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Témoignage

1er mai. "Poussés par la peur, on crée une chaîne humaine sur les toits pour trouver un moyen de sortir"

J’arrive un peu avant 14h30 à Montparnasse, lieu du rdv. En passant le barrage de CRS, je ressens directement l’ambiance tendue. La manifestation est déjà en route quand j’attends mon frère pour défiler. A côté de moi, les street médics soignent un manifestant ouvert à la joue et le nez en sang, ainsi qu’une fille à deux doigts du malaise.

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Crédit photo : Johan Px

Mon frère retrouvé, on part rejoindre des copains plus haut dans la manif. Les CRS me font peur : ils sont grands, massifs, agressifs, le regard noir et le visage fermé. On avance et on dépasse les syndicats. Plus on marche, plus on se rend compte que la manif est immense. Dans le cortège, on voit de tout : des manifestants gilets jaunes ou non, des syndicalistes ou non, des jeunes et des vieux/vieilles, des français.es et étrangers.ères, des personnes habillées de noirs et d’autres de couleurs… On passe devant l’Observatoire Port Royal, sous le soleil et les chants partisans, puis on arrive boulevard Saint-Marcel, jusqu’au grand virage qui nous dirige vers Boulevard de l’Hôpital. Le bas de la rue qui amène à Austerlitz est bouché par un barrage de CRS : la seule issue est de remonter le boulevard de l’Hôpital jusqu’à Place d’Italie comme prévu, point d’arrivée de la manifestation. C’est rempli de monde. Certains crient « N’y allez pas ! C’est un piège, vous allez être nassé.es ! ». On est à peine arrivé.ées en bas du boulevard qu’on voit déjà un nuage de lacrymo qui plane au-dessus de la place d’Italie. On sent petit à petit que le cortège ralenti, jusqu’à l’immobilité. On essaye d’avancer, sauf que surprise (ou pas) : les CRS coupent la manif en lançant des gaz lacrymo et quelques grenades de désencerclement. Je fais demi-tour avec 2 ami.es, et on s’éloigne. Finalement on comprend que les CRS repoussent les manifestants avec les canons à eau. Seul problème : en partant à contre-sens, on rencontre le reste des manifestants qui se dirige vers Place d’Italie (le boulevard est toujours bloqué par les CRS au niveau d’Austerlitz). On commence à prendre peur : quoi faire ? on décide de rebrousser chemin vers les syndicats pour trouver un peu de sûreté (personne ne gaze les syndicats…). On entend « Là-bas ça tabasse, ça craint ». Deuxième surprise : les CRS canardent le cortège et créent une seconde coupure juste devant les ballons des syndicalistes. On se retrouve dans une gigantesque nasse, coincé.es dans ce croisement de boulevards. L’étau se resserre petit à petit. On est des milliers dans un espace réduit. On commence à se piétiner dessus. Et là c’est un enfer : ça gaze des deux côtés, on est serré.es, on essaye de sortir mais on se retrouve coincé.es dans la foule. Je suffoque, on ne comprend rien, on ne voit rien, on ne sait plus quoi faire. Pris d’une peur montante, on se dirige vers une porte d’immeuble ouverte. Le gardien nous laisse entrer dans le hall qui donne sur une petite cour intérieure. On y entre. Au début on est une dizaine, puis on monte rapidement à quarante ou plus. Plusieurs personnes pleurent, d’autres ont les yeux rouges de lacrymo, certains essayent de faire de l’humour. Mais maintenant, qu’est-ce-qu’on fait ? aucune sortie extérieure donnant sur une autre rue. On s’entasse. On commence à se faire peur : et si la BAC débarque et nous tabasse ? pas de caméras, pas de preuves (on a déjà entendu ces histoires…). Je me surprends même à penser comme ça. On finit par rentrer dans l’immeuble de l’autre côté de la cour pour laisser la place aux nouveaux arrivants, et pour se cacher dans les étages. C’est là que certains arrivent à ouvrir une fenêtre dans la cage d’escaliers : la fenêtre donne sur les toits de Paris (pas très hauts). Pris.es d’adrénaline et poussé.es par la peur, on créé.es une chaîne humaine sur les toits pour trouver un moyen de sortir. Les uns après les autres on se suit, on s’aide, puis on finit par trouver une sortie de chantier qui nous permet d’atterrir dehors dans une rue (entre deux camions de CRS…). Un peu émotif, on avance pour comprendre où on est : derrière le cordon de CRS au niveau de la gare d’Austerlitz. On comprend que ces quelques camions sont bloqués entre le cortège principal et ceux qui, un peu comme nous, se sont exfiltré.es de la manifestation comme ils ont pu. En sandwich, ils nous envoient des gaz lacrymo en pagaille. Tout ça pendant que les gazages dans la manifestation continuent, bien évidemment. Ca se calme, puis ils recommencent (je reçois les galettes autour de moi, alors que je suis quand même très loin et inoffensives). C’est un peu après, en avançant, qu’on se rend compte que les CRS chargent les manifestants. Le mouvement de foule nous entraîne dans sa course. Le plus gros de la manifestation fuit vers le pont d’Austerlitz, et nous on se détache du mouvement avant. Epuisé.es, on s’en va vers la gare de Lyon, puis place d’Aligre. Ah oui, sans oublier que sur le trajet on se fait contrôler devant la gare. Première fouille de ma vie, petite humiliation injustifiée. L’atmosphère anxiogène et répressive me colle aux basques jusqu’au soir, mais la ferveur de la lutte qui imprègne mes pensées me convainc un peu plus. Alors oui, on se donne rendez-vous pour très bientôt.

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