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Grand Est

AG interpro, reconductible, salaires : entretien avec Christian Porta sur la préparation du 7 mars

Alors qu’une grève reconductible se prépare pour le 7 mars prochain, Révolution Permanente donne la parole à celles et ceux qui la prépare. Entretien avec Christian Porta, syndicaliste dans la boulangerie industrielle Neuhauser, et secrétaire de l’union local de Saint Avold (Moselle).

Arthur Nicola

1er mars 2023

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Révolution Permanente : Après l’appel à bloquer le pays le 7 mars, de nombreuses fédérations ont commencé à appeler à une grève reconductible. Comment est-ce que vous préparez cette séquence chez Neuhauser ?

Comme partout, à l’annonce de la réforme des retraites, on a vu qu’il y avait de la colère chez tous les collègues. C’est quelque chose qu’on n’avait pas l’habitude de voir : souvent, sur les causes nationales, on a du mal à mobiliser l’entièreté des collègues dans la grève. C’est la première fois où on a quelque chose qui touche tout le monde. Mais comme beaucoup d’entreprise, on a commencé à voir autour du 16 février un peu de lassitude, un peu d’épuisement, car beaucoup ne comprennent pas la stratégie de faire une journée toutes les semaines. Mais dès qu’on a entendu parler du 7, la reconductible est vite venue dans la bouche des collègues. Il y a une envie de se mettre en grève le 7 et de durcir le mouvement.

On est dans le privé, dans l’agroalimentaire, avec des boîtes qui n’ont pas l’habitude de partir dans des grosses grèves pour des causes nationales et c’est quelque chose à prendre en compte. On a tenu à poser la nécessité de faire grève le 7 et le 8, et dans la boîte on commence à avoir des discussions là-dessus. Le pari qu’on a fait dans le syndicat, c’est un gros déploiement, avec des tournées dans toutes les équipes pour discuter de la possibilité de reconduire le 8, voir même après.

Mais au-delà de notre site de Neuhauser, on cherche aussi à contacter les collègues des autres filiales du groupe InVivo auquel on appartient, notamment les Jardiland ou les silos à grains du port de Metz. Cette semaine, on va y aller pour les convaincre de se mettre en grève, et de les accompagner : comme il n’y a pas de syndicats et qu’ils sont isolés, on a voulu transmettre notre tradition de la grève. L’idée est de faire un cortège interprofessionnel commun de toutes les boîtes InVivo de Moselle.

RP : Quelle est la plus grosse difficulté pour mobiliser et quelles sont les réponses que vous y apportez ?

La vraie problématique, c’est la question du salaire. Dans l’agroalimentaire, ce sont les salaires les plus bas de l’industrie, et une journée de grève c’est 90€ sur ton salaire de 1500€. Dans les Jardiland, les salariés ont des salaires de 1200-1300€, parce qu’ils sont payés au SMIC agricole qui est encore plus bas que le SMIC normal. C’est très compliqué donc de convaincre de perdre autant de salaire, et c’est notamment pour ça qu’on a mis en place une caisse de grève, pour répondre à cette problématique.

Par ailleurs, les gens ont peur de se mettre en grève « pour rien » : perdre une journée de salaire alors que tu as l’impression que la stratégie du mouvement ne va nulle part, c’est un luxe. Pour moi, c’est la première des problématiques : les gens ont peur de perdre de l’argent sans perspective de victoire. Donc on bataille sur la question du plan de bataille.

Des retours qu’on a, le 7 mars va être très suivi, et le 8 aussi. Pour l’instant, sur la suite il y a moins de perspective. C’est pour ça qu’on essaye de mettre en œuvre tous les leviers qu’on a, par exemple avec la plateforme chimique Total/Arkema qui est à 5km. On a fait une réunion avec l’intersyndicale de la plateforme chimique aujourd’hui, et on se dit que s’il y a des boites motrices dans la grève reconductible, cela pourrait entrainer des petites boites du coin. Le 7, beaucoup d’entreprises avaient prévu leur piquet, et on a convaincu pour faire un unique rassemblement devant la plateforme chimique ainsi qu’une action pour remplir la caisse de grève. On aura des grévistes de Continental, de sous-traitants de la chimie et des petites boites d’une centaine de salariés. Le but est de créer une émulsion, par la discussion entre les différents secteurs, avec notamment la chimie et les cheminots, pour aller vers un mouvement reconductible. Déjà en 2019, avec notre union locale, on cherchait à organiser des actions sur la plateforme chimique pour proposer un plan de bataille commun, on veut réitérer ces rassemblements.

RP : Du côté du syndicat de Neuhauser, vous avez poussé à l’organisation d’une AG interpro. Pourquoi faut-il construire de tels cadres selon toi et avec quels objectifs ?

C’est quelque chose qui est venu le soir du 19 : on voit une manif ultra importante, avec 13 000 personnes dans les rues, je n’ai jamais vu ça depuis que je milite. En 2019, on avait eu la logique de se réunir en AG pour parler des possibilités de suivre les cheminots. Mais là, après la manif on est rentré chez nous et il n’y avait rien : ni AG des syndicats, ni AG interpro, aucun lieu de discussion et d’organisation à la base, et on avait trouvé cela bizarre. Au niveau du syndicat, on s’est donc dit qu’il fallait un cadre d’auto-organisation, pour être en capacité de s’adresser aux autres boites, de voir quelles forces il y a pour une grève reconductible, parce qu’on était conscient qu’on n’y arriverait pas avec des journées saute-mouton.

On voyait la contradiction entre les millions de personnes dans la rue, et l’absence totale de contrôle qu’on pouvait avoir sur notre propre grève, qui était totalement dirigée par l’intersyndicale. Il nous fallait des moyens d’être maîtres de notre grève, mais aussi de pouvoir dépasser l’intersyndicale sur sa gauche et être force de propositions et de perspectives. On a donc contacté plusieurs syndicats pour leur proposer une AG interpro, mais aussi les étudiants de Metz du Poing Levé. On a réussi à faire ce regroupement dès la deuxième journée de mobilisation. On a réussi à réunir la CGT du conseil départemental, la CGT de la mission locale, Sud Education, des camarades de la CNT, et enfin l’Unef et le Poing Levé. Par ailleurs, il y a une base, pour l’instant réduite, de la CFDT, qui veut aller plus loin. C’est pour ça qu’ils viennent voir ce qu’on fait, ce qu’on dit. C’est encore minoritaire, mais c’est important de s’adresser à eux aujourd’hui, pendant qu’ils sont dans le combat avec nous.

On est allé sur plusieurs piquets de grève, comme celui de la centrale nucléaire de Cattenom pour les convaincre de construire cette assemblée interpro. On a eu comme ça des salariés d’Enedis et de Cattenom dans cette AG. On a tenté vraiment de s’adresser à tous les salariés pour les convaincre de venir en grève avec nous dès le 7 mars : on est allé devant les arrêts des bus qui vont le ramassage des travailleurs d’Amazon, devant plein de petites boites.

Dans les réunions interpro, on voit qu’il y a une vraie envie de nouer des liens avec la jeunesse. Cela apporte beaucoup d’espoir chez les salariés, j’ai des territoriaux et des salariés de l’énergie qui m’ont demandé si on pouvait aller diffuser des tracts sur la fac. On parlait de la répression de la jeunesse, et un camarade de la centrale Emile Huchet me disait qu’il était prêt à aller défendre les étudiants pour qu’ils puissent se réunir. Cela montre l’importance de lier les secteurs entre eux : étudiants et travailleurs on est plus forts.

RP : Il y a une vague de grève sur la question des salaires, qui n’épargne pas l’agroalimentaire. On a vu des grèves chez Findus, Herta, Nestlé dans les derniers mois. C’est une revendication qui revient très souvent, comment est ce que vous articulez ces deux revendications ?

La question des salaires est ultra prenante : l’agroalimentaire fait partie des métiers de l’industrie les moins bien payés. On se retrouve à 1500€ en travaillant les nuits et les dimanches. Quand on discutait avec les salariés d’Amazon, on voyait que la question des retraites elle était bien après celle de la fin du mois, et c’est la même chose dans notre usine. Les industriels, dont mon patron, sont en train de faire monter les prix de manière astronomiques dans les négociations avec les grandes surfaces. Nos patrons revendiquent qu’ils vont faire des hausses de 20 à 30% sur les matières premières, et on sait que cela va se répercuter sur notre propre panier de courses. On va se manger ces hausses de prix, pour des choses que l’on produit.

Nous on revendique non seulement le retrait la réforme, la retraite à 60 ans et 55 ans pour les travaux pénibles, mais aussi des augmentations de salaires. C’est ce qu’on a défendu dans l’AG interpro : pour pouvoir ramener dans la bataille les salariés les plus précaires, il faut lutter pour 400€ d’augmentation et l’indexation des salaires sur l’inflation. On a essayé d’établir une plateforme revendicative, en réclamant des moyens pour les hôpitaux, pour les transports, l’énergie et l’éducation. On revendique aussi la fin de la sélection à l’université et l’abrogation du SNU. C’est tout cela qu’on défend auprès de tous les travailleurs de Moselle.

RP : Est-ce que cela convainc les gens de se battre pour les salaires comme les retraites ?

Cela fait débat, surtout dans les syndicats : il y a beaucoup qui refusent, comme la CFDT, mais aussi dans la CGT, d’avoir ce qu’ils appellent des revendications « fourre-tout ». Mais par contre quand on discute à la base, par exemple avec les travailleurs d’Amazon, c’est totalement différent. Dans la discussion que j’avais avec l’un d’entre eux, les préoccupations, ce sont les conditions de travail, parce qu’il n’était pas sûr de tenir plus d’un an là où travaillait, et ensuite les salaires avant tout : comment finir la fin du mois, parce que personne n’arrive à finir le mois. Quand je lui ai donné le tract, il était plus convaincu de faire grève pour 400€ d’augmentation que contre la réforme des retraites. La CGT en Moselle revendique des augmentations de salaires, mais à mon sens c’est encore trop délié de la bataille en cours sur les retraites. Il faut vraiment combiner les deux, sinon on va dans le mur.


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Arthur Nicola

Journaliste pour Révolution Permanente.
Suivi des grèves, des luttes contre les licenciements et les plans sociaux et des occupations d’usine.
Twitter : @ArthurNicola_

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