[Zones d’ombre]

30 ans après. Réunification ou annexion ?

Simon Zamora Martin

30 ans après. Réunification ou annexion ?

Simon Zamora Martin

Helmut Kohl, chancelier allemand de 1982 à 1998, avait promis à la population de l’Allemagne réunifiée des « paysages verdoyants ». Des promesses, comme on dit.

En quelques mois, après la chute du Mur, en guise de fleurs, la « réunification » poussait sur les ruines de la destruction de l’économie planifiée de l’ancienne Allemagne de l’Est. Simon Zamora Martin, du quotidien en ligne KlassegegenKlasse revient sur l’année 1989 en RDA et en RFA et ses conséquences.

La chute du mur de Berlin a bel et bien été le moment le plus symbolique de l’effondrement du Bloc de l’Est. Les images de la foule en liesse sur les restes du mur devant la porte de Brandebourg ont souvent été utilisées comme symbole de la victoire du capitalisme. Mais pour la population de l’ex-République Démocratique Allemande (RDA), l’euphorie n’a été que de courte durée. Elle allait, elle-même, rapidement faire l’expérience de ce que signifie l’exploitation capitaliste.

Ce qui avait commencé, en RDA, comme un début de révolution politique pour une autre forme de socialisme se terminait par une défaite historique pour la classe ouvrière. Il s’agissait de la fin d’un système économique qui, bien que parasité par une caste de bureaucrates corrompus, ne connaissait pas la propriété privée des moyens de production ; la fin d’une société sans patronat privé ni bourgeoisie qui, avec la réunification, restaura le pouvoir de cette classe en Allemagne de l’Est. Mais on peut se demander comment ce processus s’est déroulé.

Vague de mobilisations à l’est

Un calme relatif régnait en RDA en comparaison du reste du Bloc de l’Est. Huit années s’étaient écoulées depuis le grand mouvement de grève en Pologne contre l’hégémonie du parti communiste stalinien, suivi du coup d’Etat du général Jaruzelski, avec le soutien de Moscou, pour écraser Solidarnosc et les travailleurs qui avaient pris les usines. Trois ans avaient passé depuis que Gorbatchev, avec un style à la Bismarck, avait tenté de mettre en place la Glasnost (« Transparence ») et la Perestroïka (« Transformation »), deux politiques censées piloter une « révolution par le haut » en attribuant à la bureaucratie du Parti communiste d’Union soviétique (PCUS) les bases d’un pouvoir capitaliste. Cependant en RDA, les opposant.e.s aux réformes avaient une influence suffisante auprès du président Honecker pour brider le débat sur le futur de la RDA, et ce alors que le Bloc de l’est se trouvait déjà dans un processus de décomposition.

Après les fraudes massives lors des élections municipales de mai 1989 par le SED, le Parti socialiste unifié d’Allemagne, parti unique en Allemagne de l’Est, et avec la grande vague d’immigration de familles est-allemandes pendant l’été après l’ouverture de la frontière entre l’Autriche et la Hongrie et l’occupation par des émigrant.e.s de RDA de l’ambassade de la RFA à Prague, le régime commence à sombrer dans une crise profonde. Un mouvement populaire s’insère alors dans la brèche qui va entraîner sa chute, quelques mois plus tard.

À partir d’octobre 1989, des centaines de milliers de personnes descendent dans la rue pour un socialisme plus démocratique. Le point fort de ce qui peut apparaître comme un début de révolution politique était sans aucun doute les manifestations de masse. Cependant, dans « les entreprises du peuple » les travailleur.euse.s avaient également commencé à prendre les choses en main. Ils ont chassé des usines les représentants du SED et les unités paramilitaires qui y étaient présentes. Ils ont mis en place dans certains cas des formes d’autogestion ouvrière et ont voulu, là où c’était possible, régler de manière démocratique les problèmes économiques auxquels les usines en crise étaient confrontées. Il y a eu également des cas de grèves à caractère ouvertement politique comme dans le Zinnwald, en Saxe, où les mineurs se sont mobilisés contre la fermeture de la frontière avec la Tchécoslovaquie (mesure que le gouvernement est-allemand avait pris contre l’émigration vers l’ouest). Ainsi commençait un mouvement de grève pour des revendications autant économiques que politiques qui, avec ses hauts et ses bas, ne prit fin qu’en 1994 avec la destruction organisée de l’industrie est-allemande qui a laissé des millions des travailleur.euse.s sans emploi.

La colère engendrée par l’absence de droits démocratiques et la mauvaise conjoncture économique a poussé les masses à manifester. Une mosaïque formée par une majorité d’intellectuel.le.s composée de défenseur.euse.s des droits humains libéraux, des cercles pacifistes et des représentant.e.s de l’église protestante – organisés au sein de ce qui est alors baptisé « le Nouveau forum » (NF) – était la force motrice des premières manifestations. NF se considérait comme une plateforme de démocratie de base mais pas comme un parti. Ce qui l’unifiait n’était pas une stratégie commune ou un but commun mais un ennemi commun : la dictature du SED.

L’ouverture du mur décidée par le comité central du SED le 9 novembre 1989 a rapidement fait changer les objectifs du mouvement. En une nuit, « le mur de la honte », qui déchirait les familles et enfermait les citoyen.ne.s de la RDA, avait disparu. Au lieu de faire la queue avec des Marks en carton de la RDA devant les rayons quasiment vides des magasins populaires est-allemand, les allemand.e.s de l’est se ruaient maintenant devant les vitrines pleines à craquer des temples de la consommation rayonnants de Berlin Ouest.

La droite dure a su utiliser la situation à son avantage. Les Républicains, l’extrême droite ouest-allemande, a fondé dès l’ouverture du mur un groupe local à Leipzig et a essayé, en distribuant massivement des tracts, d’exercer une influence sur le mouvement de contestation est-allemand. L’extrême droite en général a considéré le soulèvement en RDA comme une « révolution nationale » et a commencé dans son ensemble une offensive vers l’Est. Mais avant tout c’est le gouvernement de l’Union chrétienne démocrate (CDU) du chancelier Kohl qui s’est servi de la question démocratique d’union nationale en utilisant toutes les ressources à sa disposition pour instrumentaliser la révolution en RDA et pour réaliser son objectif. Quelques jours après la chute du mur le chancelier a exigé l’unité allemande – alors qu’il avait pourtant été encore violemment sifflé lors de son passage à Berlin-Ouest. Le 28 Novembre, le chancelier soumet au parlement fédéral un plan en dix points pour la réunification de l’Allemagne. À travers cette offensive, il pouvait se présenter aux masses de la RDA comme la force de l’unification et mettre en place une collaboration avec la direction du SED, alors qu’il occupait une position de force dans la restauration capitaliste.

A gauche, pas de boussole

Les forces de gauche à l’Est comme à l’Ouest étaient désemparées face à la question de la réunification. Le 9 novembre marque la fin de l’hégémonie du Nouveau Forum sur la direction du mouvement. Alors qu’il occupait une position dirigeante en octobre, il disparaît quasiment complètement du paysage politique en quelques mois. Aux élections pour la chambre populaire de la RDA, en mars 1990, il forme une alliance avec deux autres associations de défenseur.euse.s des droits humains et n’obtient que 2,9 % des voix. La raison principale de la dégringolade phénoménale du mouvement populaire en RDA est son inaptitude à former un mouvement unifié et à proposer une revendication claire en ce qui concerne la question au centre des discussions à l’époque, à savoir celle de la réunification allemande, non pas sur une base capitaliste, mais dans la perspective d’une transformation révolutionnaire du système existant.

Au lieu de donner un contenu social à la question d’unification nationale qui aurait pu mobiliser la classe ouvrière de l’Est comme de l’Ouest, le Nouveau Forum s’est concentré sur de vaines négociations avec le SED, sans avoir de base populaire concrète et organisée, ce qui aurait pu lui donner du poids dans les négociations. Il s’est divisé en deux camps : le premier qui finit par soutenir l’unité proposée par Kohl après quelques modifications cosmétiques et un autre qui aspirait à une « troisième voie » dans une RDA indépendante.

En Allemagne de l’Ouest la peur du « IVe Reich » a immobilisé la plus grande partie de la gauche. Au sein du SPD (parti social-démocrate allemand) s’est déclenchée une violente lutte de fractions à propos de la réunification. Le dirigeant du parti de l’époque, Oskar Lafontaine, et son aile gauche s’opposent à une réunification rapide en mettant en avant l’argument que cette réunification serait coûteuse et que ce coût serait porté par la classe ouvrière d’Allemagne de l’Ouest. C’est seulement après l’attentat contre Lafontaine le 25 avril 1990 que l’aile droite de la direction du parti a pu imposer sa position de collaboration avec Kohl.

Au sein de la gauche radicale, il n’existait pas de positionnement en faveur de la réunification. En ce qui concerne la question d’union nationale, c’est avant tout la menace d’un impérialisme allemand renforcé qui est évoquée. Elle est ainsi l’une des pierres angulaires du positionnement d’une bonne partie de la gauche radicale et antifa, à l’instar du mouvement « Antideutsche » qui en est l’héritier. La position est résumée par le slogan « plus jamais d’Allemagne » qui critique avec raison le projet du gouvernement Kohl et identifie ce projet aux intérêts de la bourgeoisie d’Allemagne de l’Ouest. Cependant, la gauche radicale renonce à l’époque à présenter aucune alternative démocratique à la solution réactionnaire du gouvernement. Parallèlement, d’autres courants de gauche proches du Parti communiste d’Allemagne de l’Ouest défendaient la continuité de la dictature du SED et du mur, permettant ainsi la persistance du stalinisme dans l’Allemagne post-réunification. Entre ces deux positions, nombreux sont ceux qui se sont rangés du côté de la « réunification immédiate » sans remise en question de ce qui est devenue de facto une annexion impérialiste de la RDA par la RFA.

Ce qui manquait était une position indépendante, comme aurait été la solution d’une réunification socialiste, qui ne remettait pas seulement en question la dictature politique en RDA, mais qui critiquait également l’exploitation capitaliste en vigueur en RFA. Une solution donc qui, à l’est aurait permis de relier la question démocratique aux revendications sociales, et qui, à l’ouest, aurait pu constituer une revendication intermédiaire à celle de la révolution socialiste. Cette solution aurait permis de montrer que la bourgeoisie à l’époque de l’impérialisme ne peut pas résoudre de manière progressiste les questions démocratiques. En effet, ces questions ne peuvent être prises en compte que dans le cadre du programme social de la classe ouvrière, et seul ce programme peut proposer une sortie de crise progressiste. À la place, le manque d’alternative cohérente a poussé une bonne partie de la gauche à soutenir l’unité défendue par Kohl, se condamnant par là-même à la marginalité.

En RDA, l’opposition s’est simplement laissée coopter par le parti unique. Elle accepte la proposition de Hans Modrow, ministre-président de la RDA entre octobre 1989 et avril 1990, de gouvernement de transition, en échange de sa présence aux tables des négociations, gouvernement qui, de fait, ne servait que d’organe consultatif ne possédant aucun pouvoir réel pour réaliser des transformations. En contrepartie de cette place à la table des négociations, elle orchestre une démobilisation des masses dans la rue. Une grève générale qui avait été planifiée pour décembre 1989, qui aurait pu permettre à la classe ouvrière de mettre en avant ses revendications économiques ainsi que d’ajouter un contenu politique et social aux négociations d’une réunification et en général de raviver un cycle offensif face au régime de la RDA et au gouvernement de la RFA, a finalement été annulée, alors que les manifestations allaient en déclinant.

Réunification ou annexion ?

Le gouvernement Modrow impose une accélération de la séquence politique du gouvernement de transition, en avançant les élections pour la chambre populaire au 18 mars 1990. Les élections sont remportées de manière assez facile par la liste proche de la CDU appelée « Alliance pour l’Allemagne » avec 48,5 % des voix. Le nouveau chef du gouvernement, Lothar de Maizière, impose l’unification de manière brutale et rapide. L’unification factuelle a lieu le 1er juillet 1990, la frontière germano-allemande disparaît, l’union monétaire entre en vigueur – avec des retombées catastrophiques pour l’économie de la RDA – ainsi que la loi qui organise la privatisation des possessions de l’Etat est-allemand, concoctée depuis Bonn où siège le gouvernement ouest-allemand. Cette loi permettait de brader ce que la bourgeoisie de la RFA considérait comme utilisable, les biens immobiliers, par exemple, ou de liquider ce qui aurait pu constituer une forme de concurrence à l’industrie de la RFA. Le contrat d’union entre les deux gouvernements CDU a été négocié en deux mois seulement, avec deux allemands de l’ouest à la table des négociations : Wolfgang Schäuble, actuel président du Bundestag et ancien ministre des Finances d’Angela Merkel entre 2009 et 2017, partisan de l’austérité sur toute la ligne, comme négociateur en chef pour la RFA et Thomas De Maizière, futur ministre des finances et cousin du chef du gouvernement de la RDA, comme chef de la délégation est-allemande. Le 3 octobre 1990, la constitution de la RFA s’applique en RDA. Il ne s’agit donc pas de l’unification de deux ensembles distincts pour créer un nouvel ensemble mais bien du rattachement de la RDA au système politique de la RFA. Une annexion, dans les faits. Les paysages verdoyants qu’avait promis Kohl se révélèrent rapidement être un champ de ruine pour l’industrie et la population d’Allemagne de l’est.

Destruction planifiée

La première étape décisive pour la liquidation de l’économie de la RDA a été l’union monétaire et le taux de change entre les deux monnaies, ce qui a d’ailleurs été fortement critiqué par la banque fédérale. Le cours réel entre le Mark de RFA et le D-Mark était de 4 contre 1. Cependant, les salaires ont été calculés avec le taux de change de 1 contre 1. Un dopage de 400 % en une nuit semble impossible à tenir et aucune économie, surtout pas celle d’une république populaire, ne peut résister à cette augmentation. Dans le même temps, les dettes des entreprises d’Etat gonflèrent de manière artificielle. Les entreprises de RDA investissaient jusque-là leurs bénéfices dans des projets sociaux ou dans la recherche et n’avaient pas de fonds propres pour rembourser les dettes, d’autant plus que la banque centrale avançait jusque-là les fonds de roulement des entreprises. Soudainement, ces sommes avancées par la banque centrale réapparurent dans les livres de compte des entreprises comme des dettes. Aucune entreprise, même les plus rentables, ne pouvait continuer de fonctionner.

Avec l’union monétaire, les marchandises produites en RDA sont devenues beaucoup trop chères pour les clients habituels de ces entreprises, notamment ceux d’Europe de l’Est. L’ensemble des possessions d’Etat ne valait donc plus un centime et allait pouvoir, dans le cadre de la loi de privatisation imposée par Bonn, être revendu pour une bouchée de pain à la bourgeoisie de la RFA. Ainsi, l’économie de la république populaire a été « assainie, privatisée et liquidée » en quelques mois. Il n’existe pas d’autre exemple de privatisation aussi rapide et de vol organisé aussi malhonnête que dans le cas de la RDA. En effet, la loi de privatisation donnait l’immunité aux criminels de l’accaparement. Cette loi s’est avérée être un outil majeur d’exploitation impérialiste et a servi de « modèle de réussite » pour tout le reste du bloc de l’est dont la RDA était le cobaye. Wolfgang Schäuble ne s’est évidemment pas arrêté là. En effet, par la suite, il a également été aux commandes pour la liquidation des possessions de l’État grec dans le cadre des conditions imposées par la Troïka lors de la plus grande vague de privatisation de biens publics organisée par la BCE, le FMI et la Commission européenne après 2010.

Le rachat de la dette est-allemande n’a pas non plus été très coûteux. À l’opposé de la RFA, la RDA avait une balance positive. La RFA dépensait bien plus d’argent dans d’autres pays de l’Est que ce qu’elle devait avancer pour la RDA. Si on compare la dette extérieure au PIB, celle-ci ne représente que 6 % (contre 96 % pour la Grèce en 2009). La RDA avait manifestement un problème de devise étrangère pour les importations nécessaires ne provenant pas des pays à économie planifiée. Mais elle n’était cependant pas incapable de recouvrer ses dettes. Cela n’a été le cas qu’après la politique destructrice organisée par la RFA, qui avait pour but de rendre insolvable les entreprises de l’ex-RDA, de manière à ce que ces entreprises deviennent une très bonne affaire pour les investisseurs de l’ouest. Très vite, le secteur de la distribution a été vendu au rabais. En effet, les producteurs d’Allemagne de l’Ouest se sont assurés des débouchés sur le marché est-allemand par l’achat des parts de marché.

Dans l’industrie lourde cependant, c’est un tout autre scénario qui a été mis en œuvre. Un seul objectif prévalait dans ce secteur : éliminer la concurrence. En effet, la liquidation n’était pas réservée aux industries vieillissantes, mais en grande partie celle-ci fut également appliquée à des entreprises à fort potentiel économique. Un exemple qui illustre bien cette situation est la mine de potasse Kali Bergbau en Thuringe qui, avec son exploitation, était la troisième plus importante du monde. La RDA était à cette époque parmi les premiers exportateurs d’engrais au monde. La société d’Allemagne de l’ouest BASF et sa succursale Kali&Saltz avait la volonté de s’approprier toute l’industrie de potasse est-allemande. Cependant, cette offensive n’avait pas pour but de continuer la production. La société BASF voulait percevoir les subventions versées pour l’ « assainissement » des entreprises est-allemandes, en remboursant les « dettes » de l’entreprise. Mais ce n’était que pour donner un avantage à ses propres puits et à sa chaîne de transformation de la potasse que BASF avait pour objectif de fermer la mine de Thuringe. En effet, en fermant la mine elle coupait la chaîne d’approvisionnement en potasse de l’industrie de l’engrais est-allemand et pouvait facilement et à moindre coût occuper une position hégémonique en Europe du fait de la réduction de l’offre, tant en potasse qu’en produit fini.

Ce sont bien évidemment les 32 000 salarié.e.s de la mine et ceux et celles des entreprises de transformation de la potasse qui en ont payé le prix. Ils ont essayé pendant des années de s’opposer à la liquidation, en organisant des grèves, des manifestations massives, des occupations, pendant une brève période ils ont eux-mêmes organisé la production sous contrôle ouvrier, mais rien ne leur a permis d’obtenir gain de cause. Le plus scandaleux, dans cet cet exemple comme dans des centaines de cas similaires, a été le rôle joué par la centrale syndicale DGB, l’Union des syndicats allemands qui a facilité la tâche des entreprises d’Allemagne de l’Ouest en signant des conventions collectives et en autorisant des rachats, et ce alors même que les salarié.e.s d’Allemagne de l’Est n’étaient pas membres du syndicat.

Aujourd’hui encore, les salaires dans les régions de l’ex-RDA sont les plus bas d’Allemagne, et les conventions collectives n’ont jamais été harmonisées : il existe toujours deux « Tarifverträge », conventions qui déterminent les niveaux de salaires, pour l’Est et pour l’Ouest.

Avec la fin des grèves et des manifestations de salarié.e.s est-allemand.e.s en 1994, c’est la plus grande défaite de classe ouvrière des dernières décennies qui est actée. Mais ce n’est pas seulement une défaite pour les mobilisations qui étaient organisées : en fermant et liquidant les entreprises ce sont des régions entières que l’on condamnait à la stagnation et au chômage de masse. Ainsi, au cours des années 1990, 85 % des emplois ont disparu dans ces régions de l’ex-RDA. Comme c’est le cas à chaque fois que l’on ferme une usine, ce n’est pas seulement le salaire et l’activité que l’on retire aux salarié.e.s mais aussi leur identité, d’autant plus qu’à l’image de l’Union soviétique, c’est autour de l’usine que s’organisait la vie de la ville entière en matière de vie collective, culturelle et artistique.

En ex-RDA, contrairement à ce qui s’est déroulé en ex-URSS à l’époque, ce n’est pas la bureaucratie d’Etat qui s’est transformée en bourgeoisie. Bien évidemment, quelques bonzes du SED ont pu tirer leur épingle du jeu, notamment dans l’immobilier. Mais ce sont avant tout des entrepreneur.euse.s d’Allemagne de l’Ouest qui sont venu.e.s s’implanter en ex-RDA. Dans cette zone, la restauration capitaliste est surtout une forme d’occupation impérialiste. Ce sont les élites d’Allemagne de l’ouest qui ont remplacé la caste bureaucrate du parti unique. Même dans le champ politique, il y a assez peu d’exemple de personnalités qui ont subsisté après la réunification. À l’exception évidemment d’Angela Merkel qui occupait un poste de direction dans l’organisation de jeunesse du parti, la FDJ, et pour qui son opposition au SED dans les premières heures de la réunification a signifié le point de départ d’une grande carrière au sein de l’Union Chrétienne. Aujourd’hui encore, trente ans après, la même conclusion peut être tirée : il existe clairement une domination des régions de l’Ouest sur les régions de l’Est. En effet, celles-ci servent toujours de réserves de travailleur.euse.s bien formé.e.s mais sans perspective d’avenir dans leur région.

Un problème historique ?

La restauration capitaliste correspond à travers le monde à la période de consolidation du néolibéralisme, né sur les bases de la défaite de la dernière poussée ouvrière et populaire internationale des « années 1968 » qui s’est prolongée, dans certains pays, jusqu’au début des années 1980. La « menace communiste », quant à elle, avait disparu. Dans une situation aussi défensive, aucune force de gauche qui aurait aurait été en capacité, par les méthodes de la lutte des classes, de proposer une alternative au capitalisme et au stalinisme, n’a pu se développer en Allemagne. La bourgeoisie allait passer au niveau mondial à une attaque frontale contre les droits des travailleur.euse.s. La restauration capitaliste a signifié, à l’Est comme à l’Ouest, une destruction du modèle social jusque-là en vigueur.

La situation catastrophique des régions de l’Est de l’Allemagne dans les années 1990 ne s’est pas beaucoup améliorée depuis. La différence de rémunération entre l’Ouest et l’Est continue à être, en moyenne, de 25 %. Cette différence est pernicieuse pour les travailleur.euse.s des deux zones. En effet, elle intensifie la concurrence et ne facilite pas la renaissance d’une conscience de classe. Le chômage de masse et le manque de perspectives à l’Est est malheureusement le terreau du développement de l’extrême droite du fait de l’extrême violence sociale imposée par les élites de l’Ouest et du manque d’initiatives et de perspectives à gauche. Le racisme est utilisé comme exutoire de la colère de la population contre le sort auquel la condamne le modèle néolibéral. La peur du déclassement est canalisée par la peur de l’autre, de « l’étranger ». La restauration capitaliste et les échecs de la gauche à fournir une alternative comptent parmi les raisons qui expliquent la montée de l’extrême droite.

Cependant, et par-delà les célébrations officielles pour le trentième anniversaire de la chute du Mur, la crise économique montre bien les limites de la restauration capitaliste et du néolibéralisme dans son ensemble. Une nouvelle génération est descendue dans la rue, au cours des dernières années, qui ne se résigne pas à l’échec de la gauche libérale ou réformiste et qui de plus en plus, on l’a vu récemment dans l’actualité mondiale, en Amérique du sud ou au Proche-Orient, n’accepte pas la défaite et reprend l’initiative. Trente ans après la chute du Mur, plus que jamais, les révolutionnaires se doivent de tirer les leçons de la restauration capitaliste et bourgeoise des années 1990 pour proposer de véritables perspectives émancipatrices, anticapitalistes et socialistes, proposer, en Allemagne comme ailleurs, un programme révolutionnaire à une classe ouvrière aux origines plurielles pour former un parti révolutionnaire de masse, international et internationaliste, capable de renverser le système et de construire une société sans classe.

Crédit photo : Jugendopposition.de

VOIR TOUS LES ARTICLES DE CETTE ÉDITION
MOTS-CLÉS

[Europe occidentale]   /   [Révolution(s)]   /   [URSS]   /   [Angela Merkel]   /   [Hongrie]   /   [Union europénne]   /   [Europe de l’Est]   /   [Allemagne]   /   [Grèce]