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L'affaire du 6 décembre

A Mantes-la-Jolie, une journée sous le signe de la lutte contre les violences policières et pour la dignité

Ce samedi 11 mai se tenait au Val Fourré une journée « Retour sur l’interpellation des lycéens de Mantes-la-Jolie » réunissant les mères du Collectif de Défense des Jeunes du Mantois, des lycéens, ainsi que de nombreux intellectuels militants anti-racistes, syndicalistes ou encore journalistes.

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Sur la scène de la grande salle du centre culturel Charlie Chaplin au Val Fourré, Yessa Belkhodja passe le micro aux six mères du Collectif de Défense des Jeunes du Mantois (CDJM) qui prennent successivement la parole et se présentent. Toutes ont en commun d’avoir, le 6 décembre dernier, vu leur enfant être interpellé, mis à genou dans un enclos et humilié pendant 3 heures aux côtés de 150 de leurs camarades.

Une affaire qui s’inscrivait alors dans le sillage de la répression contre le début d’un mouvement lycéen éruptif en lien avec la dynamique enclenchée par les Gilets jaunes et qui avait fait scandale, générant une vague de soutiens sur les réseaux sociaux ainsi que dans les manifestations, nombre de Gilets jaunes y reproduisant la posture des lycéens en hommage à leur expérience douloureuse.

Un exemple d’humiliation policière presque banal dans les quartiers populaires comme ceux de Mantes-la-Jolie, mais qui avait pris une dimension autre en trouvant un écho dans l’expérience des dizaines de milliers de Gilets jaunes qui se soulevaient alors contre le gouvernement et faisaient face pour la première fois à la répression. De quoi esquisser la perspective d’une convergence entre des deux mondes ? C’est une des questions qui traversera l’ensemble de cet événement organisé autour de plusieurs tables rondes.

Une procédure en justice au nom de la dignité

Six mois après l’affaire, une procédure judiciaire a finalement été lancée. Sur scène, aux côtés de deux mères, de deux lycéens, et d’une professeure de lycée, deux avocats du Collectif, Arié Alimi et Mourad Battikh, expliquent les difficultés à arriver à un tel résultat. Alors que le 6 décembre les forces de police cumulent les infractions pénales - violation de liberté individuelle, violences, injures racistes, enregistrements vidéos des lycéens arrêtés -, le Parquet de Mantes-la-Jolie [?] n’a pas souhaité ouvrir d’enquête. Il aura fallu attendre un « dépaysement » pour que le Parquet de Nanterre ouvre finalement une enquête préliminaire.

Une affaire d’autant plus importante qu’ici la vidéo diffusée limite considérablement le poids de l’interprétation des policiers, qui pèse généralement de façon écrasante dans les affaires de violences policières, comme l’explique Mourad Battikh. Pour les mères, cette procédure a une importance considérable : « on ne rasera pas les murs, ça suffit » affirme l’une d’elles. « Nos enfants sont bien éduqués, nos enfants sont polis » explique l’autre, avant de laisser la parole à son fils qui explique l’importance à ses yeux du combat que mène sa mère.

Un combat des mères mis en avant dans la table ronde suivante qui fait dialoguer Geneviève Bernanos, mère d’Antonin Bernanos et fondatrice du collectif « Mères solidaires » et Myriam Ayad, membre du CDJM. Cette dernière a été témoin le 6 décembre de la scène d’humiliation qu’on fait subir les policiers à 150 lycéens. Une expérience d’autant plus douloureuse que son fils, tabassé quelques mois plus tôt par trois policiers de la BAC au commissariat de Mantes – une affaire pour laquelle Myriam Ayad avait fait constater ses blessures et porté plainte sans qu’aucune suite ne soit donnée -, avait alors reconnu deux de ses agresseurs. « Il faut rien laisser passer à ces gens-là. On ne peut pas attendre qu’il y ait un mort. » explique-t-elle avec détermination, prête à aller jusqu’au bout de la procédure.

Un éclairage politique et théorique sur l’affaire du 6 décembre

Cette première rencontre avec les mères du collectif est suivie par la projection d’un court montage qui met en perspective la mobilisation du 10 décembre 2018 et celles pour Youssef Khaïf et Aïssa Ihich en 1991, soulignant ainsi la continuité morbide d’une politique répressive dans les quartiers populaires qui humilie et tue régulièrement dans l’impunité la plus totale. Sur scène, les deux réalisateurs, originaires du Val Fourré, reviennent sur cette histoire de Mantes-la-Jolie avec un regard un brin désabusé.

La lecture d’un texte de Desmond Tutu et d’un extrait du livre de Norman Ajari, La dignité ou la mort, introduit la table ronde suivante qui voit, par la force du retard pris sur le programme, de nombreux intervenants se presser sur scène. Tandis que Franco Lolli (Brigade Anti-Négrophobie) revient sur la « gestion coloniale » des quartiers populaires, Sherine Soliman (PIR), professeur de français, souligne l’importance de faire redécouvrir à ses élèves des figures de l’anti-impérialisme et de l’anti-racisme tels que Malcolm X ou Patrice Lumumba.

Norman Ajari (PIR) place la question de la dignité au cœur de son intervention, une dignité dont l’on cherche à priver les jeunes de quartiers populaires au nom, précisément, d’une dignité policière qui repose sur le fait même d’humilier et de dominer des « enfants ». « Il faut les priver de cette fierté » conclue le philosophe. Omar Slaouti (Collectif Rosa Parks) prolonge les premières interventions en évoquant la constitution par un Etat raciste des jeunes arabes et noirs en une « altérité déshumanisée ». Une expérience de l’oppression qui peut cependant désormais dialoguer avec la violence policière expérimentée par des dizaines de milliers de Gilets jaunes depuis 6 mois : « Bienvenue » note Omar Slaouti, tout en s’adressant aux Gilets jaunes en insistant sur l’importance de « travailler ensemble ».

De son côté, un représentant du Collectif des 34 de la Pitié-Sâlpétrière revient sur l’histoire de la prétendue « attaque » d’un hôpital. Finalement, avant le ftour, Anasse Kazib et Eric Bézou, tous deux cheminots et syndicalistes à Sud Rail, prennent la parole. Le premier souligne un élément peu relevé jusqu’alors, si ces jeunes ont été arrêtés c’est parce qu’ils ont agi comme des « militants politiques », dans le cadre d’un mouvement lycéen qui a fait trembler le gouvernement en décembre, comme l’indiquait à l’époque une note des Renseignements Généraux publiée dans la presse. De même, l’expérience des mères réunies dans le CJDM revêt une dimension politique qui dépasse la simple expérience « locale », et doit avoir valeur d’exemple et d’entraînement pour construire des mobilisations contre les violences policières. De son côté, Eric Bézou souligne la continuité et les imbrications entre violences policières, violences racistes et violence sociale, à laquelle il fait face au quotidien. Gilet jaune, lanceur d’alerte, syndicaliste menacé de licenciement pour son engagement, il invite à trouver la voie d’une lutte commune contre toutes les formes de répression.

Quartiers populaires et violences policières : quelles convergences après le mouvement des Gilets jaunes ?

Il est 22 heures quand la dernière table ronde reprend, mais l’attention reste soutenue. Ludivine Bantigny, historienne, introduit ce dernier moment par un rappel historique sur l’histoire des lois racistes et de la répression, égrainant l’histoire d’épisodes tels que le massacre du 17 octobre 1961, la loi contre le terrorisme de 1986 ou encore la mise en place récente de l’Etat d’urgence puis son inscription dans la loi. Une histoire derrière laquelle on voit se profiler le durcissement autoritaire continu d’un Etat aux abois.

Dans cette histoire, le mouvement des Gilets jaunes constitue un pic récent, que David Dufresne, journaliste spécialiste des violences policières, détaille. Avec ses milliers de blessés, ses 24 éborgnés, la police a plus mutilé à coups de LBD et de GLI-F4 ces six derniers mois qu’au cours de l’ensemble de l’histoire de l’utilisation de ces armes. Une répression violente jamais vue depuis avant mai 1968. Le journaliste souligne ensuite l’importance du combat mené par les mères contre les violences policières, saluant au passage le combat médiatique mené par le père de Zyed Benna. « Dans les combats justes la médiatisation est une chance. », à condition de savoir choisir les médias, conclue-t-il.

Après un échange avec la salle, la journée se clôture. De l’affaire du 6 décembre, aux Gilets jaunes en passant par la mémoire des nombreux meurtres policiers, elle aura permis d’esquisser l’histoire des violences policières et de leurs racines, de souligner la centralité de l’auto-organisation dans les luttes, mais aussi d’ouvrir des perspectives quant à la jonction nécessaire entre mobilisation des quartiers populaires et mouvements sociaux subissant une répression croissante. Une jonction qui est probablement la condition pour enfin mettre fin à la violence croissante, mais qui implique la construction d’un projet révolutionnaire commun.


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