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La Izquierda Diario
4 de février de 2019 Twitter Faceboock

Féminisme révolutionnaire
« Le balai ça te va mieux que les machines » ou comment survivre dans un monde dit « d’hommes ».
Leire Izargorri

A l’occasion de la venue en France d’Andrea Datri, membre du collectif féministe socialiste révolutionnaire Pan y Rosas, nous publions les témoignages de femmes travailleuses qui nous racontent leur quotidien dans une société capitaliste et patriarcale et défendent un féminisme lutte de classes.

Link: https://www.revolutionpermanente.fr/Le-balai-ca-te-va-mieux-que-les-machines-ou-comment-survivre-dans-un-monde-dit-d-hommes

J’ai fait une formation de reconversion professionnelle dans la production aéronautique. Ce choix a été la porte d’entrée sur une réalité à laquelle, si auparavant j’avais pu la théoriser et la combattre, je me suis vue directement confrontée pour la première fois. L’exploitation et l’oppression alliées jour après jour… ou comment être femme travailleuse dans un monde classiquement conçu pour les hommes. Ce n’est pas une tache évidente et de nombreuses femmes s’y sont retrouvées confrontées au cours de l’histoire. Une histoire qui est malheureusement toujours d’actualité.

Quand je cherchais un endroit où faire mon stage, je ne m’imaginais que cela allait être si compliqué et je ne réalisais pas qu’aujourd’hui encore, on puisse faire face à de telles situations. Par exemple, il y a eu une fois où j’ai été acceptée sur la base de mes compétences. Cependant, quand le patron a su que ce prénom aux consonances étrangères était celui d’une femme, il a tout simplement rejeté ma candidature, prétextant que sa boîte n’était pas habilitée à embaucher des femmes puisqu’elle ne possédait pas de vestiaires pour celles-ci. Ma directrice de formation m’a alors soutenue, faisant appel au principe de parité et expliquant que, si l’industrie n’était malheureusement pas très adaptée à l’intégration des femmes, l’important étaient mes compétences et que je pouvais me changer dans les toilettes. Poussé dans ses retranchements, le patron a admis qu’il ne voulait pas de femmes dans l’atelier car, selon lui, elles perturbaient l’ambiance. Il a finalement demandé qu’on lui envoie un stagiaire homme à ma place…

Aujourd’hui, cela va faire un an que j’ai finalement réussi à trouver un travail dans le milieu. Nous ne sommes que deux femmes en production et nous n’avons pas de vestiaires. Nous avons le droit a un placard chacune, au milieu des toilettes partagées avec les hommes... Souvent, après une longue journée, on doit se changer dans l’odeur d’urine qu’un collègue a laissé par terre, faisant de multiples acrobaties pour enlever notre bleu de travail et nous rhabiller sans banc, ni chaise pour poser nos affaires…. Et combien de fois ai-je été surprise en sous-vêtements par un collègue qui voulait utiliser les toilettes ?! Mais ça, c’est le moindre de nos soucis.

Le travail à l’usine est dur pour tous. Les horaires en 3x8 ou 2x8, les heures supplémentaires obligatoires, les bruits insupportables des machines, les odeurs, les huiles et produits toxiques… Des conditions de travail et d’exploitation qui sont usantes et qui, pour les femmes, le sont deux fois plus. En plus de notre travail, nous dépensons quotidiennement notre énergie à tenter de nous faire respecter, à gérer les commentaires sexistes, les « blagues-pas-blagues » et à remettre nos collègues à leur place. Et non, ce n’est pas agréable de devoir sans cesse réfléchir à la meilleure façon de réagir, étant donné qu’on n’est pas dans la rue, mais dans le contexte du travail, et qu’on risque de perdre notre poste.

Depuis que je suis arrivée à l’atelier, j’ai vécu tous types de situations allant de ne pas faire l’effort d’apprendre mon prénom, me donnant des surnoms comme « couette-couette », jusqu’aux blagues sexistes du genre « le balai ça te va mieux que les machines » (quand je rangeais le poste de travail avant de passer le relais à mon collègue) ou « tu fais quoi avec la lime, c’est pour tes ongles ? » (lorsque j’ébavurais une pièce que j’avais terminée). Il y en a aussi des sexuelles : « des melons arrivent par ici, des melons, on vend des melons » (en faisant référence à mes seins quand j’arrive au poste). Fréquemment, on te prend pour une idiote et ton travail est remis en cause : « tu es sure ? Laisse-moi vérifier pour toi » ou « mais tu as bien contrôlé la pièce ? peut-être que tu ne sais pas utiliser le pied à coulisse ! », ou encore quand on me demande ce que je vais faire dans la journée et que je propose une organisation pour la production et qu’on me dit non, pour ensuite reproposer exactement la même chose !!!

Soit on te prend pour un objet sexuel avec des blagues qui n’ont rien à faire là, soit on est très paternaliste et on te regarde comme la pauvre à qui il faut apprendre la vie et contrôler tout ce qu’elle fait parce qu’en fin de compte, elle n’est pas à sa place donc c’est normal qu’elle ne comprenne rien. C’est incroyable le niveau de mépris qu’on peut arriver à subir. Ça n’est pas tous les collègues, évidement. Et j’ai été agréablement étonnée quand un collègue a répondu à un autre : « on est en 2018, ça a évolué, il faudrait que toi aussi tu évolues ! » alors que celui-ci en s’approchant lui avait lancé : « comment cela se fait-il que tu aies deux femmes à tes côtés et que ce soit toi qui passes l’aspirateur ? »

Mes possibilités d’avancement dans l’entreprise ne sont pas très équitables si je les compare à d’autres hommes arrivés après moi… Et pourquoi ? Parce que les anciens privilégient toujours les mecs pour leur apprendre les connaissances techniques et le fonctionnement des machines… alors que quand c’est moi qui cherche à comprendre, on me prend pour la secrétaire : « ramène moi ça » « range ça au magasin ». Mes collègues avancent… alors que moi je dois persécuter les anciens et poser des milliards de questions, être autodidacte si je veux apprendre quelque chose. Et cela donne lieu à des blagues, encore... « Qu’est-ce que tu es chiante, tu demandes trop de choses… » ou « une question par heure, stp », etc... Mais quand après une situation difficile, on se rend compte que j’ai réussi à la surmonter seule, mon mérite n’est jamais reconnu… Bien sûr que non ! Je les entends s’attribuer la gloire et se féliciter comme si c’était eux qui m’avaient appris et aidée… c’est fatigant, usant et démoralisant…

Breaking News… Moi et les autres femmes qui travaillons dans l’industrie, sommes des professionnelles dans le milieu. On a fait des formations et on a le même savoir-faire que n’importe quel homme. On mérite alors le même respect. Et nous dire, après un commentaire ou une attitude sexiste, que c’était une blague et que nous sommes hystériques ou que l’on prend tout trop sérieusement, ne revient qu’à se déresponsabiliser de ses actions en nous posant à nous le poids de cette oppression lourde et fatigante à laquelle on doit faire face jour après jour.

Pour nous le respect n’est pas donné… On doit le batailler et le conquérir en travaillant deux fois plus que ce que font les collègues hommes et en étant absolument irréprochables. Je ne parle même pas de ces femmes qui sont mères ou mères célibataires et qui, en plus de devoir faire face à cette réalité du travail, doivent gérer ensuite la réalité familiale du foyer, les taches ménagères et le soin des enfants… Cette conciliation, parfois impossible, résulte en des doubles journées de travail. Mais on ne lâche pas, je ne lâche pas… Pour moi et pour mes sœurs, toutes ces femmes travailleuses qui bataillent et celles qui continuent à batailler pour nos droits.

On dirait que l’histoire se perpétue et même si on avance et qu’on arrive par la lutte à conquérir et arracher notre place et nos droits dans le monde, on doit encore et toujours continuer à se battre, à prendre la rue comme les femmes gilets jaunes aujourd’hui, comme les ouvrières du textile hier… On continue et continuera la lutte de nos sœurs !!!! Comme disaient les ouvrières américaines du textile en 1912 : « Nous exigeons le droit au pain mais aussi aux roses ».

Lire l’article "Du Pain et des Roses : un livre indispensable sur le féminisme lutte des classes"

Andrea D’Atri sera en France en Février à l’occasion de la sortie de son livre Du pain et des roses  :

Jeudi 14 février 17h30 Amphithéâtre Pitres, Université Bordeaux Victoire

Vendredi 15 février 19h30 Mercure, Compans Cafarelli, Toulouse

Vendredi 22 février 19h30 Paris (lieu à définir)

 
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