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Suppressions d'emploi

Aéronautique : les travailleurs ne doivent pas payer la crise du secteur

L’annonce des 16 000 suppressions d’emplois chez Boeing aujourd’hui jette une lumière crue sur la situation de l’aéronautique où, face à une crise historique, les salariés risquent fort d’être utilisés comme variable d’ajustement. Une situation qui appelle à une mobilisation d’ampleur pour la nationalisation des secteurs stratégiques sous contrôle des travailleurs et l’interdiction des licenciements !

Paul Morao

29 avril 2020

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Boeing, Airbus : les deux principaux avionneurs face à une crise historique

Vendredi dernier, le président exécutif de Airbus envoyait à ses salariés un courrier à la tonalité dramatique. Guillaume Faury y revient sur la crise traversée par l’entreprise, qui a conduit à une chute historique de 30% de l’activité et menace encore de s’empirer. Détaillant les pertes de liquidités de l’entreprise, le président exécutif explique : « Nous avons agi rapidement pour obtenir des lignes de crédit supplémentaires de quelque 15 milliards d’euros. Elles nous donnent la souplesse et le temps nécessaires pour adapter et redimensionner notre entreprise. Mais nous devons maintenant agir de toute urgence pour réduire nos dépenses, rétablir notre équilibre financier et, en fin de compte, reprendre le contrôle de notre destin. »

Un courrier qui dessine des perspectives encore floues, mais qui a précédé de quelques jours l’annonce faite, hier, par Boeing de la suppression de 10% de ses effectifs dans le monde, soit autour de 16 000 emplois. Une annonce qui fait elle-même suite à une suppression de postes d’un niveau similaire chez General Electric Aviation, chez qui la suppression d’emplois, annoncée jeudi dernier, concernera environ 2600 personnes.

De son côté, Airbus a choisi de temporiser sur ce volet, repoussant à juin l’annonce des objectifs annuels de production, dont les niveaux seront corrélés au niveau de suppression d’emplois envisagée. Une perspective dont Guillaume Faury ne se cachait pas récemment dans une interview à Bloomberg TV : « Avant de prendre une décision plus difficile en ce qui concerne les employés, nous voulons avoir une meilleure évaluation de la façon dont la situation pourrait évoluer dans les prochains mois, à quoi ressemblera l’année 2021 ». Pour le moment, Airbus s’est contenté d’annoncer l’arrêt de milliers de contrats d’intérim ainsi qu’une extension des mesures de chômage-partiel qui concernent pour le moment 3000 salariés. « Une deuxième vague d’activité partielle sera mise en oeuvre dans les semaines qui viennent. Elle sera bien plus importante et touchera tous les autres secteurs de l’entreprise. » explique ainsi Thierry Baril, DRH du groupe, aux Echos. De fait, si début mars Guillaume Faury mettait encore à distance la question des licenciements devant la Commission des affaires économiques du Sénat, le groupe semble prêt à aller vers des suppressions de postes, alors que l’entreprise continue de refuser les aides d’Etat.

Dans le sillage des deux principales entreprises aéronautiques mondiales que sont Airbus et Boeing, de nombreux sous-traitants et équipementiers sont également impactés par la situation. C’est le cas de Safran, comme nous le notions dans un article récent : « Le lundi 20 avril dernier, Philippe Petitcolin, directeur général de Safran, s’exprimait sur Europe 1 mentionnant le fait que plus de la moitié des salariés du groupe sont actuellement en chômage partiel (18% sur site 28% en télétravail, 54% en chômage partiel). D’après lui et ses deux clients principaux que sont Airbus et Boeing, l’activité ne retrouvera pas son niveau de 2019 avant 2022 voire 2024. Dans ces conditions, un plan de restructuration n’est « pas impossible » dit-il, le temps d’épuiser toutes les ressources gouvernementales... mais d’ici quelques mois, les licenciements massifs seraient inévitables. »

Latécoère, sous-traitant d’Airbus a de son côté bénéficié la semaine dernière d’un prêt garanti à hauteur de 60 millions d’euros pour faire face aux conséquences économiques de la crise. Daher, avionneur et équipementier, annonçait il y a quelques semaines 3000 suppressions de postes. Enfin, Thalès subit également la baisse de la production de Airbus. « Il y a un impact sur la demande, essentiellement dans le secteur de l’aéronautique civile et sur d’autres activités comme l’IoT [internet des objets, nldr] pour l’automobile » expliquait ainsi récemment Patrice Caine, PDG de Thales, cité par l’Agefi qui précise que « ces marchés représentent 15% à 16% du chiffre d’affaires du groupe ». Un impact moindre que pour l’ensemble des sous-traitants de taille intermédiaire d’Airbus, qui devraient subir de plein fouet la réduction de l’activité.

Menace sur les sous-traitants de l’aéronautique

« Si Airbus est touché de plein fouet, l’onde de choc se propage jusque chez les sous-traitants, très nombreux en Occitanie. Les plus petits d’entre eux pourraient même ne pas s’en remettre. Certes, les fluctuations de cadence sont monnaie courante dans l’aéronautique et les sous-traitants sont habitués à devoir faire face à des périodes de forte activité suivies de périodes plus calmes mais c’est la première fois qu’ils sont confrontés à une telle crise. » note Eric Marlot pour France 3 Occitanie.

Une perspective dont les effets pourraient être dévastateurs pour les salariés. En ce sens, Alain di Crescenzo, explique à France Bleu prévoir une baisse d’activité de l’ordre de 50% : « Selon nos estimations, nous chambres de commerce avec les entreprises du secteur, c’est une prévision de baisse d’activité de 50% sur 2020, de 33% sur 2021 qui correspond aux annonces d’Airbus d’une baisse d’un tiers des cadences des chaînes d’assemblage, et globalement de 20 à 25% sur 2022. Et quand je vous donne ces prévisions de baisse d’activité, ce ne sont pas les plus négatives. Si l’on reprend ce chiffre de 85.000 personnes dans la filière, vous avez un risque avéré sur 50% des salariés, donc 40.000 personnes pourraient se retrouver sans emploi, si l’on ne trouve pas des solutions rapides et efficaces pour soutenir cette filière en danger. »

D’ores et déjà, de nombreux prestataires ont vu leurs contrats être interrompus, et des intérimaires du secteur leurs emplois disparaître. « Les yeux rivés sur le cash, toutes les entreprises ont tiré un trait sur l’intérim. Airbus est en train de mettre fin à plusieurs milliers de contrats de ce type. Le groupe va réduire son recours aux prestataires de services informatiques comme Capgemini, Sopra ou Atos mais aussi à tous les acteurs de R&D externalisée comme Altran, Alten, Akka, Segula ou Expleo. » rapporte Emmanuel Grasland dans Les Echos. Même dynamique chez les sous-traitants, précise-t-il : « Second impact : la réduction des contrats passés avec des sociétés comme Derichbourg ou Assistance Aéronautique & Aérospatiale (AAA) pour fournir du service sur les lignes d’assemblage final, retravailler des parties (parachèvement) ou faire du contrôle qualité. Ces sociétés, qui ont connu un développement accéléré avec la hausse des cadences, sont parmi les fournisseurs les plus en danger. » Une situation qui pourrait fragiliser de très nombreuses entreprises intermédiaires dépendantes du donneur d’ordre Airbus.

Ce n’est pas aux salariés de payer la crise !

Si la situation générale du secteur aéronautique est ainsi affectée par la crise économique, ce sont aux salariés que les directions d’entreprises vont chercher à faire payer la crise, à l’image du plan de suppression massif adopté par Boeing, ou des 3000 suppressions de postes chez Daher. Cette situation, qui fait peser sur les salariés le poids de la crise économique sous couvert de redresser des entreprises qui possèdent pourtant des trésoreries encore abondantes et versent régulièrement des dividendes massifs, est inacceptable.

Comme le notait récemment Gaëtan Gracia, « si les patrons insistent sur les difficultés économiques, on ne connaît rien sur l’ampleur de celles-ci ni sur la stratégie qu’ils comptent adopter. Où sont passés les milliards de profits accumulés depuis des années ? En moyenne depuis 2009, le secteur aéronautique génère une marge d’un peu plus de 10% (EBIT), soit plusieurs dizaines de milliards d’euros. 40 milliards en 2017 par exemple (on parle bien ici de bénéfices, et pas du chiffre d’affaire). Ces bénéfices sont d’ailleurs de plus en plus concentrés dans les donneurs d’ordre, Boeing et Airbus, qui font jouer la concurrence entre sous-traitants. Ils ont donc beau jeu aujourd’hui d’utiliser la « fragilité des petits sous-traitants » comme argument. »

Face aux potentielles suppressions d’emplois, il y a ainsi urgence à réclamer la transparence des comptes des entreprises de l’aéronautique, pour lutter contre le chantage à la faillite que ne manqueront pas de mobiliser les entreprises. Face à la crise il faudra par ailleurs lutter pour l’interdiction des licenciements, car les salariés n’ont pas à être une variable d’ajustement. Finalement, dans la perspective de très fortes turbulences économiques, seule la nationalisation sous contrôle des travailleurs apparaît comme une issue contre le double danger des faillites ou des renflouements des entreprises à grands coups d’argents privés.

Des mesures qui peuvent paraître inenvisageables, mais dont seul le rapport de force peut établir la faisabilité ! Alors que l’aéronautique a été marquée au mois de mars par une dynamique inédite de coordination d’une vingtaine de syndicats du secteur pour défendre la santé des salariés face à l’épidémie, l’unité des salariés de l’aéronautique et des autres secteurs pourrait permettre de nouer un tel rapport de force, et d’apporter ainsi une réponse unitaire et ouvrière à la crise.


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