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L'Etat Providence n'en est pas un

A l’heure du 70e anniversaire de la Sécurité Sociale : retour sur un mythe national

Yano Lesage Le 4 octobre 1945, il y a 70 ans, était voté par le gouvernement provisoire de la Résistance française, une des trois ordonnances fondatrices du système de sécurité sociale. Pour ce 70ème anniversaire, de Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, qui a ouvert la cérémonie à la mutualité à Paris ce 6 octobre, à François Hollande, en passant par des représentants du Medef et des syndicats, tout le monde était à la fête !

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Héritière de la Résistance, symbole d’un Etat « très progressiste » comme l’a souligné un homologue allemand, véritable mythe fondateur national, le gouvernement n’a pas lésiné sur les qualificatifs pour décrire un système « à sauver », au « nom de l’universalité », et compte bien se refaire une beauté « sociale » après tant d’attaques contre les droits des travailleurs.

Malheureusement pour lui, c’était sans compter sur les rabat-joie. Contre le mythe fondateur qui porte aux nues le Conseil National de la Résistance et l’Etat capitaliste en dernière instance, c’est l’opposition patronale qui reprend du poil de la bête. L’Opinion, journal pro-patronal l’a fait il y a quelques jours en critiquant, avec justesse, les pages sombres de l’histoire de notre chère « sécu ». Vichyste, étatiste, organe de contention de la colère sociale ou définitivement progressiste...? Parmi tous ces noms d’oiseaux, comment qualifier la Sécurité Sociale, et surtout comment la défendre, sans tomber dans l’illusion qui nous vend le mythe d’un Etat Providence ?

Dans son édito du 29 septembre, L’Opinion attaque le mythe de fondation de la Sécurité Sociale en France, vue généralement, de manière monolithique et romantique, comme fille héritière de la Résistance, sorte de prolongement de la libération territoriale, par l’élimination – largement partielle - de l’aliénation de l’homme au marché et aux forces du capital. En réalité, et L’Opinion a raison de le souligner, la Sécurité Sociale française n’est pas née de la Résistance, et encore moins de son comité d’expert de la question sociale du Conseil National, mais est une sorte de modèle hybride, de refondation de modèles antérieurs auxquels s’ajoutent une volonté d’intégration dans l’appareil et la gestion de l’Etat.

Si l’éditorialiste insiste sur la préexistence d’un modèle d’assurance des risques sociaux antérieure à 1945, c’est avant tout pour dénoncer l’intervention étatique, et surtout, la généralisation et le principe de répartition qui est propre à la Sécurité Sociale de 1945. Mais il a raison d’éclairer les origines réelles des lois sociales, nées d’une récupération, sous la main de l’Etat, des anciennes caisses de retraite et de maladie arrachées par le mouvement ouvrière et de leur charge pour le patronat.

La première loi « sociale » a été mise en place en 1910 avec la mise en place des retraites ouvrières et paysannes : obligatoire, construite sur un principe de capitalisation, accessible à 65 ans tandis que l’espérance de vie moyenne n’atteignait pas les 50 ans pour cette population, cette loi s’appuie sur un principe éminemment libéral et paternaliste, consistant à obliger les populations les plus pauvres à la prévoyance, à cotiser pour une retraite dont elles ne profiteront probablement jamais. A cette loi, dénoncée par les syndicats qui voyaient en elle un véritable vol du salaire, se maintient parallèlement, un système d’assurance par branche, cogéré à l’échelon local par les mutualistes, les syndicats, et le patronat. Un Etat minimal, donc, restreint à l’encadrement des plus pauvres, et une multitude de caisses privées et autonomes, dont sont héritées notamment les régimes spéciaux pour les mineurs et les cheminots.

Pas plus Bismarck en Allemagne, que la IIIème République en France n’ont eu à cœur l’amélioration des conditions de vie du prolétariat de leur époque. Mais c’est bien le surgissement de la lutte des classes, aussitôt rebaptisée sur un ton mi-paternaliste mi-catholique comme celle de la question sociale qui fait émerger auprès des patrons, puis des gouvernants la nécessité de sa prise en charge. Tout comme le système bismarckien ne voit le jour que sous la pression des luttes sociales et de la montée en puissance des mutuelles ouvrières, système d’assurance autogéré par les syndicats, en France, l’émergence de la première loi sur les retraites n’arrive qu’après des épisodes de luttes violentes et victorieuses des mineurs et des cheminots dans les années 1890.

La Sécurité Sociale attribuée à l’œuvre de la Résistance est surtout l’héritière de cette raison d’Etat. Et comme le rappelle justement L’Opinion, de sa continuation sous d’autres formes. Ce sont notamment d’anciens fonctionnaires du régime de Vichy, passés sur le tard du côté de la Résistance qui ont été chargés d’incarner cette continuité : Laroque et Parodi, technocrates de Vichy puis du Conseil National de la Résistance, avaient dans leur ambition de substituer au système de retraite par capitalisation, le principe de répartition. Ce n’est finalement pas Vichy qui, malgré une certaine accointance du projet avec son idéologie de solidarité sur des bases nationalistes, l’appliquera, mais bien le Conseil National de la Résistance.

Si L’Opinion souligne les pages sombres de l’histoire de la Sécurité Sociale et s’attache à démolir les fondations glorieuses de l’époque de la Résistance, ce n’est, bien sûr, que pour mieux appuyer son travail de démolition de ce qui reste, malgré tout, le plus grand acquis de la classe ouvrière française dans sa lutte pour l’amélioration de ses conditions d’existence. Cependant, cet angle d’analyse a pour mérite de remettre en question cette image idyllique d’un Etat progressiste et protecteur : fruit d’une récupération des luttes et de l’auto-organisation ouvrière, la Sécurité Sociale, cogérée à la fois par l’Etat, les organisations patronales et syndicales, a aussi, dans ses origines, l’objectif d’une cooptation des organisations ouvrières et d’endiguement de la contestation sociale.

Cela est d’autant plus clair, que derrière les faux masques élogieux des Touraine et des Hollande, ce sont les mêmes qui s’attachent à mettre en œuvre son démantèlement. Les politiques de Marisol Touraine annoncées lors du dernier Projet de Loi de financement de la Sécurité Sociale pour 2016, toujours dans les objectifs affichés de « sauver un système à la dérive » , prévoit une limitation de la progression des dépenses de santé toujours plus forte (1,75% contre 2% en 2015) en vue de résorber les déficits, mais également toute une série de mesures tendant à renforcer un système de santé à deux vitesses : l’augmentation des soins ambulatoires à l’hôpital par exemple, en y limitant les nuits passées, associée aux réductions des enveloppes hospitalières, ne va qu’accélérer la lente dérive de l’hôpital public, condamné à la surpopulation et aux manques de moyens, ainsi qu’à une prise en charge des soins à la chaîne. Des hôpitaux publics progressivement transformés en hospice ou dédiés à la médecine universitaire, une fuite vers le privé pour les autres avec un service de soin public progressivement déchargé vers la médecine de ville.

Ce découplage du système de soin a pour corollaire l’instauration d’un découplage du système de protection sociale. Si Touraine revendique un accès facilité aux démarches de protection universelle (CMU), elle compte également encourager la souscription aux complémentaires de santé privées, c’est-à-dire à une prise en charge par le privé de l’assurance maladie.

En ligne de fond, c’est le modèle de l’Etat Providence dans sa conception libérale qui cherche à s’imposer. En offrant une protection minimale, de mauvaise qualité mais universelle, accessible aux plus modestes, celle-ci renforce également la prise en charge privée de la protection sociale pour ceux qui souhaiteraient disposer d’une couverture santé performante et efficace. Cela n’est pas seulement visible dans les réformes annoncées par le gouvernement mais dans toutes celles qui sont mises en place depuis une vingtaine d’années.

Les exonérations de charges et de cotisations sociales patronales à partir des années 1980 ont creusé les déficits des caisses de la sécurité sociale, tandis qu’on assistait à une montée de la fiscalisation du financement de la protection sociale, à partir de 1991 et l’instauration de la CSG : cela a conduit non seulement à faire supporter aux salariés une part toujours plus importante du financement de la Sécu et à alléger la part dévolue aux entreprises, mais aussi à détricoter un système de protection basée sur la répartition et la solidarité pour lui préférer un système de redistribution se concentrant sur la distribution de minima sociaux aux plus modestes.

Les déficits ont bon dos. Les mythes nationaux aussi. Quand il s’agit de faire avaler des couleuvres aux travailleurs, la phraséologie du gouvernement est abondante. L’Etat Providence n’en est pas un. Et il ne l’a jamais été. Il n’est que la récupération des victoires ouvrières et des acquis de notre classe, et l’éventuelle confiance qu’on lui porterait ne serait qu’un appât pour mieux les lui reprendre.


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