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La politique balkanique s'invite à la Coupe du Monde

Pourquoi le geste des buteurs kosovars de l’équipe suisse fait scandale ?

Même s'il s'agit de la "fête du foot", la politique n'est jamais loin. Et la politique balkanique s'y est invitée et de quelle façon. La Serbie perd à la dernière minute face à la Suisse avec deux buts de deux joueurs d'origine kosovare. Leur geste pour fêter les buts, rappelant leur origine, a rallumé les feux nationalistes.

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Vendredi dernier, l’équipe suisse battait la Serbie 2 à 1, en fin de match. Les deux buts ont été marqués par Granit Xhaka et Xherdan Shaqiri, deux joueurs suisse-kosovars. Pour célébrer leurs (très jolis) buts, les joueurs ont fait un geste évoquant l’aigle bicéphale qui se trouve sur le drapeau de l’Albanie. Cela a suffit pour déclencher une avalanche de réactions et même des menaces de sanctions contre les deux joueurs pour "politisation" de leur célébration.

Le match lui-même était spécial car l’équipe "nationale" suisse compte sept joueurs d’origine yougoslave, surtout des kosovars albanais mais aussi des croates et des bosniens. L’entraineur suisse lui-même est né à Sarajevo. C’est une équipe très balkanique. Cela s’explique surtout par le fait que beaucoup de réfugiés des guerres en ex-Yougoslavie dans les années 1990 se sont installés en Suisse.

Il était évident que ce match allait avoir une composante symbolique et politique dépassant largement le cadre sportif. Il y avait un risque clair que le match devienne un "derby balkanique". Rien à voir avec la rencontre Serbie-Albanie en 2015 qui a dû être suspendue quand un drone a commencé à survoler le terrain de jeu avec un drapeau de "la grande Albanie" et que des incidents ont éclaté. Mais finalement, "l’incident" de vendredi dernier a eu bien plus de répercussion internationale.

C’est donc avec deux buts marqués par deux joueurs d’origine kosovare que la Serbie tombe face à la Suisse. Quelle ironie du football quand on sait le racisme contre les migrants venus des Balkans, et d’autres pays d’Europe centrale et de l’Est, qui se développe fortement en Suisse. Vendredi soir deux "enfants kosovars" sont devenus des "héros nationaux" face à la Serbie.

Mais il en est ainsi. Les kosovars marquent les buts mais regrettablement, c’est l’équipe Suisse qui gagne. On peut faire le même constat avec l’équipe de France, dont les principales figures sont d’origine africaine ou maghrébine, des populations fortement discriminées dans l’Hexagone. Le Kosovo quant à lui n’a été admis à la FIFA qu’en 2016 et n’a disputé que très peu de matchs officiels.

Les vraies raisons de la polémique

Ces ex-enfants réfugiés marquent contre la Serbie donc. Ils fêtent leurs buts en mimant l’aigle bicéphale du drapeau albanais. C’est leur façon de rappeler au monde entier leurs origines, qu’ils sont kosovars, et que marquer contre la Serbie n’est pas anodin. Evidemment, il y a scandale. On parle même de les sanctionner.

Mais le vrai scandale ce serait de les sanctionner ; une concession faite au nationalisme serbe pour éviter que les joueurs de foot prennent l’habitude d’envoyer des messages politiques lors de l’événement le plus regardé au monde, dans un contexte de crises sociales et politiques profondes.

Que l’on soit d’accord avec cette façon de célébrer un but ou non, les joueurs suisse-kosovars n’ont pas fait un salut nazi, ils n’ont pas revendiqué des crimes contre l’humanité non plus. Le symbole de l’aigle bicéphale n’est même pas une offense directe contre la Serbie, c’est avant tout une revendication de l’Albanie et des albanais.

Mais ce geste dérange parce qu’il évoque les guerres des années 1990 dans les Balkans dont l’Etat serbe a été l’un des principaux responsables, mais aussi les Etats impérialistes (on se rappellera des casques bleus hollandais lors du génocide de Srebrenica, parmi tant d’autres exemples). Ce geste dérange car il rappelle des décennies d’oppression du peuple albanais au Kosovo dont l’indépendance n’est toujours pas reconnue par de nombreux pays à travers le monde comme la Russie, la Chine mais aussi l’Etat Espagnol, la Grèce, le Brésil, l’Argentine, l’Afrique du Sud, l’Inde, l’Iran, etc. En effet, la "question du Kosovo" rappelle aussi que beaucoup de peuples à travers la planète sont opprimés et que beaucoup d’Etats à travers le monde oppriment des populations entières en bafouant leurs droits nationaux.

Certains ont très vite rappelé les crimes contre la population serbe au Kosovo (parfois en oubliant étrangement d’évoquer les crimes de Slobodan Milošević et de son régime) pour justifier leur "indignation" face aux joueurs suisse-kosovars. Ces crimes ont effectivement existé. Mais cela n’a rien à voir avec le geste des joueurs Xhaka et Shaqiri.

Les peuples kosovar, albanais et serbe n’ont rien à voir avec les crimes commis et commandités par "leurs" dirigeants. Ce sont en général les complices de ces dirigeants qui utilisent les crimes contre les populations civiles "nationales" pour renforcer un nationalisme réactionnaire et monter les travailleurs et les classes populaires d’une nation contre les autres.

En ce sens, faire un "scandale" après le geste des joueurs suisse-kosovars ne sert qu’à alimenter ce nationalisme réactionnaire. D’un côté comme de l’autre.


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