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Au pays de Maïdan, il ne fait pas bon manifester

Après la dispersion de la Kyiv Pride, le mouvement LGBTI en Ukraine est pris en étau

Seb Scorza Le 6 juin, autour de 200 personnes défilaient lors de la deuxième Marche des fiertés organisée en Ukraine, malgré les menaces de la droite ultra-nationaliste qui gagne du terrain après son rôle lors des manifestations de Maïdan. Après quelques minutes de marche les manifestants ont été chargés par plusieurs douzaines de militants néo-nazis. Le résultat final est de plusieurs dizaines de manifestants blessés, entre vingt-cinq et trente contre-manifestants arrêtés et cinq policiers blessés. La Kyiv Pride reflète aujourd'hui la situation tendue dans le pays où le mouvement LGBTI se retrouve pris en étau entre le gouvernement qui les instrumentalise, sans vouloir avancer sur leurs droits, et une extrême-droite fascisante sans contrôle, mais utile objectivement au gouvernement.

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Les illusions de Euromaïdan

Lors de la dernière Moscow Pride, interdite pour la 10ème année consécutive,le gouvernement russe mettait sous les verrous trois organisateurs de la marche, malgré les résolutions (très menaçantes, on peut l’imaginer) de la Cour européenne des droits de l’homme. Alors que les médias européens criaient au scandale et condamnaient la répression que Poutine fait aux LGBTI russes, cette semaine c’est sous le nouveau régime pro-européen, allié à Hollande et Merkel, que l’on agressait les LGBTI.

Une loi semblable à la loi d’interdiction de la « propagande homosexuelle » avait été adoptée en octobre 2012 en Ukraine, pour être rejetée en janvier 2015. Pour les dirigeants pro-UE du nouveau régime, l’homophobie était liée au gouvernement pro-russe précédent, et assurait qu’il n’y aurait plus de nouvelles lois homophobes. La communauté LGBTI espérait qu’une victoire du mouvement pro-européen de Maïdan signifierait l’éloignement du modèle post-soviétique répressif des droits LGBTI. Des manifestant-e-s de la Kyiv Pride de cette année ont déclaré que « nous aussi nous étionssurMaïdan », réclamant la chute deViktor Ianoukovytch dans les manifestations massives où l’on trouvait une droite libérale pro-UE, des jeunes exigeant la « démocratisation » d’un pays soumis aux oligarques et une extrême-droite fascisante autour de Svoboda et Pravyi Sektor.Mais les espoirs ont été vite déçus lorsque le nouveau gouvernement et le parlement majoritairement pro-UEont refuséd’instituer l’interdiction législative de discrimination pour motif d’orientation sexuelleau travail.

Le nouveau maire de Kiev, Vitali Klitschko, est un personnage avec un long CV. Les médias internationaux l’avaient introduit au monde entier comme l’ancien boxeur professionnel devenu dirigeant de la révolution Euromaïdan. François Hollande l’avait reçu avec le président de l’Ukraine, Petro Porochenko et Bernard Henri-Lévi, en mars 2014 à l’Elysée.

C’est ce même représentant de l’ouverture vers l’Europe qui avait demandé initialement aux organisateurs de la Kyiv Pride d’annuler la marche, car celle-ci « attiserait la haine » dans un pays toujours en guerre civile. Déjà, en 2014, la marche avait été annulée parce que la mairie de Klitschko ne garantissait pas la sécurité de militants LGBTI.

Le mouvement LGBTI dans l’étau

Cette année, les négociations avec la mairie ont duré un mois, avec des rendez-vous quotidiens, sans pour autant que la mairie s’engage à assurer la sécurité des manifestants. Klitschko avait déclaré que s’il respectait les libertés individuelles, il ne « défendait pas les gays et les lesbiennes ». Or quelques jours avant la marche, Porochenko avait affirmé le « droit constitutionnel » à tenir la Kyiv Pride cette année, comme gage aux puissances impérialistes de l’ « ouverture » du régime issu des manifestations de Maïdan. Effectivement, une interdiction aurait été difficile à assumer auprèsdes partenaires européens de Porochenko.

Finalement, la police a essayé d’assurer une protection minimale pour les manifestants, notamment parce que des diplomates comme l’ambassadeur suédois ou des représentants du gouvernement allaient se rendre à la manifestation. Des bus étaient même prévus pour assurer l’exfiltration des personnes présentes, sauf que les entreprises de transport n’ont voulu prendre que les journalistes et les ambassadeurs.

Entre les douzaines de contre-manifestants armés de cocktails molotov, couteaux ou pétards explosifs, se trouvait Pravyi Sektor, organisation politique et militaire néo-nazie, qui a joué un rôle majeur dans la révolution Euromaïdan. Aujourd’hui, ils sont plusieurs de leurs militants à combattre les troupes pro-russes dans l’Est de l’Ukraine. Pourtant, il se trouve qu’ils ont quelques points en commun avec la police de Poutine : ils refusent que l’Occident introduise l’ « idéologie LGBT ».

Lorsque Pavlos Fyssas, rappeur antifasciste était assassiné par des militants de Aube Dorée à Athènes, c’est toute la direction du parti néo-nazi grec qui était emprisonnée. Cela montre que malgré la crise la bourgeoisie grecque est encore suffisamment forte pour attaquer et maitriser ce type de groupes d’extrême droite. Au contraire, le régime ukrainien est aujourd’hui trop faible pour le faire. Cela qui explique le fait que les ultra-nationalistes de Pravyi Sektor ou d’autres groupuscules réussissent à s’opposer avec violence aux forces de l’ordre et à blesser plusieurs policiers lors de la Kyiv Pride. La police n’est plus suffisante, depuis les manifestations de Maïdan, pour contrôler et pour réprimer, c’est pour cela que les classes dominantes font appel aujourd’hui à ces groupuscules pour faire le « sale boulot » et empêcher tout secteur critique de gauche d’émerger et de contester la légitimité d’un gouvernement philo-occidental.

09/06/15.


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