les personnes pauvres et la majorité de la communauté LGBTI. Ce qui n’est pas nommé, n’existe pas. Pire encore, si les responsables de cette situation ne sont pas nommés, nous pouvons difficilement nous organiser pour faire échec à leurs plans de faim et de misère.

Nous avons le défi de faire en sorte que les Rencontres servent à nouveau à reconstruire, par le bas, un grand mouvement de lutte dans les rues, comme elles l’ont fait pendant de nombreuses années, pour consolider cette marée verte qui a finalement gagné le droit à l’avortement. Les Rencontres doivent être toujours plus massives, toujours plus démocratiques, réellement indépendantes des partis du régime et de toutes les institutions de l’État, afin que toute la diversité qui constitue les Rencontres soit unie dans la lutte que nous sommes appelés à mener aujourd’hui contre la crise qui nous frappe de plein fouet et avec fureur.


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