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Offensive islamophobe

Affaire Didier Lemaire à Trappes : quand Schiappa et Darmanin surfent sur une fake news islamophobe

Thomas Urdy, proche de Marlène Schiappa, et Gérald Darmanin sont intervenus en faveur de Didier Lemaire, ce prof à Trappes qui prétendait faire l'objet de menaces de mort et dépeignait une ville « sous emprise communautaire ». Une tentative pour le gouvernement de surfer sur un récit qui s'est révélé faux, afin de défendre un projet islamophobe et réactionnaire.

Inès Rossi

20 février 2021

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Crédits Photo : DR

Didier Lemaire est professeur de philosophie dans un lycée à Trappes. Le 5 février, dans un article du Point, il dénonce les menace dont il fait l’objet. En cause selon lui ? Sa défense des principes de la laïcité dans une ville qu’il considère sous « emprise communautaire ». Reprenant la rhétorique des « territoires perdus de la République », il affirme de la ville, mais également de ses élèves, qu’ils sont « totalement perdus ». Le journal affirme même que le professeur vit « sous escorte policière ».
 
Il est aussitôt invité sur de nombreux plateaux télé, dont un passage remarqué sur CNews, où il affirme : « Il n’y a plus de lieux mixtes, il n’y a plus de coiffeurs mixtes à Trappes ». Déclaration évidemment démentie par la mairie de la ville, obligée de faire des vidéos dans des établissements de coiffure de Trappes pour prouver qu’ils sont mixtes. Il recevrait des menaces depuis la publication d’une lettre ouverte dans le Nouvel Obs, dans laquelle il écrit avoir « été témoin de la progression d’une emprise communautaire toujours plus forte sur les consciences et sur les corps » dans la ville.
Dans un contexte d’offensive islamophobe menée par le gouvernement avec la loi séparatisme à coup d’instrumentalisation de l’émoi populaire légitime causé par l’assassinat dramatique de Samuel Paty, l’affaire trouve un écho important. Il ne s’agit pas ici de nier les menaces ou les pressions que peuvent recevoir les professeurs dans l’exercice de leurs fonctions, de la part d’extrémistes religieux. Mais le fait est que le récit du Point ne semble pas tout à fait correspondre à la réalité, et sert un discours politique bien étayé : celui d’un abandon de territoires entiers aux mains de « séparatistes islamistes  ».
 
Mise au courant de l’affaire, en effet, la préfecture des Yvelines dément. Mediapart rapporte ainsi que Didier Lemaire ne vit pas sous protection policière, mais que des rondes aléatoires ont été mises en place autour de son établissement et de son domicile à titre préventif. La préfecture affirme également ne pas avoir connaissances de menaces précises envers Didier Lemaire.
 
Qu’à cela ne tienne, le gouvernement intervient, en la personne de Darmanin, qui accorde au professeur une protection policière rapprochée. L’affaire tombe à pic pour le ministre de l’Intérieur, qui défend le projet de loi contre le Séparatisme et s’apprête alors à débattre sur le plateau de France 2 avec Marine Le Pen qu’il qualifiera de « trop molle ». Face à cette dernière, le ministre revendiquera d’ailleurs la protection policière que ses services ont mis à disposition de Didier Lemaire. Incarnant un État fort contre « l’emprise communautaire », le ministre profite de cette polémique aux bases pourtant contestables pour assurer la communication du gouvernement, quitte à stigmatiser la population de toute une ville.
 

 
Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que Didier Lemaire bénéficie de l’intervention d’un membre du gouvernement. En effet, selon Mediapart, on retrouve en coulisses de cette affaire Thomas Urdy, proche conseiller de Marlène Schiappa, qui était directement en contact avec le professeur avant même la publication de l’article du Point. Il est personnellement intervenu auprès du préfet pour l’avertir des menaces que subissait selon ses dires Didier Lemaire, menaces dont la préfecture n’a pas trouvé la trace.
 
Thomas Urdy est lui même un proche du très influent Printemps républicain, un mouvement qui occupe le terrain médiatique avec une vision radicale et islamophobe de la laïcité, quitte à être des habitués de infox. « Le clivage gauche-droite ne fait plus sens. Il faut lui substituer celui qui sépare les républicains et les identitaires de tous bords.  » Cette phrase d’Amine El-Khatmi, fondateur du mouvement, pourrait résumer leur doctrine. En pleine offensive islamophobe, ce n’est pas un hasard si l’Elysée a fait de Thomas Urdy le « référent laïcité » du ministère de l’Intérieur.
 
Toujours selon Mediapart, « le cabinet de Marlène Schiappa ne dément pas cette intervention. Pour la justifier, il assure à Mediapart avoir « eu connaissance », début novembre, de « menaces proférées à l’encontre de Didier Lemaire ». Comme « pour toutes les personnes menacées », explique-t-on Place Beauvau, l’entourage de la ministre a donné « accès à ces contenus » à la direction départementale de la sécurité publique et à la préfecture, « pour appréhender localement le risque et la nécessité de protection individuelle » pour l’enseignant. » Or, mis face aux contradictions du récit exposé dans Le Point, Didier Lemaire lui même a avoué n’avoir reçu « aucune menace de mort », déclarant « je n’ai pas eu peur ».
 
Si l’intervention de Gérald Darmanin, comme celle de l’entourage de Marlène Schiappa dans cette affaire montre une chose, c’est que le gouvernement n’hésite pas à mettre la main à la patte pour construire un récit médiatique dénué de fondement afin de justifier le projet islamophobe et autoritaire qu’incarnent la loi séparatisme et les procès nauséabonds en « islamogauchisme ».


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