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A 100 ans de la Révolution Russe

Penser “l’impossible” : les conquêtes des femmes dans la Révolution Russe

L’émancipation des femmes a été l’une des tâches centrales de la Révolution russe, poussant à une grande créativité dans ce domaine. Les débats de l’époque sont toujours actuels : le travail domestique, l’avortement, l’amour libre, la liberté sexuelle et l’homosexualité, la prostitution, les droits des femmes travailleuses. Cynthia Lub

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En Russie, la conquête ouvrière du pouvoir a apporté de nombreux droits pour les femmes, avant même que cela n’arrive dans les pays capitalistes les plus développés du monde. A l’intérieur du mouvement féministe et des femmes, actuellement, cette histoire a été pratiquement oubliée, celle de la créativité débordante et inégalable avec laquelle les femmes et les hommes bolchéviques ont affronté la tâche de l’émancipation des femmes, pour avancer vers une société libérée de l’exploitation et de l’oppression.

Loin de s’en souvenir comme on regarderait une belle photo sépia, il s’agit de connaitre cette expérience, pour récupérer l’idée de « l’impossible » contre les limites du « possible » que le système capitaliste nous offre.

Mais cela suppose deux choses : la première, c’est de rompre avec les idées reçues, opposées à l’idée de la révolution et du marxisme, qui sont celles des idéologues capitalistes ; deuxièmement, « nous autoriser » à penser la révolution comme une stratégie émancipatrice pour les femmes.

Rompre avec les idées reçues sur la révolution, le marxisme et la question de genre

Il existe une idée reçue courante selon laquelle le marxisme « ne penserait pas la question du genre » et que son fondement stratégique serait « la lutte pour la révolution sur un terrain exclusivement économique ».

Au contraire, si la Révolution Russe a permis des conquêtes inédites pour les femmes dans une époque où les conditions économiques étaient largement plus difficiles qu’aujourd’hui, ce fut justement parce des femmes et des hommes marxistes ont contribué dans la pratique et la théorie à cela. Et ce depuis Marx et Engels, un siècle auparavant, qui mesuraient le degré de développement de la société à l’aune de l’oppression que subissaient les femmes.

Sur le même plan, dans le débat sur « l’origine du patriarcat », il existe une autre idée reçue selon laquelle, pour le marxisme, « il n’existerait une oppression patriarcale que dans le système capitaliste », et que l’oppression des femmes « se résoudrait après la révolution ».

Au contraire, Marx et Engels – et particulièrement ce dernier – ont insisté et ont théorisé l’existence de l’oppression des femmes dans toutes les sociétés disposant d’un Etat et d’une société de classes – et pas seulement le capitalisme – liant ainsi le patriarcat à l’existence des classes sociales.

N’est-il pas vrai que, pour les marxistes socialistes, la révolution prolétarienne est suffisante pour l’émancipation des femmes ? La réponse est non. Et c’est d’ailleurs une des grandes leçons qu’ont laissé les dirigeants de la Révolution Russe, comme Lénine et Trotsky, qui ont fait valoir l’idée, qu’après la Révolution, il était nécessaire de changer en profondeur les valeurs et la culture.

Lénine, en 1920, déclarait que « L’égalité devant la loi n’est pas encore l’égalité face à la vie. Nous espérons que la femme ouvrière conquiert, non seulement l’égalité devant la loi, mais face à la vie, face à l’ouvrier. […] Le prolétariat ne pourra arriver à s’émanciper complètement sans qu’il ait conquis la liberté complète pour les femmes. »

Alexandra Kollontai a repris Marx, qui avait avancé l’idée qu’il n’était pas suffisant de transformer les relations de production, mais qu’était également nécessaire l’apparition d’un homme nouveau. Kollontai a dédié une grande partie de ses travaux à la nécessité d’une révolution « psychologique » de l’humanité.

Elle théorisa l’idée d’une « femme nouvelle » et déclara que « la classe ouvrière, pour accomplir sa mission, avait besoin non pas d’une esclave impersonnelle du ménage, de la famille, une esclave qui possède des vertus féminines passives, mais d’une individualité qui se lève contre toute la servitude, qu’elle avait besoin d’un membre conscient, actif et qui profite pleinement de tous les droits collectifs de la classe. »

Ces différentes idées reçus dont nous parlons sont basées sur les postulats d’un « faux marxisme » qui a simplifié les théories qui avaient guidé l’action des femmes et des hommes dans la révolution bolchévique. C’est le stalinisme qui a trahi la révolution en imposant son régime bureaucratique soviétique, et élaboré dans le même temps un « révisionnisme antiféminin » à l’opposé du « marxisme émancipateur » (voir à ce propos : “Feminismo y Marxismo : más de 30 años de controversias”, Andrea D’Atri, 2004).

C’est en réaction à cette vision réductionniste et économiste, que dans le débat actuel, certains secteurs du mouvement féministe, en partant de l’idée que l’oppression des femmes a toujours existé dans tous les systèmes sociaux, ont théorisé le patriarcat « comme une matrice » de toutes les relations de domination, d’oppression et d’exploitation. Jusqu’à faire « abstraction » du système politique et socio-économique dans lequel nous vivons et à centrer la lutte pour l’émancipation des femmes exclusivement sur le patriarcat.

En tant que marxistes, nous ne pensons pas que l’émancipation des femmes soit garantie de manière automatique par la révolution socialiste ou à l’aide de quelques décrets ou lois progressives que pourraient promulguer la classe ouvrière une fois arrivée au pouvoir. Mais nous ne pensons pas non plus que ce soit dans les limites étroites du capitalisme que l’émancipation des opprimés soit possible. C’est pour cela qu’opposer la nécessité d’un « changement culturel » à la nécessité de renverser le capitalisme jusqu’à sa racine, ne peut conduire qu’à remettre en cause l’idée de la révolution sociale.

Les conquêtes de la Révolution russe et les débats actuels

Comme nous l’avons déjà dit, après la révolution de 1917, ont été conquis des droits importants pour les femmes qui n’existaient, avant la révolution, dans aucun autre pays d’Europe. Pour les bolchéviques, l’émancipation des femmes fut l’une des tâches centrales de la révolution.

Ceux-ci ont avancé l’idée d’abolir « l’esclavage » du travail domestique, et d’établir la « socialisation » du « travail reproductif ». Et même si une grande partie du mouvement féministe méconnait ces faits et critique le marxisme pour avoir dévalorisé cette question dans sa pensée, cela fut au contraire une question centrale dans la révolution.

Même chose sur la question de l’institution de la prostitution, un autre débat complexe d’aujourd’hui. Une autre idée reçue consiste à accuser le marxisme de reprendre les considérations bourgeoises sur la prostitution et de la considérer comme un « scandale moral ».

Il en est tout à fait autrement. Kollontai était une fervente défenseuse de la libération sexuelle et de l’idée que la classe ouvrière doive être celle qui avance dans la conquête d’une nouvelle morale sexuelle, capable de rompre avec le puritanisme et la monogamie si fonctionnelles au patriarcat capitaliste. Elle considérait la prostitution comme une institution qui condamnait les femmes pauvres et qui était de plus totalement contraire à l’idée socialiste de l’amour libre, entre égaux, du fait qu’elle était fortement liée à une relation commerciale.

Tous ces grands débats se sont posés dans la pratique, non sans créer de grandes contradictions, dans le nouvel Etat ouvrier après la révolution de 1917, sur l’amour et la sexualité, et ont posé les bases des nouvelles relations sexuelles et affectives qui devaient émerger dans le sillage de la révolution.

D’autres avancées existèrent, l’égalité dans la loi, qui donna aux femmes le droit de contrôler leurs salaires et leurs biens, de pouvoir réclamer la garde de leurs enfants en cas de divorce et de décider de où vivre, étudier et travailler.

Le droit à l’avortement légal et gratuit a aussi été conquis pour la première fois de l’histoire en Russie, le 18 novembre 1920, lorsqu’Alexandra Kollontai a promu un décret qui en a fait un droit libre et gratuit. Un siècle après, aujourd’hui, nous continuons de lutter pour ce droit dans une grande partie du monde. Et des milliers de femmes meurent durant des avortements clandestins.

Les bolcheviques ont aussi aboli les lois contre l’homosexualité en décembre 1917, un demi-siècle avant les premiers pays capitalistes qui l’ont fait.

Du côté du droit des femmes travailleuses, elles furent nombreuses ces femmes combattantes en ces jours de la grande Révolution d’Octobre, consacrées sans relâche à la tache passionnante d’organiser les femmes travailleuses et de lutter pour leurs droits, sur la base de « travail égal, salaire égal », une revendication qui continue d’être réclamée aujourd’hui.

Révolution ou barbarie capitaliste pour les femmes

Pour la grande dirigeante marxiste allemande, Rosa Luxembourg, la Révolution russe de 1905 fut d’abord une source d’inspiration, qu’elle essaya de transmettre en Allemagne tout en y participant. « Nous venons de la Révolution russe, et nous serions des ânes si nous n’apprenions pas d’elle » disait-elle. Elle fut aussi une grande adepte et admiratrice de la révolution de 1917, qui eut un impact même en Allemagne.

Ce fut Rosa qui, au commencement de la Première Guerre Mondiale, déclara : « En ce moment, il suffit de regarder autour de nous pour comprendre ce que signifie la régression et la barbarie dans la société capitaliste.

Aujourd’hui, bien que le contexte mondial ait changé, nous pouvons parler d’une vraie barbarie capitaliste qui sévit contre les femmes. Ces derniers temps, le mouvement des femmes est sorti dans les rues pour ses droits élémentaires, dont beaucoup d’entre eux avait déjà revendiquées par les femmes depuis des siècles. Mais c’est aussi une lutte pour « vivre », pour refuser qu’on nous tue qui a surgi sous le cri mondial de #NiUnaMenos.

Mais pour que chacune de ces luttes puissent triompher, et non seulement permettre de résister, nous devons nous proposer de conquérir « l’impossible » comme disait Rosa : « Pour un monde où nous serions socialement égaux, humainement différents et totalement libres ».

* Texte écrit sur la base de la réunion de Pan Y Rosas, intitulée “Mujer y Revolución rusa” [Femmes et Révolution russe] qui s’est tenue à Barcelone, le 7 mars 2011

Traduction par R.M.

Biographie (en castillan) :
D’Atri, Andrea, Pan y Rosas, Pertenencia de género y antagonismo de clase en el capitalismo, Buenos Aires, Ediciones IPS, 2013.
Goldman, Wendy, La Mujer, el Estado y la revolución, Buenos Aires, Ediciones IPS, 2010.


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