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Après Benalla…

Affaire Delevoye ou affaire d’Etat ? A peine le successeur est nommé qu’il est déjà sous le coup d’un cumul avéré

Après l’affaire Benalla, on aurait pu penser qu’on prendrait, au sommet de l’Etat, quelques précautions quant à la « probité » du personnel politique proche de l’exécutif. L’affaire Delevoye démontre au contraire que le pouvoir a préféré couvrir que prévenir…Changer les têtes des hauts commissaires ne sera pas suffisant.

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En haut lieu, on était nécessairement au courant.

Tandis que se sont déroulées les grèves et manifestations de ce mardi 17 décembre contre la réforme des retraites, on apprend, selon des informations recueillies de plusieurs sources et notamment par Le Monde, que le secrétariat général du gouvernement (SGG) était parfaitement au courant du cumul de 13 mandats et des conflits d’intérêt qui ont contraint Delevoye, haut-commissaire aux retraites et ministre délégué, à démissionner. Du coup, l’importance politique du scandale, déjà très élevée dans ce contexte de haute tension sociale, monte d’un cran et menace d’éclabousser jusqu’au sommet de l’Etat.

Bien entendu, la ridicule et méprisable défense sous couvert « d’oubli » » n’a pas tenu un seul instant. Mais, bien que ces « oublis », dont le nombre croissait chaque jour, aient été requalifiés en « erreurs » et que la démission de Delevoye soit devenue inéluctable, la question s’est très vite posée de savoir comment des dissimulations aussi grosses et aussi nombreuses avaient pu échapper à la vigilance du gouvernement, de ses services de contrôle et, en dernière instance, de Macron lui-même.

Une ignorance d’autant moins plausible que, la question des cumuls ne date pas de septembre 2019 mais bien de 2017, lorsque Delevoye est nommé haut-commissaire aux retraites, alors qu’il travaille pour le groupe privé IGS. Même s’il n’était pas alors anticonstitutionnel, ce cumul tombait déjà, à ce moment-là, sous le coup de la loi sur la fonction publique. C’est donc dès 2017 que Delevoye aurait dû, en vertu de l’interdiction de cumul, cesser de travailler pour le groupe IGS.

Même s’il avoue n’avoir pas pris l’initiative de saisir le SGG d’une demande de cumul d’activités, il est évident que, dès cette date, cette situation a été connue en haut lieu. Le monde rappelle que « au moment de fixer sa rémunération de haut-commissaire à la réforme des retraites – un poste de haut fonctionnaire – toutes ses sources de revenus sont examinées, de ses pensions de retraite à sa fonction de délégué général rémunéré d’un centre d’études du groupe IGS ». Impossible donc d’être passés à côté.

Comment Macron a-t-il pu prendre un tel risque ?

Que dire alors du fait que cette situation, déjà risquée auparavant, n’ait pas été prise en compte en septembre 2019, au moment où Delevoye a été promu ministre délégué auprès du gouvernement, tombant ainsi sous le coup de règles constitutionnelles encore plus strictes, non seulement en matière de cumul mais aussi de conflits d’intérêt ? Apparemment, aucune alerte n’a été lancée, ni par l’intéressé lui-même, ni par son entourage. Sans doute parce que tout le monde savait pertinemment que la situation était connue et que moins on en parlait, mieux ça valait.

Quant à l’exécutif, on peut se demander comment il a pu prendre de tels risques sans qu’aucune mesure de prévention ne soit mise en place ? Plusieurs facteurs y ont sans doute concouru.

Et d’abord, il aurait tout simplement suffi que, dès sa nomination le nouveau promu renonce aux fonctions qui pouvaient relever du cumul ou du conflit d’intérêt et en fasse la déclaration. Plus de faute, plus de risque. Mais, outre que cela aurait fait perdre beaucoup d’avantages au vieux « compagnon de route » de Macron, déclarer tout de go la situation en 2019 aurait inévitablement rouvert la boîte de Pandore de ce qui s’était passé entre 2017 et 2019, soit deux ans de cumul inavoué et de multiples sources de conflits d’intérêt encore actuels.

Un autre facteur qui a pu intervenir, c’est la raréfaction d’un personnel politique de poids, sur lequel Macron puisse compter après le départ de plusieurs « compagnons de route » de la première heure dont, clin d’oeil de l’histoire, Richard Ferrand, démissionnaire pour prise d’intérêts illégaux dans l’affaire des Mutuelles du Mans.
Plus stratégiques et plus impliquant encore pour les porteurs de la réforme des retraites, les liens qu’entretenait le Haut-commissaire, à travers ses multiples mandats, avec le milieu des assurances, principal bénéficiaire du principe de la retraite à points. Rompre les mandats les plus voyants c’était aussi perdre une partie de l’intérêt économico-politique de la personne de Delevoye.

Mais peut-être que finalement, c’est la conviction d’un Macron qui, sûr de son impunité, trace son chemin envers et contre tout qui a été décisive, aussi bien pour lui que pour Delevoye. Tout le monde, et les exemples sont nombreux dans l’univers politique actuel, peut craindre de voir dénoncés au grand jour ses turpitudes, ses magouilles, ses infractions, ses délits, ses manquements à la déontologie… mais s’ils montrent tant d’arrogance c’est qu’ils se sentent assurés d’une impunité totale, ou partielle. Il est vrai, par exemple, que l’affaire Benalla, après avoir fait beaucoup de bruit et pris une dimension « d’affaire d’Etat » n’a eu finalement aucune conséquence politique grave pour Macron et que l’escroc est jusqu’à nouvel ordre dans la nature.

D’une certaine manière, outre l’arrogance, ce gouvernement en arrive à penser que ces petits arrangements restent à jamais dans l’ « oubli », croyant maitriser à force de terreur les médias comme le judiciaire.

Un nouveau pas mieux que le précédent. Le gouvernement aura du mal à éviter les éclaboussures

Si le gouvernement n’a pas peur de la loi, il redoute en tout cas la mobilisation et la colère sociale. En plein moment culminant de l’affrontement sur la réforme des retraites, la révélation des 13 mandats avec cumul et conflits d’intérêt ne pouvait qu’entraîner la démission de Delevoye. C’est désormais chose faite, mais il restait à l’exécutif à tirer son épingle du jeu.

Delevoye, s’exprimant auprès du journal le Monde a d’ailleurs fait une déclaration mi chèvre-mi chou. Tout en jouant le rôle de l’unique coupable qui assume, il glisse quand même une peau de banane à ceux qu’il ne nomme pas mais qui portent leur part de responsabilité : « Je ne veux pas rejeter la faute sur quiconque, mais sur moi-même »… « C’est mon erreur, une légèreté coupable, je l’assume et je répare » déclare-t-il. Mais il confirme ensuite « n’avoir eu de mise en garde de personne ». « Ma situation avait été validée en 2017, je n’ai pas pensé qu’il y aurait un problème. J’ai fait preuve d’un excès de confiance. »

Tout le gouvernement, d’Edouard Philippe à Michel Blanquer, a été unanime pour dire haut et fort ne pas mettre en doute la « bonne foi » du haut-commissaire et se contenter de qualifier la fraude « d’erreur ». L’indulgence vaut probablement autant pour eux-mêmes que pour leur acolyte dont ils ont, bien entendu, réclamé la démission tout en pleurant des larmes de crocodiles et en l’acceptant « avec regret », selon le propos de Macron lui-même. Le terrain est miné et il ne s’agit pas de poser un pied de travers car, c’est désormais patent, il y a bien eu couverture des manquements aux règles constitutionnelles.

Aussi haïssable que soit le personnage de Delevoye et ses actes inadmissibles, on ne peut s’empêcher de penser qu’il a servi de fusible. Le coût politique de la séparation semble d’ailleurs d’autant moins élevé que le caractère peu malléable d’un « Monsieur retraite » investi becs et ongles dans son projet, notamment sur la question de « l’âge pivot » source d’opposition avec Macron, commençait à devenir gênant et que le premier ministre a déjà largement pris le relais.

L’exécutif se devait, dans l’urgence, de détourner l’attention de ses propres responsabilités. La démission de Delevoye était la première chose à faire. La seconde était ensuite de mettre les projecteurs sur son successeur. Le choix de Pietraszewski, expert du dossier, était destiné à faire oublier Delevoye tout en assurant la continuité du projet.

Manque de bol ou pourriture généralisée ? voilà le discret expert parfaitement au fait de toutes les ficelles du dossier des retraites rattrapé par son histoire. Selon une révélation de Mediapart, Il a en effet déclaré « avoir occupé le poste de responsable départemental des ressources humaines au sein de l’entreprise Auchan France pendant près de deux mois : une mission pour laquelle il a touché plus de 71 000 euros, alors qu’il était député ». Joli cumul, Non ? Après Benalla, Richard Ferrand, Delevoy, Pietraszewski et les autres… resterait-il un quidam qui ne tombe pas sous le coup de la loi au pays pourri de la Macronie ?

…Les grèves et manifestations du 17 décembre et la détermination qui reste entière contre la réforme des retraites, démontrent clairement que le tour de passe-passe ne fera pas illusion. A pourriture générale, une seule réponse : grève générale !


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